ISS : échec de l’amarrage du Soyouz MS-14
Tout avait bien commencé pour le vaisseau Soyouz MS-14 à destination de l’ISS. Le 22 août, il décollait sans souci à bord d’un lanceur Soyouz version 2.1a à 05:38:32 heure de Paris depuis le Cosmodrome de Baïkonour (Kazakhstan).
Le lanceur Soyouz-2.1a a placé le vaisseau sur une orbite 200 x 243 km à 51,67°.
Un vol test avec Soyouz 2.1a
Contrairement aux vols habituels, le vaisseau Soyouz n’emportait pas d’équipage mais du fret et un robot humanoïde Skybot F-850, ou Fedor selon son nom russe [détails à venir dans un article ultérieur].
Jusqu’à présent, et depuis 2002, c’est le lanceur lanceur Soyouz FG qui est utilisé pour les vols habités, la V2.1a est utilisée uniquement pour les cargos Progress ou l’envoi de satellites sur orbite.
L’objectif principal de cette mission est de valider le lanceur Soyouz 2.1a pour les vols habités à venir, notamment au niveau des phénomènes vibratoires observés au lancement. En effet, après l’échec en 2015 du déploiement du Progress M27-M, Roscosmos avait décidé d’un vol d’essai avant l’envoi des Soyouz habités avec ce lanceur.
La Soyouz 2.1a est une évolution du lanceur Soyouz notamment au niveau de son système de commande de vol numérique modernisé, remplaçant le système de guidage analogique des anciens modèles Soyouz, ainsi que des améliorations des systèmes d’injection des moteurs.
Le système de contrôle numérique permet à la fusée Soyouz-2.1a d’exécuter un programme de roulis quelques secondes après le décollage pour atteindre le bon azimut afin d’aligner sa trajectoire de vol sur l’orbite de l’ISS. La fusée Soyouz-FG actuellement utilisée pour le lancement des équipages Soyouz doit être tournée dans l’orientation correcte sur le pas de tir avant le décollage. En cas de report de tir, cette opération à risque est aussi source de perte de temps pour réaligner si besoin le lanceur.
Ce vol a aussi pour mission de valider de nouvelles évolutions sur le vaisseau Soyouz lui-même : nouveaux systèmes de contrôle de navigation, amélioration du système de contrôle de descente et nouvelle interface logicielle d’interruption du lancement avec le système d’évacuation d’urgence du lanceur. Ces évolutions seront introduites dans le futur Soyouz GVK (gruzo-vozvrashaemy korabl, ou cargo de retour), un cargo récupérable issu des Soyouz mais sans équipage, qui remplacerait les cargos Progress et permettrait le retour sur Terre de fret, ce qui est impossible actuellement avec les Progress qui se désintègrent dans l’atmosphère après leur séparation de l’ISS. Le premier lancement du Soyouz GVK n’est pas attendu avant 2022 désormais (prévu pour 2019 initialement).
Le prochain lancement d’un Soyouz habité, le Soyouz MS-15 prévu le 25 septembre à ce jour, utilisera la dernière fusée Soyouz-FG disponible. C’est seulement à compter de mars 2020 que les équipages à bord d’un vaisseau Soyouz devraient décoller avec une Soyouz-2.1a depuis le site 31 à Baïkonour, et non plus depuis le Pad 1, le pas de tir des vols habités depuis le décollage historique de Yuri Gagarin [à voir en images dans Expedition 50/51 : roulage du Soyouz MS-03 comme si vous y étiez !]
Un amarrage prévu après 2 jours de vol,mais…
Après le décollage et la séparation du Soyouz MS-14 du lanceur conformément au plan de vol, le vaisseau a entamé 2 jours de poursuite et d’augmentation de son orbite pour rejoindre la Station Spatiale Internationale.
En prévision de l’arrivée matinale de Soyouz MS-14, Aleksey Ovchinin et Alexander Skvortsov ont été réveillés dès 5h du matin alors que le reste de l’équipage était autorisé à dormir. L’approche du Soyouz MS-14 au module Poïsk de l’ISS devait être effectué automatiquement sous le contrôle de spécialistes du Centre de Mission russe (TsUP) et des 2 cosmonautes. L’amarrage était prévu le 24 août à 7h30 heure de Paris.
Mais tout ne s’est pas passé comme prévu. Le radar de rendez-vous Kours du Soyouz n’a pas pu se connecter au port d’amarrage de la Station.
A moins de 100 mètres de l’ISS, le Soyouz a commencé alors à osciller, n’arrivant pas à accrocher le signal radar, comme on peut le voir dans cet extrait du live :
Soyuz MS-14 having some issues here! pic.twitter.com/lLCOyym3GP
— Chris Bergin – NSF (@NASASpaceflight) August 24, 2019
Le reste de l’équipage est alors réveillé en urgence par le Centre de contrôle de Houston qui leur demande d’ouvrir tous les hublots de la Station et de garder le contact visuel avec Soyouz. Ils doivent se tenir prêts à toute éventualité.
La situation devenant trop à risque, l’amarrage a été avorté par une commande, la CS-47, lancée à 7h36 depuis l’ISS par Aleksey Ovchinin, qui a eu pour effet d’éloigner immédiatement le Soyouz afin d’éviter tout risque de collision.
Le Soyouz est alors retourné à une distance de sécurité de l’ISS, au-dessus et derrière la Station Spatiale. A aucun moment l’équipage de l’ISS n’a été en danger.
ABORT! Soyuz MS-14 is aborting. Could not lock on to the ISS and was slewing in view. Commanded to depart. pic.twitter.com/mFS1aA2KDO
— Chris Bergin – NSF (@NASASpaceflight) August 24, 2019
Une défaillance du système radar côté ISS
L’amarrage automatique à l’ISS d’un Soyouz ou d’un Progress est basé sur le fonctionnement du système Kours qui utilise des signaux radars et nécessite deux instruments : le Kours-A monté sur le vaisseau actif (Soyouz ou Progress), et le Kours-P sur le vaisseau passif, en l’occurrence ici, l’ISS [Plus d’informations sur comment fonctionne le Kours chez Kosmonavitka].
Les premières investigations menées par le centre de contrôle russe indiquent que la défaillance provient du système de radar Kours-P installé du côté de l’ISS sur le module Poïsk.
Les contrôleurs russes ont informé le commandant de l’Expédition 60, Alexey Ovchinin, et Alexander Skvortsov, qu’ils enverraient des instructions pour échanger l’amplificateur de signal du système d’accueil KOURS de la Station et le tester avant de procéder à une nouvelle tentative d’accostage.
Une situation inédite
La panne conjuguée à la configuration particulière de la mission Soyouz MS-14 (pas d’équipage à bord), l’amarrage sur le module Poïsk n’a pu être réalisé en mode manuel. En effet, dans le cas d’un Soyouz habité, le commandant de bord (toujours un Russe) aurait pu effectuer cet amarrage manuel. De plus, contrairement aux cargos Progress, les vaisseaux Soyouz ne sont pas équipés du système TORU. Les cosmonautes à bord de l’ISS auraient pu prendre le contrôle à distance du Soyouz pour l’amarrage, en utilisant une source vidéo du véhicule qui s’approche.
Un nouvel amarrage prévu le 27 août après une rotation des Soyouz
Compte tenu qu’un amarrage manuel ne peut être effectué sur le module Poïsk par le vaisseau Soyouz MS-14 et que seul un amarrage automatique est possible (pas d’équipage à bord), Roscosmos a décidé de faire déplacer le Soyouz MS-13 actuellement amarré sur le module Zvezda sur le module Poïsk, puis de faire amarrer automatiquement le Soyouz MS-14 au module Zvezda, son Kurs-P ayant fonctionné lors de l’arrivée du Soyouz MS-13.
Lundi 26 août l’équipage arrivé avec le Soyouz MS-13, Alexander Skvortsov, Luca Parmitano et Andrew Morgan, vont prendre place à bord de ce Soyouz en combinaison Sokol. En cas de soucis, ils pourront toujours rejoindre la Terre.
Le Soyouz MS-13, piloté manuellement par son commandant Alexander Skvortsov, devrait se séparer à 5h34 heure de Paris de l’ISS et s’amarrer au module Poïsk à 5h59.
La nouvelle tentative d’amarrage du Soyouz MS-14, cette fois-ci au module Zvezda, sera effectuée le mardi 27 août à 5h12 heure de Paris.
A suivre ici : https://vk.com/video-30315369_456240958
Ce sera la première relocalisation de Soyouz depuis août 2015 lorsque Gennady Padalka, Mikhail Kornienko et Scott Kelly ont mené une opération similaire, mais en sens inverse, pilotant leur vaisseau Soyouz TMA-16M de Poïsk à Zvezda [Relocalisation du Soyouz TMA-16M].
Cette relocalisation et cette nouvelle tentative d’amarrage ne devraient pas avoir d’incidence sur le départ du cargo Dragon CRS-18 prévu le mardi 27 août à 16h30 heure de Paris
Sources principales : Roscosmos et le blog Kosmonavtika
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