Yutu-2 jour 3
L’atterrisseur chinois Chang’e 4 et son rover Yutu-2 vivent la fin de leur troisième jour sur la face cachée de la Lune. Le lander et le rover passeront une nouvelle fois en mode veille le 13 mars pour leur troisième nuit. Yutu-2 et Chang’e 4 s’étaient réveillés le 28 février après leur deuxième nuit. Par jour lunaire, le rover n’a droit qu’a quelques jours d’activité seulement (une demi-douzaine de jours sur une période de 14 jours) à cause des conditions thermiques trop extrêmes. La nuit est trop froide pour le rover tout comme pour le lander (-190°C relevés lors de la première nuit) et le milieu de journée trop chaud pour le rover. Par milieu de journée sur la Lune, comprenez la période d’une huitaine de jours pendant lesquels l’incidence du soleil par rapport à la surface est la plus grande, et donc la puissance lumineuse la plus forte. Avec ses 140 kilos, le rover ne dispose pas d’un système de régulation thermique suffisamment puissant pour lutter contre la torpeur du « midi lunaire » (la température peut dépasser les 110°C). Du coup à chaque fois le rover fait une sieste de huit jours, la dernière a duré du 3 au 8 mars.
Baisse de rythme au profit de la science
Le 4 mars, la CLEP (China’s Lunar and deep space Exploration Program) a indiqué que depuis le début de la mission, le rover avait parcouru 127 mètres. Wu Weiren a annoncé le 13 mars qu’à la fin du jour 3 Yutu-2 avait fait un 34 m de plus. (MàJ) Et c’est là qu’on remarque une forte baisse de rythme :
- jour lunaire 1 ………………………………………………………………………………. 44.185 m
- jour lunaire 2 ………………………………………………………………………………. 75.815 m
- première moitié jour lunaire 3 …………………………………………………………….. 7 m
- (MàJ) seconde moitié jour lunaire 3 ………………………………………………….. 34 m
Il y a là plusieurs raisons au fait que le rover soit devenu quasi-statique ces derniers jours. En effet ce n’est pas parce que Yutu-2 a franchi le record de 115m de son prédécesseur Yutu (Chang’e 3, 2013) que la CLEP a subitement dit qu’on arrêtait de faire la course. D’ailleurs, en tant que doublure, le rover a été conçu comme l’était son prédécesseur pour faire plus de 300m. Il y a évidemment plusieurs motifs sérieux. Tout d’abord, le chemin du rover est pourvu d’obstacles, et de nids de poules ça-et-là, comme l’a indiqué Wu Weiren, directeur en chef de la conception du programme Chang’e. Les ingénieurs de la CLEP doivent commencer à regarder avec plus d’attention les impacts du franchissement de tous ces obstacles sur les roues de Yutu-2, points faibles de tout rover.
Autre raison plus forte : la science. Avec 120 mètres au compteur, et partant toujours au nord-ouest, Yutu-2 est désormais éloigné de plusieurs dizaines de mètres de Chang’e 4 et du point d’alunissage. C’est ce que fait tout rover avant de faire de la science de manière exhaustive : s’éloigner du site d’atterrissage, car trop pollué. Les deux instruments principaux du rover (le spectromètre en visible et infrarouge VNIS et le dosimètre à neutrons ASAN) fournissent tous les deux aux scientifiques des données sur le sol de Statio Tianhe et sa composition. Inutile de trop les mettre à contribution dès le début de la mission si ce n’est pour révéler des résidus de carburants utilisés lors de l’alunissage. C’est donc pour ça que Yutu-2 s’est éloigné au pas de course de Chang’e 4 durant les premiers jours lunaires, tout en calibrant ses instruments. Aujourd’hui le rover est suffisamment éloigné, la science peut donc commencer.
Etudier le régolithe
Imaginez Sylvestre Maurice et son équipe scientifique à l’IRAP prendre en otage le JPL pour demander à Curiosity d’aller partout et de tirer de tous les côtés avec ChemCam pour analyser tel ou tel rocher, eh bien le scénario a commencé pour Yutu-2. Depuis le 28 février et en dehors de sa sieste, le rover a pointé ses instruments sur plusieurs cailloux dont le plus grand faisant 20 cm de haut. D’après le journaliste Andrew Jones, les premiers essais de pointages n’avaient pas fonctionné.
Tandis que le spectromètre VNIS étudie la composition minéralogique du terrain, la caméra panoramique complète l’analyse avec ses images pour permettre aux scientifiques de mieux déterminer les caractéristiques du régolithe de la face cachée de la Lune. Ces analyses in situ permettront de mieux comprendre l’origine des roches de la face cachée de la Lune, voire de mieux comprendre comment celle-ci s’est développée.
En complément, le dosimètre ASAN étudie comment la surface interagit avec le vent solaire tandis que le radar LPR (Lunar Penetrating Radar) fournit des données sur la structure du sous-sol de Statio Tianhe, jusqu’à plus de 100 mètres de profondeur. Un des objectifs est notamment de déterminer l’épaisseur de la couche de régolithe.
La science en orbite
Les instruments scientifiques à bord de Chang’e 4 travaillent eux aussi. Mais la science a également commencé à bord du satellite relais Queqiao, situé au point de Lagrange L2 à 65 000 km de la Lune. L’instrument NCLE (interféromètre à basse fréquence) a fait ses premières mesures alors que ses trois antennes de cinq mètres de long ne sont pas encore déployées. Le chef de projet NCLE, Marc Klein Wolt, directeur du Radhoub RadioLab (RRL), a indiqué que l’instrument allait faire de la science sans ses antennes pendant un mois, pour mesurer l’intensité des interférences électromagnétiques que subit le satellite. Ensuite, les antennes seront déployées progressivement : d’abord 50 cm, 2.5 m puis totalement selon un échéancier établi sur plusieurs mois, le tout pour faire de la calibration. C’est seulement après cette longue étape que l’instrument commencera à faire véritablement de la science, à l’abri des interférences.
Le NCLE est un instrument développé en collaboration avec l’institut néerlandais de radioastronomie ASTRON qui va étudier la tomographie de la raie à 21 cm, ce qui permettra d’étudier l’Univers juste après le Big Bang.
Mars en 2020 ?
Le 3 mars, à l’occasion de la deuxième session du 13ème comité national de la Conférence consultative politique du peuple chinois (CCPPC), Wu Weiren a annoncé que la CNSA a pour projet d’envoyer une mission sur Mars en 2020. Cette annonce est plutôt une confirmation que le calendrier de l’exploration chinoise de Mars est maintenu, alors que certains observateurs craignaient un report au profit du programme habité chinois.
On a pour l’instant peu d’informations sur cette mission mais il semblerait qu’il s’agisse d’une mission semblable à Chang’e 3/4 : un lander et un rover. Wu Weiren a annoncé que la mission compterait une mise en orbite, un atterrissage, et aussi une exploration du terrain martien à l’aide d’un rover. Le modèle de la mission Chang’e 3(4) / Yutu (2) a fait et fait encore ses preuves en termes d’exploration in situ. De plus, la plupart des manœuvres réalisées au sol sont faites automatiquement, ce qui pourra servir de bonne base pour une mission complètement automatique sur la planète rouge. Cependant, le défi est de taille pour la CNSA, car jamais la Chine n’est allée plus loin que la Lune.
Chang’e 5 et ses défis encore non-résolus
Pour l’instant, l’objectif principal que la CLEP a dans le viseur est la mission de retour d’échantillon Chang’e 5 et tous les défis technologiques qu’elle comporte. Alors qu’on attend le très important vol test (prévu cet été) de la Long March 5 qui emportera Chang’e 5 vers la Lune, l’alunissage au pôle sud reste encore un défi pas tout à fait résolu. Zhang He, directrice exécutive de la mission Chang’e 4, rappelle lors d’un interview qu’en terme de précision, l’alunissage de Chang’e 5 au pôle sud reste à garantir. Petite comparaison sur la taille de l’aire d’alunissage :
- Chang’e 3 ………………………………………………. plusieurs centaines de km²
- Chang’e 4 ……………………………………………………………………. plusieurs km²
- Chang’e 5 …………………………………………………………………………….. < 1 km²
Le terrain du pôle sud est beaucoup plus rude et pentu. De plus certaines zones sont à l’ombre en permanence, et perdre Chang’e 5 dans une de ces zones comme on a perdu Philae n’est pas en option. Enfin le pôle sud est très froid, car le soleil y est bas en permanence. Ajoutez toutes ces contraintes à celle d’avoir la technologie pour assurer le premier retour d’échantillon de l’histoire du spatial chinois et vous comprendrez que Chang’e 5 est une mission de nouvelle dimension pour la CNSA, mais toute aussi importante pour la CLEP et la suite de son programme. Cependant le calendrier tient bon et Wu Weiren a confirmé lors du CCPPC que Chang’e 5 décollera bien en fin 2019.
Pour plus d’informations sur la mission Chang’e 4, regardez ici :
Chang’e 4 et Yutu2 sur la Lune : la conquête spatiale made in China
Reprise de la mission Chang’e-4 : le retour du Lapin de Jade
La Chine sur la Lune : plus d’images !
Chang’e 4 : dernières nouvelles
Sources : Planetary.org, Andrew Jones, China in dialogue..
La future sonde martienne chinoise sera-t-elle lancée par la CZ-5 (ou LM-5) ou par la future CZ-9 (ou LM-9) dont il devrait exister 3 versions ?
La CZ-9 ne sera probablement pas prête pour un lancement en 2020, bien que la CNSA indique que déjà une dizaine de lancements seraient prévus pour 2020-2021. Beaucoup d’observateurs s’accordent sur le point que ce sera plutôt pour 2021 que 2020, ce sera trop tard pour Mars.
La CZ-5 serait plutôt mon option, surtout qu’elle aura déjà fait ses preuves cette année avec le vol test en juillet puis la mission Chang’e 5.