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Falcon Heavy ou comment un monstre change la donne

La Falcon Heavy, la puissance en 2.0, le “low-cost” en lourd, le renouveau des géants. Celle qui nous a fait rêver pendant des jours lors du tir du 6 février 2018 est de retour, mais cette fois-ci le rêve et la démonstration de force de SpaceX font place au business. Le 11 avril, la Falcon Heavy est entrée en phase commerciale avec comme premier client Arabsat, 14 mois après le tir inaugural.

 

Un lancement attendu (enfin elle revient !)

Le lancement a eu lieu dans la nuit du jeudi 11 avril au vendredi 12 avril à 00h35 heure française (18h35 heure locale), depuis le Launch Complex 39A (LC-39A) au Kennedy Space Center (KSC). Ce pas de tir, rappelons-le, a été témoin d’une grande partie de la conquête spatiale américaine. Inauguré par la toute première Saturn V en 1967 (Apollo 4), le LC-39A a témoigné des décollages de toutes les missions Apollo (sauf Apollo 10). Ensuite, depuis le LC-39A, a décollé également la toute première navette spatiale américaine Columbia pour la mission STS-1 le 12 avril 1981. 81 autres missions STS ont décollé du LC-39A, dont la toute dernière, STS-135, en 2011. En 2014, la NASA et SpaceX signent une convention d’utilisation du LC-39A par SpaceX, pour 20 ans. Après plusieurs modifications, le LC-39A est utilisé pour la première fois par SpaceX le 19 février 2017 (Falcon 9 – CRS-10).

Parmi les modifications apportées, un nouveau centre d’assemblage horizontal des Falcon est installé au lieu d’utiliser les bâtiments d’assemblage vertical déjà présents, comme le VAB (Vehicle Assembly Building) ou la MLP (Mobile Launcher Platform). Ainsi, SpaceX peut rouler la Falcon du bâtiment au pas de tir plusieurs fois avant le décollage, notamment pour faire le test de mise à feu statique (static fire). Ce dernier, concernant le tir Arabsat, s’est fait le 5 avril. Pendant 12 secondes, les 27 moteurs Merlin 1D des trois boosters ont été allumés. Pour éviter de créer une trop forte pression instantanée sur la fusée, les moteurs ont été allumés deux par deux.

Les toutes premières dates de tir pour Arabsat prévoyaient un lancement fin 2018. Comme d’habitude, SpaceX a eu un peu de mal à être fidèle aux dates annoncées. De novembre 2018 à janvier 2019, les trois boosters sont testés au centre McGregor de SpaceX, au Texas. Après le lancement de la capsule Crew Dragon DM-1, les techniciens modifient l’érecteur (Transporter Erector) pour qu’il puisse accueillir la Falcon Heavy. En février, les trois boosters arrivent au LC-39A pour être assemblés. La première date concrète prévue était le 9 avril. Une météo défavorable décale le tir au 10 avril, puis les vents de haute altitude décalent eux aussi le tir au 11 avril.

 

IMPRESSIONNANT

Une fois de plus le lancement était magnifique à voir. Il y avait de quoi être scotché à son siège quand les deux boosters latéraux se posaient côte à côte. La séquence du lancement a commencé plusieurs heures avant le décollage. C’est la météo qui donnait le premier feu vert (à 90% favorable). Cette fois-ci aucun problème avec les vents de haute altitude et la préparation du lancement suit son cours. L’ambiance n’était pourtant pas terrible au début de la soirée. Quelques heures avant le décollage, les Israéliens de SpaceIL chantaient l’adieu à l’atterrisseur Beresheet qui venait de se crasher dans la Mer de la Sérénité sur la Lune.

Les choses sérieuses commencent 53 minutes avant le décollage quand le directeur de vol donne le feu vert pour le remplissage des réservoirs. Dans l’ordre, on remplit en premier les réservoirs du premier étage et des boosters latéraux de kérosène, puis d’oxygène liquide (LOX). Ensuite on fait de même avec le second étage. 7 minutes avant le décollage, on refroidit les moteurs. 90 secondes avant le décollage, l’ordinateur de bord de la Falcon Heavy prend le contrôle et exécute une dernière séquence de vérification, puis met les réservoirs sous pression pour préparer la mise à feu. Enfin, à T-45s, le directeur de vol donne l’ultime feu vert pour le décollage.

00h35, dans un nuage de fumée tellement gros qu’il rappelle les lancements STS, la Falcon Heavy décolle. Les 27 moteurs Merlin 1D s’allument et lèvent le monstre de plus de 1300 tonnes avec une poussée de plus de 2300 tonnes (22819 kN). Une minute après, la Falcon Heavy franchit la vitesse du son et devient supersonique. C’est la phase où la Falcon Heavy subit la plus grosse pression aérodynamique (Max-Q).

Deux minutes après le décollage, les moteurs des boosters latéraux s’éteignent, les boosters se séparent simultanément de l’étage central et commencent un ballet de danse synchronisée pour reprendre la direction du KSC. A T+3:31, l’étage central éteint ses moteurs et se sépare du second étage, qui allume son unique moteur Merlin 1D. Peu après la coiffe est larguée. Les morceaux ne seront pas récupérés par le bateau Mr Stevens, qui subissait semble-t-il un problème technique au large de la Floride.

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Le ballet des boosters (crédit SpaceflightNow)

Alors que le second étage fonctionne nominalement, le ballet des boosters entame la phase d’entrée atmosphérique. T+6:11, chaque booster exécute une première mise à feu d’un de ses moteurs (burn) pour freiner leur descente. A T+7min, l’étage central fait de même. Ce dernier, lui, n’a pas fait de manœuvre pour revenir au KSC et se dirige vers la barge “Of Course I Still Love You” dans l’océan Atlantique. A T+7:51, les boosters se posent dans les landing zones 1 et 2 non loin du pas de tir avec une précision démentielle. L’un d’entre eux finit toutefois sa course posé de travers.

Ensuite, c’est le moment parmi les plus attendus : le posé de l’étage central. La dernière fois, ce dernier n’avait plus assez de carburant pour alimenter son “burn” de freinage à la surface pour se poser en douceur. Il s’était crashé dans l’eau à quelques centaines de mètres de la barge. Cette fois-ci, SpaceX a conjuré le sort en posant sans encombre son étage central sur “Of Course I Still Love You”. Cette dernière étape de récupération des boosters était pour SpaceX un dernier saut dans la nouveauté car c’est la première fois qu’ils posent un étage venant aussi vite de l’espace.

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Etage central posé ! (crédit SpaceX)

Enfin, le second étage a fini l’œuvre en mettant Arabsat 6A en orbite. La livraison a duré en tout 34 minutes, dont seulement 10 pour que le passager atteigne la vitesse de 26 000 km/h ! C’est un parfait sans-faute pour une Falcon Heavy flambant neuve. La précédente était montée avec trois étages bloc 4 tous d’occasion. La nouvelle Falcon Heavy disposait de trois étages bloc 5 neufs : les boosters latéraux B1052 et B1053 ainsi que l’étage central B1055. Les boosters seront réutilisés lors du prochain tir Falcon Heavy prévu initialement en juin pour la mission STP-2, un lancement partagé par trois passagers dont un nouveau prototype de voile solaire de Planetary Society. Pour cette mission, les boosters s’ajouteront à B1057, un étage central neuf.

Qu’en sera-t-il des coiffes ? Elles n’ont pas été capturées par Mr Stevens mais elles ont été récupérées. Elon Musk a annoncé dans un tweet le 12 avril que les coiffes seront réutilisées dans un prochain vol. Ce sera la première fois que des coiffes seront réutilisées pour un second vol. Le fondateur de SpaceX a également annoncé que le vol concerné sera pour lancer des satellites Starlink, la future constellation de satellites de communication de SpaceX.

 

Arabsat 6A, la stratégie de la longévité porte le choix de la Falcon Heavy

Arabsat 6A était l’unique passager de ce lancement. Ce satellite de télécommunication de 6.4 tonnes a été construit par Lockheed Martin pour l’opérateur saoudien Arabsat. Lockheed Martin a fourni la plateforme satellite LM 2100, disposant notamment d’un système de propulsion avec un moteur principal hypergolique et de propulseurs à hydrazine pour que le satellite se stabilise sur son orbite. Arabsat 6A dispose de transpondeurs en bande Ka et Ku améliorés pour établir une liaison de haute qualité. Le satellite fournira télévision, internet et communications mobiles aux clients au Moyen-Orient, en Afrique et au sud de l’Europe.

Arabsat en cours de test en salle blanche (crédit Lockheed Martin)

La Falcon Heavy a livré Arabsat 6A sur une orbite elliptique. Peu après la séparation, le satellite a envoyé un signal confirmant qu’il était en parfait état. Il a ensuite déployé ses panneaux solaires. A la suite de plusieurs manœuvres de circularisation d’orbite, qui dureront plusieurs semaines, Arabsat 6A sera en orbite géostationnaire avec une inclinaison de 30.5°. Cette position satellite est utilisée par Arabsat depuis longtemps maintenant. Elle a d’abord été occupée par Arabsat 1C en 1992, puis par Arabsat 2B en 1996, et enfin par Arabsat 5A en 2010.

C’est la première fois que l’opérateur Arabsat fait appel à SpaceX. Pourquoi avoir choisi la Falcon Heavy ? C’était un tantinet aventureux d’être le premier satellite lancé par une Falcon Heavy, qui aujourd’hui n’a envoyé qu’une voiture dans l’espace. C’est avant tout dans un souci de longévité du satellite qu’Arabsat a choisi la Falcon Heavy. Dans un interview avec SpaceNews, le PDG d’Arabsat, Khalid Balkheyour, a précisé que le boost supplémentaire apporté par la Falcon Heavy apporterait au satellite une durée de vie de 18 à 20 ans, au lieu de 15 maximum habituellement. La modernisation de la plateforme LM 2100 de Lockheed Martin devrait permettre au satellite de tenir tout ce temps.

La Falcon Heavy quelques jours avant le décollage. A droite, le booster du vol du Crew dragon DM-1 (crédit SpaceX)

La Falcon Heavy au centre du jeu

SpaceX et Elon Musk avaient besoin d’un sans-faute pour ce tir. Car à travers cela, on y voit désormais la fiabilité économique de la Falcon Heavy. Avec ce succès, la Falcon Heavy entre pour de bon dans le business. Sauf qu’en plus d’être largement plus puissante qu’Ariane 5 ou que la Delta Heavy, la Falcon Heavy est aussi a priori moins chère (seulement 90 M$). Une fois de plus, SpaceX est en train de casser le marché des lanceurs, en s’incrustant concrètement dans la section des lanceurs très lourds. Déjà, plus de quatre mois après le tir inaugural, l’US Air Force certifiait la Falcon Heavy comme capable de lancer ses satellites de reconnaissance et de communication. De plus l’US Air Force a annoncé avoir réservé la Falcon Heavy pour lancer un satellite top-secret (Air-Force-Space-Command-52) en 2020.

Le dernier acteur à être très intéressé par la Falcon Heavy est la NASA. En effet, depuis plusieurs semaines, le projet SLS est de plus en plus malmené par les dates limites. Jim Bridenstine, adminsitrateur de la NASA, a d’ores-et-déjà annoncé que la mission EM-1 resterait programmée pour fin 2020, avec ou sans la SLS. La première mission du nouveau programme lunaire de la NASA, testant en conditions réelles le vaisseau Orion, pourrait être lancée par Falcon Heavy. La NASA utiliserait la technique du “train spatial” où deux lanceurs mettent en orbite Orion et un étage de propulsion qui s’assembleraient dans l’espace avant de partir pour la Lune (technique prévue par l’agence spatiale chinoise, la CNSA, pour envoyer des taïkonautes sur la Lune). En plus de donner un magistral coup de pied dans une fourmilière, Jim Bridenstine a mis au premier plan la Falcon Heavy en supposant qu’elle pourrait être qualifiée pour le vol habité d’ici 2024, l’année du retour des américains sur la Lune. Affaire à suivre.

En savoir plus sur la Falcon Heavy : La Falcon Heavy par les chiffres

[NB] crédit des photos non légendées : Trevor Mahlmann

[NB] crédit image de couverture : K.Scott Piel / SpaceX

Sources : NASA Spaceflight, SpaceflightNow, ArsTechnica, SpaceNews, NASA, SpaceX.

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