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Derrière Aquapad de Proxima, une équipe d’experts

Aquapad est l’une des expériences de la mission Proxima de Thomas Pesquet. Mais avant d’arriver dans l’espace, ce sont de longs mois de préparation et de validation au sol qui précèdent la mission opérationnelle. Au final, on ne voit qu’un seul astronaute réaliser l’expérience, mais ce sont des dizaines de personnes au sol qui permettent que tout fonctionne.

J’ai suivi l’équipe d’Aquapad à plusieurs reprises, Aquapad étant une expérience facile à comprendre et ses bénéfices sur Terre sont évidents. Voici comment cela se passe au sol.

Objectifs d’Aquapad

Aquapad est « née » en février 2015 au sein du CADMOS, le Centre d’Aide au Développement des Activités en Micropesanteur et des Opérations Spatiales du CNES, qui depuis les années 80 aide à préparer et à suivre les expériences scientifiques développées pour les vols spatiaux habités mais aussi les expériences menées en vols « zéro G » [lire J’ai testé le vol parabolique « Zéro G » avec Novespace et le CNES].

Aquapad permet de contrôler la qualité de l’eau dans la Station Spatiale Internationale avec une faible quantité de liquide. Pour rappel, l’eau utilisée par les astronautes pour boire, manger et se laver est en grande partie issue du recyclage de leur urine ou de la condensation dans la Station. Il est donc essentiel de savoir si cette eau est potable et dénuée de contamination bactériologique.

Comment ça marche ?

Lucie du CADMOS m’a expliqué le fonctionnement d’Aquapad lors d’une première visite du centre à Toulouse en octobre 2016.

Les boites « PAD » de l’expérience Aquapad de Proxima pour tester l’eau à bord de l’ISS

Aquapad, pour Aqua (eau) et PAD (Paper Analytical Device, ou appareil analytique en papier)  est constitué de boîtes de Petri dans lesquelles il y a un milieu de culture sec. Après injection d’une faible quantité d’eau dans la boite, le milieu de culture se mélange à l’eau et les bactéries éventuellement présentes dans l’échantillon d’eau vont pouvoir se multiplier et former des colonies visibles après un temps d’incubation.

Aquapad comparé à la méthode de la NASA de l’analyse de l’eau dans l’ISS 1/3 (credit BioMérieux)

A bord de l’ISS, la norme est d’avoir moins de 50 germes aérobies mésophiles, des bactéries se développant en présence d’oxygène entre 25 et 40°C, par millilitre d’eau.

Pourquoi est-ce une évolution ?

Actuellement les analyses effectuées à bord de l’ISS par le système mis au point par la NASA utilisent 10 ml d’eau (1 ml qui est analysé et 9 ml d’eau stérile), et nécessitent beaucoup de manipulations par l’astronaute. Cela monopolise également beaucoup de matériel et donc génère des déchets.

Aquapad comparé à la méthode de la NASA de l’analyse de l’eau dans l’ISS 2/3 (credit BioMérieux)
Aquapad comparé à la méthode de la NASA de l’analyse de l’eau dans l’ISS 3/3 (credit BioMérieux)

Le temps d’un astronaute dans l’ISS est précieux car il a beaucoup d’expériences à mener, faire la maintenance de la Station ou bien garder sa condition physique. Le CADMOS a donc proposé une solution innovante, plus simple et plus économe en temps et permettant une interprétation facilitée des résultats. Aquapad est léger, robuste et génère également moins de déchets.

Aquapad permet de tester une faible quantité d’eau, 1 ml, avec un temps d’incubation relativement court en 2 jours. L’opération d’injection de l’eau dans le « pad » prend une dizaine de minutes au maximum. En présence de bactéries, l’astronaute verra apparaître des points de couleur. Avec une application mobile développée aussi par le CADMOS, EveryWear, il pourra obtenir une quantification précise et déclarer l’eau potable ou non. De plus, pas besoin de beaucoup de matériel : un « pad » et une seringue. L’emport à bord d’un vaisseau ou d’un cargo ravitailleur est d’autant plus facilité vu la masse faible.

Toutefois Aquapad n’est pas suffisant pour détecter l’origine d’une contamination et des systèmes plus poussés sont nécessaires pour analyser l’eau en profondeur.

Préparation au sol

Depuis février 2015, c’est une équipe de 5 personnes minimum qui est en charge du développement d’Aquapad : Lucie et Cécile du CADMOS avec Christine, Florian et Frédéric de la BioMérieux à Lyon.

Lucie et Cécile sont ingénieures au CADMOS, et travaillent également sur d’autres expériences de la mission PROXIMA.

Florian est microbiologiste , Frédéric est ingénieur et Christine est responsable du département Innovation « Dispositifs Nouveaux » chez bioMerieux. Tous 3 ont participé au développement de ce dispositif innovant en microbiologie.

Vol parabolique CNES Novespace avril 2017

 

De gauche à droite, l’équipe d’Aquapad lors du vol 0g du 5 avril 2017 : Florian, Christine, Lucie, Cécile et Frédéric.

Mais d’autres personnes interviennent aussi ponctuellement dans la phase de préparation au sol : ingénieurs qualité, techniciens d’essai, …

Il a fallu développer les boîtes de Petri et le milieu de culture. L’expérience doit répondre à un certain nombre d’exigences : être compatible d’un lancement (résistance aux vibrations selon les lanceurs), être étanche pour éviter toute contamination, respecter les normes de l’ISS en terme de matériau ininflammable par exemple.

Des tests sont réalisés au sol au CNES pour vérifier le respect de ces normes et le bon fonctionnement de l’expérience. Aquapad a aussi été validé en vol parabolique afin de tester le comportement de l’eau et de la solubilité du milieu de culture en impesanteur. En l’absence de gravité, l’eau ne se répartit pas tout à fait de la même façon.

Pour tout cela, des documents très étayés sont constitués et envoyés à l’ESA puis à la NASA pour certifier vol l’expérience.

Six mois environ avant le départ pour la Station, il faut aussi préparer les procédures d’exécution très détaillées pour les astronautes qui devront réaliser l’expérience à bord. Ils n’auront pas forcément l’occasion de faire de nombreuses répétitions au sol. Il faut aussi estimer à quelques minutes près la durée de l’expérience pour pouvoir l’insérer ensuite dans le planning très chargé des astronautes.

Procédure détaillée d’Aquapad, mission Proxima (capture d’écran au CADMOS)

En fait, il faut anticiper au mieux au sol tout ce qui se peut se passer une fois en orbite. Le dépannage n’est pas simple et l’astronaute doit être le plus autonome possible, en passant le moins de temps possible sur l’expérience.

Une première demande de planning pour l’expérience a été envoyée près d’un an avant la mission. C’est un « PIM » de l’ESA (Payload Integration Manager, responsable de l’intégration charge utile) qui se charge de coordonner avec la NASA les contraintes d’une dizaine d’expériences européennes dans l’ISS (contraintes de températures pour le lancement et à bord, de durée des expériences en orbite, de douane aussi) et qui regarde le planning prévisionnel des cargos ou des vaisseaux habités qui peuvent embarquer l’expérience pour un décollage vers l’ISS.

L’expérience doit alors être prête lorsqu’un lancement lui est assigné !

Le planning grossier de quand l’expérience aura lieu est remis à jour environ 1 mois avant le début de la mission. Il sera remis à jour périodiquement en même temps que le planning des astronautes. Ce dernier est très compliqué et est géré par plusieurs personnes à la NASA en fonction des arrivées et départs des cargos ou vaisseaux, sorties spatiales, expériences à mener, temps de repos des astronautes, etc…

Suivi des opérations d’Aquapad dans l’ISS

Une fois arrivée en orbite dans l’ISS, le rôle de l’équipe du CADMOS ne s’arrête pas là. Elle suit en direct l’expérience effectuée par l’astronaute.

Thomas Pesquet en pleine expérience, suivi depuis le CADMOS, le 14/03/2017

Lorsque je me suis rendue au CADMOS pour voir cette opération en direct pour Aquapad, c’était Thomas Pesquet qui a effectué l’analyse. Mais Peggy Whitson réalise aussi l’expérience. Et un autre astronaute prendra la relève après leur départ de l’ISS.

Thomas Pesquet réalise l’expérience Aquapad le 14/03/2017

La mise en œuvre de l’expérience Aquapad est facile pour l’astronaute : il doit récupérer une petite quantité d’eau, prendre une seringue pour prélever l’eau du sac et ensuite l’injecter dans le « pad ».  Ensuite, il attend l’incubation pour l’interprétation des résultats.

Le suivi depuis le sol est un peu plus compliqué pour le CADMOS. En fait Lucie ou Cécile qui suivent ces opérations ne sont jamais en contact direct avec l’astronaute. Bien qu’elles voient la manipulation sur l’écran, le système de conversation est assez compliqué.

Lucie au pupitre du CADMOS pour le suivi d’Aquapad à bord de l’ISS le 14/03/2017

Le CADMOS est en fait en relation avec le Columbus Flight Director (CFD, ou Directeur de vol Columbus), au Columbus Control Centre près de Munich, le COL-CC. Ce centre de l’ESA s’occupe de toutes les expériences menées à bord du module européen Columbus de l’ISS.

Capture d’écran du système de communication au CADMOS avec la NASA et les autres intervenants

Le CFD donne ensuite les Go et No Go à l’Eurocom (European Spacecraft Communicator), situé lui à l’EAC (European Astronaut Centre) à Cologne, qui assure la communication avec l’astronaute dans l’ISS, sous la surveillance du Centre de Contrôle de Houston.

En cas de soucis pendant l’expérience, Lucie ou Cécile donneront les consignes au CFD et l’info sera retransmise via ce circuit jusqu’à l’astronaute. Toutes les personnes dans la boucle ont la procédure détaillée de l’expérience devant leurs yeux, d’où l’importance d’un bon dossier élaboré précédemment.

Les opérations du CADMOS se font aussi grâce à l’équipe des Segments Sols qui assure que tout le système sol est en bon état de fonctionnement au moment des opérations, notamment la liaison audio et vidéo avec les différents centres (COL-CC, EAC, Houston et l’ISS).

En fin d‘expérience, tous les acteurs des opérations remplissent des rapports sur le déroulé de l’expérience pour tracer leur activité et les anomalies rencontrées.

Prochaine étape : Aquapad V2

Le CADMOS et BioMérieux développent déjà une version “2” d’Aquapad.

Une autre norme dans l’ISS concerne le nombre de bactéries coliformes, indicatrices d’une pollution par matière fécale, dans 100 ml d’eau.

Aquapad V2 est basé sur le même système que la première version mais avec un “pad” de 100 ml. Ce nouveau conditionnement entraîne de nouvelles problématiques (répartition de l’eau sous micropesanteur) et doit également être soumis aux mêmes tests que sa version précédente (vibration, étanchéité, …).

Du coup, Aquapad V2 a subi ses premiers vols paraboliques lors de la campagne d’avril avec Novespace, à laquelle j’ai participé sur 1 journée.

Vol parabolique CNES Novespace avril 2017

Vol parabolique CNES Novespace avril 2017

Une utilisation possible sur Terre

Comme l’ensemble des recherches dans l’ISS, l’objectif d’Aquapad est de préparer les missions spatiales à venir (moins de matériel à emporter, moins de déchets, réduire le temps d’opérations, ..) mais aussi d’avoir une application sur Terre.

Ce qui est intéressant, c’est que ce système simple et efficace peut être facilement utilisable sur Terre. Cela pourrait être le cas dans des zones où l’accès à l’eau potable est problématique ou bien après des catastrophes naturelles où on veut diagnostiquer rapidement la potabilité de l’eau.

Le PAD a notamment déjà été utilisé par le laboratoire BioMérieux pour le contrôle de la présence du Vibrio cholerae (agent du choléra ) dans l’eau à Haïti  (lire : Les tests diagnostiques sur papier pour le contrôle microbiologique et publication scientifique parue en décembre dernier : PAD and water control publication).

Utilisation du dispositif diagnostique papier sur des échantillons de matières fécales en Haïti (crédit bioMérieux)

Comme le slogan de la NASA pour l’ISS le rappelle, “hors de la Terre pour la Terre” (Off the Earth for the Earth), le CADMOS participe également à la recherche internationale dans l’espace pour les terriens.

Pour compléter :

Aquapad experiment: infographic

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2 réflexions sur “Derrière Aquapad de Proxima, une équipe d’experts

  • Michel Clarisse

    NB : il faudrait expliquer ce qu’est une boîte de Petri car moi-même je n’en savais rien. Comme quoi on en apprend tous les jours. Elle tient son nom d’un bactériologiste allemand, Julius Richard Petri (1852-1921), qui était l’assistant de Robert Koch (qui sera prix Nobel en 1905) lorsqu’il inventa ce dispositif vers 1887.

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  • Michel Clarisse

    suite

    Le COL-CC se trouve plus précisément à Oberpfaffenhofen. Ce n’est pas une ville mais un quartier de celle de Wessling qui dépend du district de Starnberg, autrement dit pratiquement, à une lettre près, de la montagne des étoiles (Sternberg)… ce district (Bezirk) étant situé au sud-ouest de Munich (München).

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