Echec de VV22 : Les conclusions de l’enquête et les conséquences
Le 21 décembre 2022, le premier vol commercial de Vega C se solde par un échec avec la perte des 2 satellites PléiadesNeo d’Airbus Space à bord. Il s’agissait du second vol du nouveau lanceur européen après le succès du vol inaugural le 13 juillet 2022.
A la suite de la perte du lanceur, une commission d’enquête a été nommée et les résultats des investigations ont été publiés officiellement ce vendredi 3 mars par Arianespace, opérateur commercial du lanceur, et l’Agence Spatiale Européenne, l’autorité de développement du système de lancement : le communiqué en français.
On peut lire les circonstances de l’échec et sa cause principale comme annoncée dès les premières heures après l’annonce de la disparition du lanceur : une perte de pression au niveau du moteur du deuxième étage de Vega C, le Zefiro-40.
Après le fonctionnement nominal du premier étage P120C de Vega C et l’allumage nominal du deuxième étage (Zefiro 40), une baisse progressive de la pression a été observée 151 secondes après le décollage, conduisant à la perte de la mission. Les premières investigations, menées juste après le lancement avec les données de vol disponibles, ont confirmé que les sous-systèmes du lanceur avaient réagi aux événements conformément à leur conception, et que la cause de l’échec était une détérioration graduelle de la tuyère du Zefiro 40.
La cause racine identifiée :
La Commission a confirmé que la cause était une sur-érosion thermomécanique inattendue du composite carbone/carbone (C/C) constituant l’insert du col de tuyère, acheté par Avio en Ukraine. Des investigations complémentaires ont conduit à la conclusion que ce phénomène était probablement dû à un défaut d’homogénéité du matériau utilisé pour cette pièce.
Le matériau composite, du carbone injecté sous forme gazeuse sur une pièce métallique dans un four, n’aurait donc pas supporté ni la pression ni la température du vol.
Le col de tuyère est une pièce très technique et a été fourni par le constructeur ukrainien Youjnoye. Ce fournisseur, également du moteur Avum+ de l’étage supérieur de Vega C, a été préféré à ArianeGroup, fournisseur par le passé pour le Zefiro 23 de Vega, car l’entreprise française ne pouvait fournir « dans les délais compatibles avec le programme de développement du lanceur » selon le président d’Avio, Giulio Ranzo. La pièce en cause a été approvisionnée avant la guerre en Ukraine et donc cela n’est pas la source du problème.
L’érosion serait due à une porosité plus élevée du matériau carbone-carbone, confirmée dans d’autres tests du matériau, et elle n’a pas été détectée plus tôt. Dans le communiqué, il est ainsi dit que « L’anomalie a également révélé que les critères d’acceptabilité utilisés pour le col de tuyère en C/C n’étaient pas suffisants pour en garantir l’aptitude au vol. »
« Ce matériau composite spécifique est désormais interdit de vol« . La fourniture d’un matériau composite alternatif est désormais confiée à ArianeGroup pour les prochains lanceurs Vega C.
La Commission d’enquête recommande de qualifier la solution alternative pour le moteur Zefiro 40 avec davantage d’essais et d’analyses, et de mettre en place un plan d’actions pour garantir une production fiable du lanceur sur le long terme.
La date du retour en vol de Vega C visée est fin 2023 selon le communiqué de presse.
L’Europe des lanceurs en crise
Ce n’est pas moi qui le dis mais le directeur de l’ESA, Josef Aschbacher :
Il faut rappeler que VV22 est le troisième échec en 8 vols pour un lanceur Vega/Vega C, après les missions VV15 (11 juillet 2019) et VV17 (17 novembre 2020), que les lancements Soyouz depuis la Guyane sont arrêtés depuis la guerre en Ukraine, et qu’Ariane 6 décollera pour son vol inaugural au mieux en fin d’année, mais selon certaines rumeurs, plutôt début 2024.
De plus, des voix dissonantes s’élèvent en Europe sur la gestion de cette crise.
Selon les Echos et Challenge, l’agence spatiale française, le CNES, a demandé une révision profonde du management des projets à l’ESA : « Le CNES considère que l’enquête n’est pas assez approfondie pour déterminer pourquoi et comment a eu lieu un tel accident et ce qui l’a rendu possible, et quelles décisions prises par l’industrie et par l’Agence ont conduit à une situation aussi risquée et incontrôlée« .
Le CNES aurait également rappelé que le col d’une tuyère d’un moteur de fusée est une pièce extrêmement critique, dont la technologie n’a été maîtrisée en Europe qu’après des décennies de recherche. D’ailleurs ArianeGroup livre également des cols de tuyère au ministère des armées pour les missiles de la force de dissuasion française.
Les procédures de contrôle de l’ESA et de l’industriel Avio sont aussi mises en cause par le CNES : « Le fait que ni l’industrie, ni l’agence n’aient vérifié si le processus de fabrication de Yuzhnoye était dûment qualifié, est en soi un problème majeur ». Le contrôle qualité chez Avio est-il suffisant ?
Beaucoup de spécialistes du secteur spatial parlent depuis quelques temps de l’envie d’Avio de faire « cavalier seul » et de sortir du giron d’Arianespace.
Selon La Tribune, « l’ESA, en tant qu’autorité de qualification, devrait soumettre Vega-C à une revue générale détaillée pour identifier d’éventuelles autres défaillances. C’est ce qui avait été fait pour Ariane 5 après le vol inaugural (vol 501) en juin 1996. Pour autant, Avio ne semblait pas prêt jusqu’ici à autoriser une telle opération, selon des sources concordantes. Ce qui pourrait entraîner un bras de fer au Centre Spatial Guyanais (CSG) où le directeur du CSG (du CNES) est autorité de lancement pour toutes les questions de sécurité et de sûreté…«
Un nouveau planning de lancement
La commission d’enquête a également conclu qu’il n’y avait pas de faiblesse dans le design du moteur Zefiro 40 et que les moteurs Zefiro 9 (commun à Vega et Vega C) et Zefiro 23 (uniquement sur Vega) n’étaient pas non plus remis en cause.
Arianespace a donc décidé de procéder au lancement des 2 derniers modèles Vega (non C) encore à sa disposition. Le premier devrait avoir lieu « à l’été » avec 2 charges utiles principales et quelques petits satellites, et le second, avec à son bord le satellite Biomass de l’ESA, pourrait être lancé en 2024.
Le retour en vol de Vega C devrait avoir lieu avec le satellite Sentinel 1C de l’ESA, qui doit remplacer le satellite Sentinel 1B qui est défaillant en orbite. Un satellite « précieux » selon Josef Aschbacher.
VV15 = Falconeye1, VV17 = Seosat, VV22 = Pleiades Neo 5/6