Wally Funk, la revanche d’une des Mercury 13
Wally Funk, une américaine de 82 ans va voler à la frontière de l’espace ce 20 juillet à bord de la New Shepard de Blue Origin pour un vol suborbital de quelques minutes. Avec ce vol en tant qu’invitée d’honneur, ce sera comme une revanche sur la NASA qui ne lui a permis de réaliser un vol spatial dans les années 60.
Retour sur un parcours hors norme avec un rêve qui va enfin arriver.
Voler, voler, voler
Depuis son enfance, Mary Wallace « Wally » Funk rêve de voler.
Wally a appris à voler au Stephen’s College de Columbia, dans le Missouri, à l’âge de 16 ans, avant de rejoindre les « Flying Aggies » de l’Oklahoma State University, un club aéronautique d’étudiants.
Au cours de sa carrière, elle est devenue inspectrice de vol pour la Federal Aviation Administration (FAA) et enquêteuse sur la sécurité aérienne pour le National Transportation Safety Board (NTSB).
Toute sa vie, elle s’est consacrée au pilotage et à la promotion de l’aviation, donnant des conférences devant des milliers de pilotes expérimentés. Elle a accumulé plus de 19 600 heures de vol et a formé au moins 3 000 pilotes. Elle a aussi remporté des courses d’avions.
Elle est entrée dans l’histoire à trois reprises en tant que femme : la première instructrice de vol civil à Fort Sill dans l’Oklahoma, une école de l’air américaine, le premier inspecteur de la FAA et la première enquêtrice sur les accidents aériens du NTSB (où elle a fait la découverte bizarre que les personnes qui meurent dans des accidents de petit avion ont souvent leurs bijoux, leurs chaussures et leurs vêtements arrachés par l’impact).
Pour les pilotes, au moins américains, Wally Funk est bien connue en tant que pilote qualifiée et instructrice de vol. Mais pour la plupart du monde, elle est surtout connue comme l’une des femmes du groupe « Mercury 13 », nom inventé par un producteur en référence au groupe Mercury 7 des premiers astronautes (hommes) de la NASA.
Le programme First Lady Astronaut Trainees
En 1960, une fondation privée a organisé des tests physiques et mentaux à Albuquerque au Nouveau-Mexique, similaires à ceux utilisés pour former le corps des astronautes de la NASA, constitué exclusivement d’hommes à l’époque. Ce programme, First Lady Astronaut Trainees, ou FLAT, était dirigé par le Dr William Randolph Lovelace, médecin de l’aérospatiale et chef du comité des sciences de la vie de la NASA.
A l’époque, on ne connaissait rien de l’espace et de ses effets sur le corps humain. Pour s’assurer que les astronautes seraient capables de gérer les rigueurs du fonctionnement en microgravité, les tests étaient incroyablement approfondis afin de faire face à tous les défis connus et inconnus des voyages spatiaux.
Ces tests comprenaient de nombreuses radiographies et un examen de la vue de quatre heures. Un vélo stationnaire spécialement lesté poussait les femmes à l’épuisement tout en testant leur respiration. Les médecins ont fait avaler aux femmes un tube en caoutchouc afin qu’elles puissent tester leurs acides gastriques. Une table basculante testait la circulation sanguine. À l’aide d’une impulsion électrique, les médecins ont testé les réflexes nerveux dans leurs bras. De l’eau glacée a été injectée dans les oreilles pour provoquer le vertige afin que les médecins puissent chronométrer la vitesse à laquelle elles se sont rétablies. Ils ont calculé la masse corporelle maigre des candidates à l’aide d’un compteur nucléaire à Los Alamos.
Les tests avaient commencé en février 1960 avec Geraldyn « Jerrie » Cobb, une pilote expérimentée, qui réussit tous les tests. le Dr Lovelace invite alors d’autres femmes à rejoindre le programme. Jacqueline Cochran, une célèbre pilote, femme d’affaires et vieille amie de Lovelace, rejoint le projet en tant que conseillère et elle paye tous les frais des candidates.
Les femmes devaient avoir moins de 35 ans, être en bonne santé, détenir un diplôme médical de deuxième classe, quatre ans d’études collégiales, une qualification commerciale ou mieux et avoir plus de 2 000 heures de vol.
En tout 25 femmes sont identifiées, 19 femmes se sont inscrites. Seulement 13 sont finalement sélectionnées, dont Wally Funk, qui avait à l’époque 21 ans et était la plus jeune du groupe. La candidate la plus âgée, Jane Hart, était âgée de 41 ans (au-delà de l’âge prévu ?!), mère de huit enfants et épouse d’un sénateur américain (Philip Hart-D du Michigan).
Jerrie Cobb
Wally Funk
Irene Leverton
Myrtle « K » Cagle
Jane B. Hart
Gene Nora Stumbough [Jessen]
Jerri Sloan [Truhill]
Rhea Hurrle [Woltman]
Sarah Gorelick [Ratley]
Bernice « B » Trimble Steadman
Janet Dietrich
Marion Dietrich
Jean Hixson
Toutes les femmes étaient des pilotes d’avion qualifiées avec des qualifications commerciales. La plupart d’entre elles ont été recrutées par l’intermédiaire des Ninety-Nines, une organisation de femmes pilotes. D’autres ont entendu parler du test par le biais d’amis ou d’articles de journaux et se sont portées volontaires.
Quelques femmes ont passé des tests supplémentaires. Jerrie Cobb, Rhea Hurrle et Wally Funk se sont rendues à Oklahoma City pour un test d’isolement et des évaluations psychologiques. Cependant, en raison d’autres engagements familiaux et professionnels, toutes les femmes n’ont pas été invitées à passer ces tests. Le groupe devait se rassembler à Pensacola, en Floride, à la Naval School of Aviation Medicine pour subir des examens aéromédicaux avancés à l’aide d’équipements militaires et d’avions à réaction. Deux d’entre elles ont quitté leur emploi pour pouvoir y participer. Quelques jours avant de se présenter, les candidates ont reçu des télégrammes annulant brusquement les tests de Pensacola. Sans une demande officielle de la NASA pour effectuer les tests, la Marine n’autoriserait pas l’utilisation de ses installations pour un projet non officiel…
Jerrie Cobb s’est immédiatement rendue à Washington DC pour tenter de reprendre le programme de tests. Elle et Jane Hart ont écrit au président John Kennedy et ont rendu visite au vice-président Lyndon Johnson. Enfin, les 17 et 18 juillet 1962, des audiences publiques sont organisées devant un sous-comité spécial du comité de la Chambre sur la science et l’astronautique. De manière significative, les audiences ont enquêté sur la discrimination sexuelle deux ans avant que la loi sur les droits civils de 1964 ne rende cela illégal. Cobb et Hart ont témoigné des avantages du projet privé de Lovelace. Jackie Cochran a fait part de ses inquiétudes quant au fait que la mise en place d’un programme spécial pour former une femme astronaute pourrait nuire au programme spatial (pour des motivations politiques d’après certains). Des représentants de la NASA et les astronautes John Glenn et Scott Carpenter ont déclaré que les femmes ne pouvaient pas se qualifier comme candidates astronautes. La NASA exigeait que tous les astronautes soient diplômés des programmes de pilotage d’essais de jets militaires et aient des diplômes d’ingénieur. En 1962, aucune femme ne pouvait répondre à ces exigences. Bien que le sous-comité ait été favorable aux arguments des femmes, aucune mesure n’a été prise.
Le nom et les visages des 13 candidates astronautes deviennent vraiment publics dans le magazine Life en 1963 au lendemain du vol de Valentina Terechkova, la première femme dans l’espace.
Wally Funk a postulé à la NASA à deux reprises en 1962 pour les missions Gemini et à nouveau en 1966. Au fil des ans, elle a postulé quatre fois pour devenir astronaute et a été refusée car elle n’avait jamais obtenu de diplôme d’ingénieur. Alors que certains des premiers astronautes masculins, comme John Glenn non plus…
Il faudra attendre 1983 pour avoir la première femme Américaine dans l’espace.
Eileen Collins a été la première femme à piloter la navette spatiale en 1995 (STS-63). À l’invitation de Collins, 7 des candidates survivantes ont assisté à son premier lancement. Collins est également devenue la première femme à commander une mission de navette spatiale en 1999 (STS-93). En 2005, elle a commandé la mission de retour en vol de la NASA, STS-114.
Un pied de nez à John Glenn et à Virgin Galactic ?
Sur certains tests du programme FLAT, Wally Funk a obtenu de meilleurs résultats que l’astronaute John Glenn, le premier Américain en orbite terrestre en févier 1962. En 1998, John Glenn est retourné en orbite à bord de la navette spatiale Discovery, mission STS-95, devenant la personne la plus âgée à voler dans l’espace à l’âge de 77 ans. Wally Funk va désormais battre son record.
En 2000, Wally s’était préparée pour effectuer le vol inaugural du premier véhicule réutilisable développé en privé d’Interorbital Systems dans le cadre du concours Ansari X-Prize. Ce prix fut remporté par le SpaceShipOne, prédécesseur du SpaceShipTwo de Virgin Galactic. Elle avait notamment passé une semaine à s’entraîner au centre d’entraînement des cosmonautes Youri Gagarine à Star City, en Russie.
En 2010, Wally a acheté un billet sur Virgin Galactic pour 200 000 $, espérant que cela la mènerait enfin dans l’espace.
Finalement ce 20 juillet, elle va monter enfin dans l’espace, mais à bord de New Shepard !
Pour en savoir plus, je vous recommande le documentaire « Mercury 13 » sur Netflix.
Sources : articles NASA, New York Times
En plus des 13 constituant le groupe dit « Mercury 13 », les 6 autres (13 + 6 = 19) étaient Frances S. Bera, Virginia B. Holmes, Patricia K. Jetton, Georgiana T. McConnell, Joan Merriam (–> Smith) et Betty J. V. Miller.
Les 6 suivantes (19 + 6 = 25) étaient Dorothy J. Anderson, Marjorie B. Dufton, Elaine Harrison, Marilyn C. Link, Frances H. Miller et Sylvia Y. Roth.
NB : Janet (pas « Jan ») et Marion Dietrich étaient deux soeurs jumelles.
NB : Jean Hixson fut l’une des premières femmes à avoir passé le mur du son (Mach 1) en 1957.
Les « Mercury 13 » à l’entrainement (crédit Netflix) : A part Sarah Lee Gorelick, quelles sont les 4 autres ?