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Astronomie

Oumuamua, l’astéroïde de la controverse

Quand Julien Dassa-Terrier ne travaille pas sur la rédaction de sa thèse de doctorat en astronomie et astrophysique, il partage sa passion avec si possible pédagogie. Avec cet article, il quitte temporairement son exploration de la galaxie Andromède pour parler d’un événement bien plus proche de nous.

Depuis quelques jours, la toile est emportée dans un tourbillon qui a allègrement débordé sur la mésinformation. Deux astrophysiciens, Shmuel Bialy et Avi Loeb, ont remis l’étrange et improbable corps céleste Oumuamua au centre de l’actualité, pour le meilleur et parfois pour le pire.

Vue d’artiste du tout premier astéroïde interstellaire : Oumuamua (Crédit: ESO/M. Kornmesser)

Si vous avez raté ce petit événement du monde de l’astronomie, Oumuamua un visiteur interstellaire, à la forme tout à fait singulière, qui a traversé notre Système Solaire à une vitesse aussi tout à fait singulière,  a fait l’objet de plusieurs publications scientifiques dès 2017. Ce n’est visiblement pas près de s’arrêter bien qu’il soit déjà reparti vers d’autres horizons.

Pourquoi en reparler un an plus tard alors ? Pour la communauté scientifique, Oumuamua est toujours bien mystérieux mais ces mystères avaient peu de chance de toucher le grand public en dehors des passionné(e)s d’astronomie ! Mais voilà, l’article de Bialy et Loeb n’est pas ordinaire. Malgré son titre modeste, « La pression des radiations solaires pourrait-elle expliquer l’accélération inhabituelle d’Oumuamua ? », l’article se termine sur plusieurs paragraphes de conjectures semblant tout droit évadés d’un film de science-fiction ! L’hypothèse défendue : “Oumuamua pourrait être une sonde extraterrestre, peut-être même une sonde ayant eu pour but spécifique d’étudier la Terre”. Bien entendu, une telle proposition venant de scientifiques d’une célèbre université américaine ne pouvait qu’enflammer les médias et les réseaux sociaux !

Le télescope Pan-STARRS1 sur le volcan Halealakala à Hawaï. C’est ici que le postdoc de University of Hawaii Institute for Astronomy, Rob Weryk, a découvert Oumuamua. (Crédit : PS1SC, R.Ratkowski)

L’un des premiers médias à avoir réagi est CNN avec un article dont le titre racoleur prête à lever le sourcil. L’information a été vastement reprise avec des titres de plus en plus improbables et un contenu parfois assez catastrophique. Néanmoins, les vulgarisateurs et vulgarisatrices, ainsi que la communauté scientifique, se sont empressés de réagir avec vivacité, en particulier sur Twitter, contre ce qui semblait être des propos pour le moins fantasques. Il faut croire que la rogne a été entendue, car rapidement, les médias les plus sérieux ont édité ou publié de nouvelles versions bien plus rigoureuses. CNN a revu son article de fond en comble pour désormais intégrer des interviews d’astronomes. De même en France, plusieurs grands journaux ont corrigé leurs premiers articles peu travaillés ou ont un peu attendu avant de publier des énormités. Il est important de le noter, en particulier dans l’ambiance générale de défiance envers les médias et de ras-le-bol (bien compréhensible et auquel je ne suis pas immunisé) dans la communauté de la communication et de la vulgarisation scientifique. Un progrès notable est donc à remarquer et cela est encourageant !

Il faut bien reconnaître qu’ici, le blâme n’est pas entièrement à mettre sur la sphère médiatique car OUI l’article de Bialy et Loeb propose bien qu’Oumuamua est une sonde extraterrestre : il le propose, il le défend et il argumente autour de cette idée. Il le fait prudemment, il le fait selon un cadre scientifique, il prend garde à rester dans l’hypothétique et le conditionnel, mais il le fait. Comment en arrive-t-il à une telle conclusion ?

Vue d’artiste de l’objet interstellaire Oumuamua. Les observations depuis sa découverte en 2017 montrent que l’objet s’écarte légèrement de la trajectoire qu’il suivrait s’il était uniquement influencé par la gravité du Soleil et des planètes. Oumuamua, un astéroïde ou une comète ? (credit ESA/Hubble, NASA, ESO, M. Kornmesser)

Comme annoncé plus tôt, Oumuamua est mystérieux. Est-ce un astéroïde ou une comète ? En Avril 2018, un article publié dans Nature par Marco Micheli, et une large équipe, observe une accélération que la seule gravitation ne peut pas expliquer. Ils proposent alors un « dégazage » qui serait à l’origine de l’accélération, ce qui ferait d’Oumuamua, plus probablement, une comète [lire Oumuamua, finalement une comète ?]. Néanmoins, en juin 2018, Roman Rafikov est publié dans The Astrophysical Journal après avoir contesté cette hypothèse. Selon son étude, le dégazage aurait dû faire tourbillonner l’astéroïde à cause de sa forme et même le briser, ce qui remet alors en cause l’hypothèse d’une activité cométaire. Bialy et Loeb partent de ce constat pour proposer une alternative : les vents solaires seraient-ils responsables de l’accélération ?

Pour que ce soit le cas, il faudrait alors que l’astéroïde soit particulièrement léger, bien plus léger que ce que nous avons connu dans ces objets jusque-là. Cela suggère aussi que sa forme soit adaptée. Alors qu’on commence à se dire que ces conclusions semblent donc exclure les vents solaires, à moins qu’un nouveau matériau interstellaire n’ai été découvert, la publication prend alors un tour inattendu ! Bialy et Loeb partent sur l’hypothèse artificielle. Cette poussée pourrait s’expliquer si nous étions en présence d’une sonde disposant d’une voile solaire. Selon leur article, cela explique… à peu près toutes les choses étranges autour d’Oumuamua. Cela est discutable et contesté par plusieurs astronomes et astrophysicien(ne)s. Ce scénario, en effet, ne répond pas à toutes les problématiques et a des difficultés à s’accommoder de certaines observations. Par exemple, l’article de Meech et al. (2017) observe que l’objet a une surface rouge assimilable aux surfaces des astéroïdes et comètes du Système Solaire, Bialy et Loeb l’expliquent en suggérant que les voiles auraient été couvertes par de la poussière interstellaire lors de son voyage. Une hypothèse assez improbable qui demanderait, si on choisit de croire à la prémisse d’une sonde, que les voiles n’ont aucun système permettant d’être repliées pour les protéger dans l’espace interstellaire où elles sont inutiles. De plus, aucune des émissions que l’on aurait pu attendre d’une sonde n’ont pu être captées, malgré les tentatives. Dans une interview (voir ci-dessous), Avi Loeb nous dit aussi que, statistiquement, il faudrait que chaque étoile éjecte 1e+15 (10 puissance 15) petits corps (comme Oumuamua) au cours de sa vie pour que nous ayons une chance d’en croiser un. L’exemple du Système Solaire montre que ce serait bien moins. Cet argument aussi est à prendre avec des pincettes car il s’agit d’une statistique en grande partie conjecturale. Surtout, rien ne nous permet d’estimer que rencontrer une civilisation alien soit moins improbable. Le raisonnement statistique dans ce genre de contexte est toujours risqué.

C’est ici qu’il faut bien comprendre les enjeux qui peuvent entourer une publication scientifique et une bonne communication. L’article a été accepté et sera publié dans une revue sérieuse d’astronomie et astrophysique, cela suggère que le travail scientifique y est solide. Cela ne signifie pas que la conclusion de la sonde alien reçoit l’assentiment et le soutien du journal scientifique et de la communauté, cela signifie que la discussion est jugée intéressante et que l’étude scientifique l’entourant atteint certains standards. Cela signifie aussi qu’elle est désormais publique et donc ouverte au débat scientifique. On ne doute pas que cette hypothèse sera contestée par d’autres équipes, elle l’est déjà.

Bialy et Loeb croient-ils réellement avoir trouvé une sonde extraterrestre ? Nous ne sommes pas dans leur tête mais Bialy a déjà fait des déclarations très prudentes sur le sujet. Quant à Loeb, il est à la commission Starshot, ce projet financé par un richissime russe visant à lancer une sonde, munie d’une voile solaire, vers Proxima du Centaure (et qui est connu pour avoir reçu le soutien de Stephen Hawking). De là à imaginer que cet article était l’opportunité pour un plan marketing audacieux (Starshot est cité dans l’article), il n’y a qu’un pas. Il ne faut de plus pas oublier qu’il est souvent plus intéressant pour un chercheur bien installé de publier quelque chose de fantasque qui sera contesté puis oublié… que d’avoir raté l’occasion d’être le premier à l’avoir fait dans le cas très très très improbable où il aurait eu raison.

Alors Oumuamua, qu’est-ce donc au final ? Eh bien, nous ne le savons toujours pas et comme il est désormais reparti dans l’espace interstellaire, le défi est de taille. Nous devrons faire avec les informations récoltées lors de son passage et le débat fera sûrement rage encore un moment. Peut-être, comme l’a suggéré la NASA, faudra-t-il inventer un nouveau terme pour les « objets interstellaires » voyageant entre les étoiles.

Oumuamua a été détecté le 19 octobre 2017, tandis que son passage au plus proche du Soleil a été réalisé le 7 septembre. Sa traversée n’a duré que quelques mois. Crédit: Brooks Bays / SOEST Publication Services / UH Institute for Astronomy

3 réflexions sur “Oumuamua, l’astéroïde de la controverse

  • T]osh`iki

    J’ai bien vu parler d’accélération après la soleil donc voile solaire (très basiquement), mais si c’était une voile solaire il y aurait eu ralentissement en s’approchant du soleil.

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    • Julien

      Tout dépend, la voile pourrait être orientable. Elle pourrait aussi être “pliée” puis avoir été déployée après le passage du Soleil (mais cette seconde hypothèse semble aller à l’encontre des dépôts de matière à la surface).

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      • T]osh`iki

        Oui c’est vrai. Merci.
        (en passant, Il faut croire que la rogne a été entendue <- grogne je suppose)

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