Rêves d'Espace

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Exploration lointaine

Juice : destination Jupiter et ses lunes glacées

La mission européenne Juice s’est envolée le 14 avril à bord d’une Ariane 5 pour un long voyage de 8 ans. JUICE, pour JUpiter ICy moons Explorer, va aller explorer 3 des plus grandes lunes de Jupiter et la géante gazeuse.

Décollage Ariane 5 VA260 le 14/04/2023 avec la sonde JUICE de l’ESA à bord (crédits : ESA / Stéphane Corvaja)
Juice avant la mise sous coiffe, installée sur le lanceur Ariane 5 (crédit ESA/Arianespace/CNES)

Juice est la première mission développée par l’Europe vers Jupiter. Elle va explorer le système jovien avec un focus sur les 3 lunes glacées Ganymède, Europe et Callisto. Les instruments de la mission vont aider les scientifiques à comprendre s’il y a des conditions favorables à l’habitabilité dans cette région du Système Solaire. Mais l’arrivée à Jupiter ne se fera pas avant 2031 après de nombreuses assistances gravitationnelles. La construction de la sonde a dû faire face à de nombreux défis. Découvrez dans la suite de l’article la mission passionnante Juice plus en détail !

Le système jovien : des lunes glacées aux océans souterrains potentiellement habitables

Jupiter est la plus grande planète du Système Solaire (11 fois la taille de la Terre) et se trouve en moyenne à 778 millions de km du Soleil (ou 5,2 Unités Astronomiques – 1UA = distance Terre-Soleil). Elle est située en moyenne à 628 millions de km de la Terre.

La planète géante possède 92 lunes confirmées car on en découvre encore de nouvelles régulièrement [12 nouvelles lunes joviennes en 2018]. Les 4 plus grosses ont été découvertes en 1610 par Galilée et on les appelle les lunes galiléennes : Io, Europe, Ganymède et Callisto.

Io, Europe et Ganymède sont en résonance orbitale 4:2:1. Lorsque Ganymède tourne autour de Jupiter, Europe a effectué pendant ce temps 2 tours et Io 4 orbites.

Exceptionnelle image de Jupiter et des 4 lunes galiléennes prises par le satellite d’observation de la Terre PléiadesNeo en orbite terrestre (crédit Airbus Space).

En partant de Jupiter et en allant vers l’extérieur, Io est la première et est soumise à des forces de marées engendrées par la résonance des lunes avec la force gravitationnelle de Jupiter qui en font une lune la plus volcaniquement active du Système Solaire, avec des centaines de volcans, certaines fontaines de lave en éruption à des dizaines de kilomètres de haut [en savoir plus sur les marées du système jovien].

Europe, légèrement plus petite que la Lune terrestre, présente une surface de glace mais sous laquelle il semblerait y avoir un océan d’eau salée qui contiendrait deux fois plus d’eau que les océans de la Terre réunis. Comme la Terre, Europe contiendrait également un manteau rocheux et un noyau de fer. Europe tourne une fois sur son axe et complète une orbite de Jupiter tous les 3,5 jours terrestres, de sorte que le même côté d’Europe fait toujours face à Jupiter. Il existe des preuves très solides suggérant que l’océan d’Europe est en contact avec la roche. La vie telle que nous la connaissons nécessite trois « ingrédients » de base clés : l’eau liquide, une source d’énergie et les composés organiques à utiliser comme éléments constitutifs des processus biologiques. Europe pourrait avoir ces trois ingrédients, et son océan pourrait avoir existé depuis les débuts du Système Solaire, assez longtemps pour que la vie y commence et évolue.

Ganymède est la plus grande lune du Système Solaire et est plus grande que la planète Mercure et la planète naine Pluton. Elle orbite autour de Jupiter en 7 jours terrestres. D’une masse 2 fois plus faible que Mercure, Ganymède possède un océan souterrain d’eau salée qui pourrait contenir plus d’eau que toute l’eau à la surface de la Terre et qui est estimé d’une centaine de kilomètres de profondeurs (10 fois plus que sur Terre). Contrairement à celui d’Europe, l’océan souterrain de Ganymède n’est probablement pas en contact direct avec le manteau rocheux, mais séparé de celui-ci par une couche de glace de haute pression. Ganymède est la seule lune connue pour avoir son propre champ magnétique. Le champ magnétique provoque des aurores (observées par le télescope spatial Hubble) ou des rubans lumineux de gaz brillant qui entourent les pôles de la lune. Il existe des preuves que Ganymède a une atmosphère ténue en oxygène.

Callisto est la deuxième plus grande lune de Jupiter et la troisième plus grande lune de notre Système Solaire (après Ganymède et Titan), à peu près de la taille de Mercure. Elle orbite à environ 1,9 million de kilomètres de Jupiter en 17 jours terrestres. Grâce aux données de la sonde Galileo, les scientifiques pensent que Callisto pourrait avoir un océan salé sous sa surface glacée et rocheuse qui interagit avec une couche de roches. Les très rares petits cratères de Callisto indiquent un petit degré d’activité de surface. L’oxygène a été détecté dans l’exosphère

Les objectifs scientifiques de JUICE

Depuis 1972, plusieurs sondes de la NASA ont exploré Jupiter et ses lunes : Pioneer 10, Pioneer 11, Voyager 1 et 2, Galileo, Cassini-Huygens, New Horizons et Juno. Seules Galileo (1995-2003) et dernièrement Juno (mise sur orbite en 2016) se sont mises en orbite de la planète géante. Toutes ces missions nous ont donné un aperçu des plus grandes lunes de la planète géante. La mission Juno de la NASA a récemment survolé Europe et Ganymède.

Les trois plus grandes lunes glacées de Jupiter, Europe, Ganymède et Callisto, montrent toutes des indices d’hébergement des océans d’eau liquide sous leurs croûtes. Sur Terre, la vie prospère dans les parties les plus profondes et les plus sombres de nos océans près des évents hydrothermaux.

Ainsi, en découvrant si les lunes glacées de Jupiter sont habitables, Juice élargira considérablement les endroits possibles pour chercher la vie dans l’Univers, car jusqu’à présent la majorité des exoplanètes découvertes ressemblent à Jupiter.

Les 3 lunes cibles de Juice (crédit ESA)

Juice recherchera de l’eau liquide sous les sites les plus actifs observés à la surface d’Europe. La sonde étudiera l’échange de matériaux entre l’intérieur et la surface, ainsi que mesurera le champ de gravité de la lune pour mieux définir sa structure et ses couches. Juice explorera également la petite atmosphère de la lune en recherchant des panaches de vapeur d’eau (comme cela a été précédemment détecté par Hubble).

Ganymède est la seule lune du Système Solaire à générer son propre champ magnétique, qui a des interactions complexes avec le vaste champ magnétique de Jupiter, et Juice étudiera la relation entre les deux. La sonde étudiera également l’atmosphère, la surface, la sous-surface, l’intérieur et l’océan intérieur de Ganymède.

Juice se concentrera sur la compréhension de la structure intérieure et la détection de l’océan souterrain supposé de Callisto.

Huit ans de voyage et des survols, beaucoup de survols

Le voyage pour aller vers le système jovien est long : 8 ans. L’impulsion donnée par la fusée Ariane 5 a permis de s’extraire de la gravité terrestre mais ne suffit pas à gagner suffisamment de vitesse pour rejoindre Jupiter avec le carburant embarqué dans Juice (Ariane 5 n’a fourni que 15% d’énergie cinétique nécessaire). La sonde fait 6 tonnes dont 3,6 tonnes d’ergols mais faire une sonde plus massive n’était pas envisageable. Alors la sonde va effectuer des assistances gravitationnelles : elle va profiter de la gravité de planètes pour gagner en accélération en faisant des orbites de transfert de Hohmann.

Juice va effectuer un premier survol Lune puis Terre en août 2024, de Vénus en août 2025, à nouveau de la Terre en septembre 2026 et janvier 2029 avant de rentrer dans le système jovien en juillet 2031.

Le survol de Juice du système Terre-Lune, connu sous le nom de Lunar-Earth Gravity Assist (LEGA), est une première mondiale : en effectuant cette manœuvre, un survol gravitationnel de la Lune suivi à peine 1,5 jour plus tard par celui de la Terre, Juice pourra économiser une quantité importante de carburant.

Juice commencera sa mission scientifique environ 6 mois avant d’entrer en orbite autour de Jupiter, faisant des observations à l’approche de sa destination. Une fois dans le système jovien, un premier survol gravitationnel de Ganymède en juillet 2031 aidera Juice à entrer en orbite autour de la planète géante.

Une fois en orbite de Jupiter, Juice fera 1 premier survol d’Europe en juillet 2032. Plusieurs survols de Callisto en 2032 et 2034 ne seront pas seulement utilisés pour étudier cette lune mais changeront également l’angle de l’orbite de Juice par rapport à l’équateur de Jupiter, permettant d’étudier les régions polaires et l’environnement de Jupiter à des latitudes plus élevées. Il y aura en tout 12 survols de Ganymède, 21 flybys de Calisto et 2 survols d’Europe.

En décembre 2034, Juice effectuera son insertion orbitale autour de Ganymède, ce qui en fera le premier vaisseau spatial à orbiter autour de la lune d’une autre planète. L’orbite elliptique initiale de Juice sera suivie d’une orbite circulaire à 5 000 km d’altitude, puis d’une orbite circulaire à 500 km d’altitude. Au fil du temps, l’orbite de Juice autour de Ganymède entraînera la sonde pour se désintégrer naturellement sur la lune Ganymède fin 2035, car il n’y aura plus assez de carburant pour maintenir l’orbite.

Au final, Juice effectuera un périple d’environ 5 milliards de kilomètres.

Juice, une sonde aux nombreux challenges

Juice est une sonde de l’Agence Spatiale Européenne (ESA) dont le projet a commencé officiellement en 2015. La maîtrise d’œuvre de la sonde a été confiée à Airbus Defence and Space. De nombreuses agences, organisations et entreprises ont contribué au développement de la sonde en Europe. La NASA, la JAXA (agence spatiale japonaise) et l’ISA (Israël Space Agency) y contribuent actuellement. Pour les instruments scientifiques, ce sont 9 laboratoires français qui participent à 6 des instruments et 16 participent à la calibration en vol des instruments et au traitement des données.

Comme vous avez pu lire plus haut, le voyage pour Juice sera long et en plus, Jupiter c’est loin du Soleil et ce n’est pas un environnement des plus confortables. Les ingénieurs d’Airbus et de l’ESA ont donc conçu une sonde sur mesure.

La sonde pèse 6,2 tonnes au lancement, mais avec 3,6 tonnes de carburants, NTOet MMH (60% de la masse totale), nécessaires à toutes les manœuvres de trajectoire pour se rendre à Jupiter et ensuite pour la mise sur orbite de Ganymède. Les instruments scientifiques ne pèsent que 220 kg (5% de la masse totale).

Jupiter, c’est loin et le flux solaire est là-bas 25 plus faible que sur Terre. Pour collecter les photons, Airbus a donc pour la première fois fabriqué les plus grands panneaux solaires pour une sonde interplanétaire : 85 m² de surface au total sur 2 ailes de 5 panneaux de 6 m de long (un court de tennis). La sonde fait ainsi 27 m d’envergure (presque l’envergure d’un avion Airbus A320). Ce record sera dépassé par une autre sonde construite par Airbus et actuellement en cours de développement : Mars Sample Return – Earth Return Orbiter. Les panneaux solaires ne délivreront que 800 watts de puissance et donc il a fallu optimiser les consommations électriques des équipements à bord.

Photo de 3 panneaux solaires de Juice déployés (crédit Airbus)

Juice va passer à travers les champs électromagnétiques de Jupiter et de Ganymède. Cela peut perturber les équipements électroniques et les instruments scientifiques. Du coup, les équipements les plus sensibles ont été placés dans des « coffres » blindés au plomb et aluminium. Il y a plus de 100 kg de blindage ! L’ensemble de la sonde a subi un test de compatibilité électromagnétique (CEM) pour vérifier la non-perturbation des équipements par les ondes électromagnétiques mais aussi pour vérifier l’absence de perturbation des équipements sur les magnétomètres très précis J-MAG et RPWI.

Juice en tests de compatibilité électromagnétiques chez Aibus Space (crédit Rêves d’Espace)

Juice va connaître des températures extrêmes pendant sa route : jusqu’à -220 °C durant les éclipses (hors de vue du Soleil) et jusqu’à +250 °C au passage de Vénus. Pour que les équipements électroniques de Juice supportent ces écarts, l’intérieur de la sonde est protégé par un système d’isolants thermiques multicouches (MLI, Multi-Layer Insulation), jusqu’à 25 couches à certains endroits, spécifiques recouverts de kapton aluminisé Stamet, d’où la couleur argentée. Cette surface est très conductrice et permet une différence de potentiel à tout point du satellite de moins de 1 volt pour assurer également la CEM.

Juice embarque une antenne Haut Gain de 2,6 m de diamètre afin de transmettre les données scientifiques vers la Terre et recevoir les télécommandes. Une fois dans le système jovien, le signal met 40 minutes en moyenne pour faire Terre-Jupiter et autant pour le retour. Cette antenne servira également de bouclier thermique pendant les phases à haute température lors du vol de croisière.

Une fois séparée du lanceur, Juice est commandée par le centre des Opérations de l’ESA, l’ESOC, à Darmstadt en Allemagne.

Première acquisition du signal de Juice, une fois la sonde larguée du lanceur Ariane 5 (crédit ESOC).

Mais la sonde ne sera pas toujours face à la Terre. Ainsi il y a une mémoire de masse de 1 To pour garder les données scientifiques en attendant la visibilité d’une antenne terrestre. Pour la navigation de la sonde, des algorithmes intelligents ont été développés par Airbus pour une grande autonomie, notamment lors des survols des lunes glacées et optimiser précisément ces manœuvres, ce qui ne pourrait pas être fait depuis la Terre.

Plus détails sur l’architecture de Juice :

Les instruments scientifiques en détails

Juice est équipée de 10 instruments scientifiques de télédétection, géophysique et in situ fournis par des agences et des laboratoires.

  • 3GM (Gravity & Geophysics of Jupiter and Galilean Moons) est un ensemble radio comprenant le transpondeur en bande Ka, USO (oscillateur ultra-stable) et HAA (High Accuracy Accéléromètre). L’instrument étudiera le champ de gravité à Ganymède, l’étendue des océans internes sur les lunes glacées, et la structure de l’atmosphère neutre et l’ionosphère de Jupiter et de ses lunes. Fournisseur : ASI (Agence Spatiale Italienne).
  • GALA (GAnymede Laser Altimeter), un altimètre laser qui étudiera la déformation des marées de Ganymède et la topographie des surfaces des lunes glacées. Fournisseur : DLR (Allemagne).
  • JANUS (d’après l’expression latine Jovis, Amorum ac Natorum Undique Scrutator, scrutateur de Jupiter et de tous ses amours et descendants) est un système de caméra optique, qui étudiera les caractéristiques globales, régionales et locales des lunes glacées, et qui cartographiera les nuages ​​de Jupiter. Elle aura une résolution jusqu’à 2,4 m sur Ganymède et environ 10 km sur Jupiter. Fournisseur : ASI (Agence Spatiale Italienne).
  • J-MAG est le magnétomètre. Il est équipé de capteurs pour caractériser le champ magnétique jovien et son interaction avec celui de Ganymède, et d’étudier le sous-sol des océans des lunes glacées. Fournisseur : UKSA (agence spatiale du Royaume Uni).
  • MAJIS (Moons and Jupiter Imaging Spectrometer) est le spectromètre imageur des lunes et de Jupiter. Il observera les caractéristiques des nuages et les constituants atmosphériques sur Jupiter, et caractérisera les glaces et les minéraux sur les surfaces des lunes glacées. Fournisseur : CNES (agence spatiale française).
  • PEP (Particle Environment Package) est un ensemble de capteurs pour caractériser l’environnement plasma du système jovien. Fournisseurs : SNSB (Suède) et Johns Hopkins Applied Physics Laboratory (APL) (USA).
  • RIME (Radar for Icy Moons Exploration) est un radar pénétrant dans la glace pour étudier la structure souterraine des lunes glacées jusqu’à une profondeur d’environ neuf kilomètres. C’est une antenne de 16 mètres de long. Fournisseur : ASI.
  • RPWI (Radio and Plasma Wave Investigation) caractérisera l’émission radio et l’environnement plasma de Jupiter et de ses lunes glacées à l’aide d’une suite de capteurs et de sondes. Fournisseur : SNSB (Suède)
  • SWI (Sub-millimeter Wave Instrument) l’instrument à ondes submillimétriques étudiera la structure de la température, la composition et la dynamique de l’atmosphère de Jupiter, ainsi que les exosphères et les surfaces des lunes glacées. Fournisseur : DLR (Allemagne).
  • UVS est un spectrographe d’imagerie UV pour caractériser la composition et la dynamique des exosphères des lunes glacées, étudier les aurores joviennes et d’étudier les compositions et la structure de la haute atmosphère de la planète. Fournisseur : NASA (USA).

La mission effectuera également une expérience d’interféromètre radio planétaire et de Doppler (PRIDE), qui utilisera le système de télécommunication standard de la sonde, ainsi qu’avec des radiotélescopes sur Terre pour effectuer des mesures précises de la position du satellite et la vitesse pour étudier les champs de gravité de Jupiter et des lunes glacées.

Plus de détails sur les instruments sur le site du CNES.

En complément d’Europa Clipper

Juice est davantage focalisée sur la lune Ganymède. L’environnement radiatif est très rude autour d’Europe car elle est beaucoup plus proche de Jupiter, et donc Juice ne fera que deux survols de cette lune, mais la mission Europa Clipper de la NASA va étudier plus particulièrement la lune Europe.

Juice va ainsi compléter directement les résultats des missions Juno (en cours) et Europa Clipper (qui doit décoller en 2024) de la NASA.

Selon l’ESA, l’équipe scientifique d’Europa Clipper et l’équipe scientifique de Juice travaillent déjà ensemble pour maximiser la récolte scientifique des deux missions. Une réunion commune est organisée environ une fois par an et les deux équipes sont en contact régulier entre ces réunions.

Les visuels ESA sont issus du kit de lancement très bien fait et disponible ici en français : https://esamultimedia.esa.int/docs/science/Juice-LaunchKit_FR.pdf

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