L’Europe a besoin de son autonomie pour l’exploration spatiale selon un rapport
Le 23 mars, un groupe de personnes mandaté par l’Agence Spatiale Européenne a publié son rapport sur l’état de l’exploration spatiale européenne. Le HLAG (High Level Advisory Group, groupe consultatif de haut niveau) a appelé à davantage d’investissements dans l’exploration humaine et robotique.
Dans ce rapport intitulé Revolution Space: Europe’s Mission for Space Exploration (La révolution de l’espace : la mission de l’Europe en matière d’exploration spatiale), le HLAG constitué de plusieurs personnes d’origine diverses et pas forcément expertes du spatial, affirme que l’exploration humaine de l’espace connaît une révolution que l’Europe ne peut se permettre de manquer.
Les pays et les régions qui ne s’assureront pas un accès indépendant à l’espace et une utilisation autonome de celui-ci deviendront stratégiquement dépendants et seront économiquement privés d’une partie importante de cette chaîne de valeur. L’Europe doit viser à s’emparer d’un tiers de ce futur marché
Rapport HLAG
En clair quand on regarde l’Europe spatiale face aux grands acteurs spatiaux comme les Etats-Unis ou la Chine, l’Europe fait pâle figure en matière de vols habités : pas d’accès indépendant à l’espace pour les vols habités (pas de vaisseau ou d’infrastructures compatibles à ce jour), uniquement des contributions aux stations spatiales en orbite basse ou autour de la Lune et au vaisseau Orion, aucun système d’atterrissage lunaire habité. Seul point positif, le projet d’atterrisseur Argonaut pour des charges utiles.
Après l’arrêt du projet Hermès en 1992 [une vidéo sur ma chaîne sur le sujet], et des années où l’Europe a surtout collaboré dans les vols habités, de nombreuses voix s’élèvent depuis quelques années pour un accès indépendant. Depuis 20 ans, les budgets de l’ESA ont été majoritairement dédiés aux missions d’observations de la Terre, à un lanceur pour des missions en orbite géostationnaire, à un système de navigation autonome (Galileo), et des missions scientifiques européennes ou en collaboration.
Dans le rapport, le HLAG met en avant que l’espace est en pleine révolution, comme Internet il y a 20 ans, et cette révolution va également affecter tous les domaines. Alors que l’Europe a raté la première révolution d’Internet, il serait temps de ne pas rater celle du spatial, là où l’Europe a déjà beaucoup de compétences. L’enjeu économique lié est important et l’autonomie est stratégique si l’Europe ne veut pas être privée d’une « part du gâteau », dont l’objectif de capture pourrait être à 1/3 du futur marché de mille milliards d’euros (1 billion €). Le conflit en Ukraine dernièrement a aussi montré l’importance des capacités spatiales, en observations par exemple.
Avec la guerre en Ukraine, la coopération avec la Russie a montré plus que ses limites [relire Impact de la guerre en Ukraine sur le secteur spatial]. Côté américain, l’essor des acteurs privés sur tous les fronts (accès internet et communications depuis l’espace, vols habités et bientôt exploration lunaire) montre la volonté des Etats-Unis d’avoir la mainmise sur tous les domaines spatiaux. La Chine de son côté investit massivement dans tous les secteurs de l’espace [article #Retro2020 – La Chine spatiale sur tous les fronts] et des acteurs privés émergent aussi (constellations de satellites de télécommunications ou d’observation, nouveaux lanceurs légers, …).
L’Europe doit décider quel rôle elle veut jouer dans cette révolution spatiale : spectateur, client ou leader ?
Le rapport insiste qu’il faut inspirer les Européens et galvaniser l’économie européenne à l’instar du programme Artemis qui est en train de faire naître une économie lunaire américaine, mais également de nouvelles applications en orbite basse terrestre.
L’influence géopolitique de l’Europe se joue également dans l’espace, y compris dans les vols habités. Des pays comme l’Inde et les Emirats Arabes Unis l’ont déjà compris et ont commencé leurs programmes de vols habités, en autonomie pour les premiers, en coopération pour les seconds dans un premier temps. Si l’Europe devenait autonome en exploration spatiale habitée, elle pourrait être aux commandes de missions et proposer des coopérations avec des pays actuellement plutôt négligés, d’Amérique Latine, d’Afrique ou d’Asie, et contribuer ainsi à un monde multipolaire.
Le rapport insiste aussi sur le risque croissant de voir les talents et les technologies européens s’en aller à l’extérieur. Pour garantir une prospérité à long terme, il faut garder cette excellence et selon le HLAG, cela passe par une feuille de route sur l’exploration du Système Solaire. Et le vol habité et les missions lunaires sont une énorme source d’inspiration pour les nouvelles générations ! Un accès indépendant à l’espace pour les vols habités permettrait également d’acquérir de nouvelles capacités et infrastructures pour le développement des sciences en Europe, selon le rapport.
La part moyenne du PIB investie actuellement dans l’espace en Europe n’est que d’un cinquième de celle des États-Unis et seulement un quinzième du budget exploration de la NASA. Le HLAG énonce qu’il faut un effort d’investissement sur les dix prochaines années pour rester compétitif.
Pour que l’Europe reste prospère et un continent géopolitiquement pertinent, le soutien politique et le financement public doivent être considérablement accrus, et l’investissement privé dans l’écosystème spatial européen stimulé.
Le HLAG encourage également l’entrepreneuriat et la compétition au sein de l’Europe pour stimuler la transformation de l’écosystème européen. L’ESA aussi doit se transformer, et maintenant !
Un groupe de travail du Conseil de l’ESA a été mis en place pour examiner les recommandations du rapport et pour préparer le prochain sommet de l’espace, qui se tiendra à Séville, en Espagne, le 6 novembre 2023. C’est à ce moment-là seulement que les directives et les budgets sur l’exploration spatiale européenne seront décidés par les états membres de l’ESA. A suivre…
Pour aller plus loin je vous recommande ce livre (lien sur l’image pour le commander) :
NB : 61,7 Md $. C’est le montant dépensé en 2022 par le gouvernement américain pour ses programmes spatiaux, soit 51 % de plus que le reste du monde combiné.
(source : Air&Cosmos n° 2822 du 23 mars 2023, page 6)
Et l’Europe dans tout ça ?
Elles sont là : https://reves-d-espace.com/les-ambitions-agence-spatiale-europeenne/
Limitées.