L’actualité spatiale du 20 au 26 mai : PSLV, échec pour Long March, Falcon 9 et Starlink
Une semaine bien chargée en lancements ! En plus d’un tir indien, on compte l’échec de la Long March 4C en Chine avec ses conséquences, puis le déploiement des premiers satellites Starlink.
L’Inde lance avec succès RISAT-2B
Le 22 mai à 00h00 UTC (05h30 heure locale), une PSLV a décollé du Satish Dhawan Space Centre avec à bord le satellite de reconnaissance indien RISAT-2B. Selon l’ISRO, l’agence spatiale indienne, le vol a été un succès. C’était le troisième vol spatial indien de l’année.
RISAT-2B est le premier satellite d’une flotte de trois éléments, développée par l’ISRO, qui succédera à RISAT-2, un satellite de surveillance vieux de dix ans. Un deuxième sera lancé plus tard dans l’année. Equipé d’un radar mesurant en bande X, le satellite surveillera le sol jour et nuit et par tous les temps. Le satellite de 615 kg a été placé sur une orbite polaire à 555 km d’altitude. RISAT-2B est censé fonctionner pendant au moins 5 ans.
C’est une PSLV-CA, la version la plus légère du lanceur, qui a lancé RISAT-2B. C’est la configuration qui ne compte que le premier étage central, sans booster additionnel. En service depuis 1993, le lanceur est un puzzle amusant d’étages liquides et solides, unique au monde. Ca n’empêche pas le lanceur d’être fiable avec 44 vols réussis sur 47.
Chine : échec du tir Long March 4C
Dans la nuit du 22 au 23 mai, une fusée Long March 4C a décollé du Taiyuan Space Center en Chine pour lancer le satellite Yaogan Weixing-33. Le lancement a été un échec, confirmé par les officiels de la CASC (China Aerospace Science and Technology Corporation), selon qui l’incident viendrait du troisième étage qui n’a pas correctement fonctionné.
C’est juste quelques semaines après le lancement des satellites Tianhui que le Taiyuan Space Center s’est à nouveau préparé pour le lancement. Cette fois-ci, les autorités locales étaient prévenues et les locaux pouvaient savoir à quelle heure il fallait regarder vers le ciel pour éviter de voir tomber un moteur fusée sur le capot de sa voiture. Plusieurs jours avant, les autorités savaient quand il fallait s’attendre à voir tomber les morceaux du premier étage une fois utilisé. La LM 4C a décollé à 22h55 UTC, en direction du Sud-Sud-Est en survolant l’Asie du Sud-Est. Plusieurs amateurs ont pu témoigner du décollage et immortaliser les traces laissées dans le ciel.
Normalement, après le lancement, la CASC met moins d’une heure à annoncer le succès de la mission. Mais cette fois-ci , la CASC est restée silencieuse. Les observateurs se sont alors tournés vers l’US Air Force’s 18th Space Control Squadron, chargé de cataloguer, traquer, localiser, et suivre tous les objets en orbite autour de la Terre. Aucune confirmation de mise en orbite. Quelques heures après, sur les réseaux sociaux, on pouvait voir des images de débris de Long March pris en photo au Cambodge et au Laos. C’est seulement 12 heures après le lancement que la CASC confirme l’échec de la mise en orbite. Lors de l’échec précédent, on avait dû attendre plusieurs jours.
La Long March 4C est une fusée moyenne proche de sa sœur la LM 4B. La LM 4C est capable de mettre en orbite basse une charge utile de 4.2 tonnes. Haute de 45.8 mètres, la LM 4C est constituée de trois étages. Le premier étage est équipé d’un moteur YF-21B d’une poussée au sol de plus de 2 971 kN avec une combustion hydrazine / peroxyde d’azote. Les premier et second étages sont communs à la LM 4B et la LM 4C. Seulement, cette dernière dispose d’un troisième étage allumable plusieurs fois et d’une coiffe plus grande.
La CALT (China Academy of Launch Vehicle Technology) est maître d’œuvre des Long March mais le troisième étage de la LM 4C est développé par la filiale SAST (Shanghai Academy for Spaceflight Technology). La LM 4C a décollé en tout 26 fois depuis le premier vol en 2006, mais l’échec du 22 mai est le second pour le lanceur qui devient un des moins sûrs de la gamme avec 92 % de succès. Le premier échec date d’août 2016, quand le troisième étage faillit à mettre en orbite le satellite d’observation de la Terre Gaofen-10. Le lanceur ne fut plus utilisé jusqu’à novembre 2017. Il y a un an, en mai 2018, c’est une LM 4C qui déploya le satellite relais Queqiao sur sa route pour le point L2 Terre-Lune pour assurer le transfert des communications avec la mission Chang’e 4 sur la face cachée de la Lune.
Le malheureux satellite passager, Yaogan Weixing-33, était un satellite d’observation développé par la SAST. D’après les officiels et les médias chinois, il s’agissait d’un satellite dédié à la science et à l’observation de la Terre. Mais d’après les analystes occidentaux, il s’agissait d’un satellite de reconnaissance militaire, comme tous les autres satellites Yaogan.
Comme d’habitude pour un lancement chinois, le vol a été accompagné d’images de débris retombés en zones habitées, sauf que cette fois ces images ne venaient pas de Chine mais d’une zone frontalière entre le Laos et le Cambodge. Ce sont des débris du second étage qui ont été retrouvés par dizaines dans les champs, les bois mais aussi à côté de maisons, d’une école et d’un temple bouddhiste. D’après les autorités locales, aucun blessé n’est à déplorer, juste quelques dégâts matériels, comme un toit transpercé par la chute d’un débris.
At least 1 building got a direct hit in Laos, many other pieces fell near homes, a school, a buddhist temple, and worst of all at a poor coffee farm. No reported injuries at any of the locations.
More pics in source but won't tweet them all.
ℹ:https://t.co/Bi5iO6mtqf pic.twitter.com/CHpKGyyfQp
— LaunchStuff (@LaunchStuff) May 24, 2019
Deux échecs qui seraient tous les deux liés au troisième étage, ça commence à faire beaucoup. La SAST devra peut-être revoir sa copie sur le développement de cette pièce maîtresse ré-allumable plusieurs fois au cours du même vol. Avec cet échec, la CASC aura du mal à tenir le nombre de tirs Long March 4 qu’elle s’est fixée pour 2019, qui serait de 10, à un près, selon des sources chinoises. La CASC est actuellement sous pression car en train de préparer deux vols cruciaux pour la Chine en 2019. Le prochain tir est prévu pour le 22 juin.
Le premier est le tir symbolique d’une Long March 11 depuis la mer pour la première fois, prévu le 5 juin. Le succès de ce tir devrait lancer la dynamique prévoyant encore une dizaine de tirs prévus juste pour ce lanceur en 2019. La LM 11 est le lanceur pivot avec les LM 4 pour que la Chine soit une fois de plus le premier pays lanceur du monde en 2019.
Autre tir beaucoup plus attendu par le programme spatial chinois, le tir de la Long March 5B, prévu initialement en juillet. Le lanceur le plus lourd de la gamme Long March, le plus puissant lanceur chinois, doit en effet faire son grand retour avec un vol test. En 2017, il avait essuyé un échec à cause d’un problème au premier étage. La CALT décida alors de revoir le design des moteurs liquides YF-77. Le vol de juillet qualifiera à nouveau la fusée, étape clé pour ce lanceur clé du programme spatial chinois. C’est à bord d’une LM 5B que partiront notamment : la mission de retour d’échantillon lunaire Chang’e 5 fin 2019, la première mission martienne chinoise en 2020, et aussi le premier module de la future station spatiale chinoise Tiangong-3. Mais le vol semble prendre du retard. D’après SpaceNews, les bateaux cargos modifiés exprès pour transporter des pièces du lanceur du site de production de Tianjin, au pas de tir au Wechang Space Center, sont toujours à quai sur le fleuve Yangtze. Or il faut au moins deux mois pour préparer le tir sur place. La date initiale est désormais très difficile à tenir, et la moindre seconde de retard de ce vol pourrait retarder tout le programme.
Falcon 9 lance 60 satellites Starlink
Après plusieurs reports (météo et mise à jour du logiciel de vol des satellites), la Falcon 9 a enfin décollé le vendredi 24 mai à 2h30 UTC (22h30 heure locale) depuis Cap Canaveral en Floride.
Le booster B1049 utilisé pour le premier étage effectuait là son 3e vol après celui de la mise sur orbite de Telstar 18V en septembre 2018 puis des satellites Iridium NEXT-8 en janvier 2019.
Après un peu plus de 8 minutes de vol, ce 1er étage réussissait le 40e atterrissage retour d’un booster de Falcon 9.
En parallèle, Elon Musk a annoncé sur Twitter que les 2 demi-coiffes avaient été récupérées.
La mission principale du lancement était la mise sur orbite basse des 60 premiers éléments de la constellation de satellites de télécommunications Starlink.
Avec un design extrêmement plat avec plusieurs antennes à haut débit et un panneau solaire unique, chaque satellite Starlink pèse environ 227 kg. Pour le contrôle d’orbite, les satellites possèdent un système de propulsion ionique à effet Hall alimenté au gaz krypton (moins cher que le xénon habituellement utilisé en propulsion électrique), d’un système de navigation à base de senseurs stellaires (startracker) hérité des cargos Dragon. Ils ont aussi un système de suivi des débris sur orbite pour éviter de façon autonome toute collision. SpaceX aurait prévu par conception une désorbitation de chaque satellite avec 95% des composants qui seraient détruits dans l’atmosphère de la Terre à la fin de chaque cycle de vie du satellite.
Vue sur les satellites avant la séparation lanceur du « dispenser » (crédit SpaceX)
Sans compter la masse de l’adaptateur (ou « dispenser »), c’est à ce jour la charge utile la plus lourde qu’une Falcon 9 ait jamais placée sur orbite avec les 60 satellites pesant au total 13 620 kg. Elon Musk a déclaré qu’ils auraient pu ajouter des satellites supplémentaires mais cela l’aurait été au détriment de la récupération du premier étage.
Un peu plus d’une heure après le décollage, de façon inattendue, l’adaptateur supportant les 60 satellites était séparé du second étage du lanceur à une altitude de 440 km. Les satellites ont ensuite été séparés un à un de l’adaptateur, à l’aide d’aucun système de ressort ou de déploiement spécifique selon les dires d’Elon Musk lors d’une conférence de presse avant le lancement, mais uniquement du fait de leur inertie propre.
Utilisant leur propulsion ionique, les satellites Starlink vont augmenter leur orbite dans les jours à venir jusqu’à une altitude de 550 km, avec une inclinaison de 53 degrés par rapport à l’équateur.
Moins de 24 heures après le lancement, les satellites formaient un « train » spatial qui a été repéré par le Dr Marco Langbroek depuis la station de repérage SatTrackCam de Leiden aux Pays-Bas :
L’observation de ces satellites, potentiellement à l’œil nu, ou au moins aux jumelles, sera possible plusieurs jours en fonction de la réflexion du Soleil sur les panneaux solaires après le crépuscule ou avant l’aube, comme on peut le faire avec l’ISS [voir article « Observez l’ISS depuis le sol : mode d’emploi]. Mais rapidement les satellites vont se disperser et il sera moins facile de les repérer. Plusieurs astronomes ont toutefois émis des critiques vis à vis de la présence de milliers des satellites en orbite basse qui pourraient gêner leurs observations. Certains ont même demandé à Elon Musk de voir s’il existait des moyens de réduire la lumière réfléchie vers le sol pour les satellites Starlink à venir, car ils semblent plus brillants que d’autres ; ce à quoi Elon Musk a répondu que SpaceX essaiera de le faire.
Ces 60 premiers satellites ne seraient pour l’instant que des éléments de tests. De toute façon, SpaceX a annoncé qu’il faudrait encore plusieurs lancements pour une première mise en service réduite de la constellation de télécommunications. Plus de détails dans l’article : Les constellations de satellites de télécommunications en orbite basse ou moyenne.
Pour observer les satellites Starlink, rendez-vous sur l’un de ces sites pour connaître leurs trajectoires : Calsky ,N2YO et CMDR2
En savoir plus (ou pas) sur Starlink sur le site officiel dévoilé juste après le lancement : https://www.starlink.com/
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Article écrit à 20 doigts (ou presque) avec Daniel
NB : le 18th Space Control Squadron de l’USAF se trouve à Vandenberg AFB, Californie.