Retour sur la mission ARES III de deux semaines de simulation de vie sur Mars
Début août, je vous parlais du démarrage d’une mission un peu spéciale : ARES III ou deux semaines de simulation de vie sur Mars… en Pologne.
Voici le compte-rendu partagé par Patrick Fleith, l’un des 2 Français de l’équipage.
ARES-III C’est quoi ?
Nous sommes 6 individus, scientifiques, ingénieurs, étudiants, entrepreneurs, à avoir été retenus pour les rôles d’astronautes analogues lors d’une mission pas comme les autres. Cela a consisté à passer deux semaines, enfermés dans une reproduction de base martienne, pour y simuler les conditions de vie d’un équipage sur la planète rouge. Ce type de mission permet d’aider la communauté scientifique à préparer les futurs vols spatiaux habités. Notamment, elles permettent d’effectuer de la recherche en facteurs humains, neuropsychologie, biologie, géologie, gestion des ressources, robotique, opérations, mais également de promouvoir la science et l’exploration spatiale auprès du grand public.
La station LUNARES est une ancienne base militaire à Piła (Pologne) qui a été aménagée en un habitat permettant de simuler des missions lunaires ou martiennes. Rénovée, on y trouve à l’intérieur des laboratoires, des cultures hydroponiques, une salle de contrôle, les quartiers de l’équipage, un atelier, une cuisine, et un terrain pour y piloter des rovers ou simuler des sorties extra-véhiculaires en combinaison.
La préparation de la mission
Une mission comme celle-ci se prépare. Sur le plan scientifique, psychologique et sportif. Pendant les trois mois qui ont précédé la mission, nous avons passé le plus clair de notre temps libre, les soirs ou les week-ends à préparer les expériences. Cela demandait d’être en contact avec les chercheurs des laboratoires pour qui nous allions les réaliser. Nous avons aussi apporté des expériences personnelles.
J’étais très enthousiaste au fur et à mesure que la date approchait. Étonnement, ce que j’appréhendais le plus, c’était les deux heures de sport par jour ! Je ne suis pas un grand sportif dans la vie de tous les jours ! Donc je me suis aussi préparé physiquement. A part ça, je ne m’inquiétais pas vraiment de l’isolation et du manque de connexion avec l’extérieur.
L’une des premières leçons à tirer, c’est les backups. L’un des astronautes analogues n’a pas pu participer au dernier moment, et donc les organisateurs ont dû faire appel à son remplaçant.
3 jours avant la mission j’ai fait le voyage depuis l’Angleterre jusqu’à Piła, en Pologne. J’ai dû arriver à une période particulière, car il y avait une concentration de moustiques intenable en soirée. C’était quasiment insupportable de rester dehors le soir sans anti-moustique. Bref, très vite, j’ai rencontré l’équipage. Des personnes géniales, avec qui je savais que nous allions vivre une belle mission. Durant ces trois jours, tout le monde logeait dans un dortoir de fortune, celui des parachutistes.
Nous avions à apprendre comment fonctionne l’habitat, les suivis médicaux, les expériences pré-missions, et bien sûr le plus important : souder l’équipage.
Le samedi 1er août à 10 heures nous passions notre dernier coup de fil avant d’être isolés sans contact direct avec l’extérieur pendant 2 semaines.
Un véritable emploi du temps d’astronaute !
Le premier jour, nous étions assez désorganisés. Nous avons commencé par passer en revue toutes les expériences à effectuer. Aussi, nous avons préparé des fichiers Excel et feuilles à coller un peu partout dans l’habitat afin d’enregistrer les paramètres de mission : Voici une liste de ce que nous devions enregistrer :
- Sommeil : temps, heure de réveil, qualité, rêves, etc.
- Urine, heure, volume, couleur
- Vérification médicale matin et soir : température, poids, pression sanguine, analyse de la peau, rythme cardiaque, etc.
- Température et humidité de chaque module
- Questionnaire sur les activités quotidiennes
- Questionnaire sur le moral
- Questionnaire psychologique
- Questionnaire médical
- Inventaire des produits consommés, nourriture, eau, etc.
- Nombre de chasses d’eau, quantité d’eau pour la préparation de la nourriture, le laboratoire, les sanitaires, l’hygiène, etc.
- Performances sportives du matin, et du tapis de course
- …
Très vite, je me suis dit que nous allions devoir y consacrer beaucoup de temps, et qu’il nous resterait peu de temps pour les expériences. J’avais très à cœur de réaliser l’ensemble des expériences attribuées, mais pas à passer tellement de temps à remplir des questionnaires. Les premiers jours étaient donc difficiles. Il fallait s’habituer aux automatismes afin de ne pas perdre de données, mais aussi lancer des expériences. La première fois que l’on réalisait une expérience, celle-ci demandait beaucoup de temps. Mais grâce à notre commandante qui élaborait d’une main de maître les emplois du temps chargés, nous avons pu venir à bout de ces interminables « To do list ».
Nous étions très fatigués de ce début de mission sur les chapeaux de roue. Heureusement, nous commencions à gagner en efficacité dans les tâches répétitives. Nous n’avions toujours pas eu un moment de temps libre au matin du 4ème jour, et c’est donc à ce moment que nous avons instauré la sieste obligatoire ! Du moins, il s’agissait d’un moment calme où chacun pouvait se ressourcer comme bon lui semblait.
Après ces 4 jours de mission, nous étions devenus incroyablement efficaces dans toutes ces tâches. C’est aussi là que j’ai réalisé que ce que nous vivions était très proche du quotidien d’un astronaute dans la station spatiale (la micropesanteur en moins évidemment!) Outre les procédures, données à enregistrer, nous faisions office de vrais cobayes pour les expériences ! Ai-je aussi mentionné les échantillons de salive et de fèces ?
Les expériences
De nombreuses expériences ont été réalisées pendant la mission. Pour certaines les résultats sont encore en cours d’analyse. Avant la mission, j’appréhendais le fait de ne pas avoir assez de temps pour effectuer l’ensemble des expériences que nous nous sommes vus confier. Ceci expliquait en partie nos journées de 12 à 14 heures de travail.
L’une de mes expériences consistait à étudier la germination du cresson dans un simulant de régolithe martien. Un peu comme Mark Watney dans le film Seul sur Mars. Une autre expérience consistait à contrôler l’utilisation de l’eau dans l’habitat. Ceci nous a permis de comparer notre utilisation d’eau avec les standards de la NASA pour les vols habités.
Il fallait aussi tout au long de la mission effectuer la maintenance du système hydroponique. Après 15 jours dans l’habitat nous avons pu agrémenter nos repas monotones de certaines herbes.
D’autres expériences comme celle de Jinjin consistaient à étudier le comportement de blattes géantes dans différentes conditions, ou à expérimenter la croissance de cristaux.
Simon réalisait l’expérience TELEOP de chercheurs de l’ISAE-SUPAERO qui consiste à enregistrer les performances de l’équipage confronté au pilotage d’un rover.
Il suivait aussi une expérience de corrélation du stress et de la sémantique, ainsi qu’un journal de bord détaillé de l’alimentation de chaque astronaute analogue ainsi que ses performances sportives aux sessions matinales. Il y avait des expériences cognitives menées par Angélique, notre commandante, ou encore l’élaboration de procédures pour des mesures verticales du terrain pour sorties extra-véhiculaires.
Les problèmes
Ce qui a rendu cette simulation d’autant plus intéressante, ce sont les problèmes auxquels nous avons dû faire face ! Très vite, nous nous sommes aperçus que le module sanitaire avait quelques problèmes. Un souci de tuyauterie en quelque sorte… Bref, fuites et débordements étaient au rendez-vous ! Nous avons dû nettoyer plusieurs fois, mais l’odeur était toujours désagréable.
Ce genre de mission n’est pas facile psychologiquement. Il peut être difficile d’accepter le manque d’hygiène : une unique douche de 3 litres au milieu de la mission pour moi, et simple rafraîchissement au gant de toilette autrement. Le manque de nourriture avec toutes les activités physiques, est aussi difficile parfois. Pour certains il s’agit surtout de la quantité qui pose problème, mais pour d’autres c’est la qualité. Nous vivions constamment ensemble. Sport, travail, repas, soirées films, et même la nuit ou nous dormions dans le même module. Nous avons été suivis médicalement, et malheureusement après 10 jours de simulation, nous avons perdu l’un des membres d’équipage, qui a dû être évacué sur décision médicale pour non adaptation psychologique et physiologique. Évidemment, bien que la mission soit importante, il est impensable de continuer une simulation qui mettrait en danger la santé d’une personne sous le seul prétexte de « mais si ça arrivait en vrai on ne pourrait pas évacuer, non ? » Et ben c’est très précisément pour cette raison qui nous faisons ce genre d’exercices. Il reste difficile d’anticiper comment une personne va réagir à ce genre de situation. Notre simulation aura donc eu le mérite de révéler des failles dans le processus de sélection des astronautes analogues parmi les candidats, ce qui a été corrigé depuis.
Enfin, nous avons aussi fait l’expérience d’un phénomène fréquent à bord des stations spatiales comme l’ISS. Il s’agit des conflits entre l’équipage, et le centre de contrôle. Il arrive souvent que les astronautes (les vrais) jettent leur blâme sur les équipes au sol. Et pas besoin d’en arriver à la mutinerie de Skylab. En effet, nous étions tous très soudés lorsque nous avons eu de sérieux désaccords sur des aspects de sécurité avec le directeur de vol. En l’absence de communication directe (sans délais), les perceptions de la situation par le centre de contrôle et par l’équipage sont très différentes. Nous étions complètement immergés, en première ligne du matin au soir. Certaines instructions nous paraissaient insensées, et cela a conduit à de vigoureux échanges. Si l’autorité vient du sol, l’exécution ne dépend que de la volonté de l’équipage à se plier aux ordres. Le jour de cet incident, nous avons décidé tous ensemble de suivre notre propre jugement, en sachant très bien quelles pouvaient en être les conséquences. Heureusement pour tous, nous avions fait le bon choix. Ce que je retiens de ce conflit avec le centre de contrôle, ce n’est pas que l’option que nous avions choisie était préférable à celle ordonnée. Notre vision de l’intérieur est tout aussi précise qu’elle manque de recul. Nous aurions très bien pu faire le mauvais choix. Ce que je retiens donc, c’est qu’il n’y aura rien dans une mission martienne qui n’empêchera un équipage d’agir comme il l’entend ; il faudra donc une préparation et une confiance sans faille en des astronautes qui soient capables de discernement.
Les repas
On me demande souvent si on a fait pousser des pommes de terre pour le repas comme dans le film « Seul sur Mars ». Alors évidemment que non. Principalement car nous n’avions ni la surface nécessaire, ni le temps (15 jours de mission seulement). Certes nous avons pu agrémenter les repas traditionnels de plantes qui poussent dans les serres hydroponiques, mais le stock de nourriture était fixé au début de la mission. Le matin c’est du thé, et un peu de lait pour tremper quelques céréales. Deux tranches de biscottes (pas de bonnes baguettes ou viennoiseries !) avec un peu de confiture, miel, ou pâté. Ah oui ce fameux pâté. Nous avions plus de 70 boites au début de la mission. Lors de l’inventaire des premiers jours nous avons décidé qu’il y aurait donc du pâté matin, midi, et soir ! A tous les repas ! Pour les repas du midi, nous avions de la nourriture à réhydrater. Ce sont des rations type militaires, et c’était plutôt bon, et même varié. Nous préparions toujours les repas à deux, pour partager un moment convivial. D’autant plus que le soir, nous expérimentions des plats souvent inédits. Repas à base de pâte, riz, ou kacha (semoule de sarrasin). Ajoutez-y une sauce en conserve (lait de coco, tomate, etc.) et une autre conserve (petits pois, carottes, pêches, maïs, ou pois chiches).
Vous connaissez le concept « Mix & Twist » du duo de Youtubeurs français McFly et Carlito ? Il s’agit de cuisiner un plat à base de deux ingrédients qui pris séparément sont très bons, mais qui une fois mélangés n’inspirent pas du tout ! Nous avons publié notre liste d’ingrédients en stock, et McFly nous a challengé avec le repas suivant incluant « Spaghetti – Ananas – Cumin ». Verdict ? Ce n’était pas bon !
Au cours de la deuxième semaine, nous avons aussi pris des compléments : des comprimés de spirulines, une micro-algue très nutritive. Ceci faisait partie de l’une des expériences d’Angélique et l’occasion pour moi de me rappeler d’un projet d’école où notre objectif était de pouvoir en incorporer en quantité considérable dans l’alimentation des astronautes.
Dans la première moitié de la mission c’était assez difficile car nous faisions en sorte que les stocks tiennent jusqu’à la fin. Nous avions faim. Nous avons sûrement été un peu sévères, et, au fil de la mission, nos portions augmentaient. Personnellement, j’avais très faim le midi, et les rations militaires ne suffisaient pas toujours. Heureusement que le pâté était là ! J’ai aussi noté une tendance personnelle à avoir une préférence inconditionnelle pour les aliments sucrés. D’après Simon, qui enregistrait scrupuleusement jusqu’à la moindre de tranche de biscotte que l’on mangeait, c’était dû à l’intense activité physique !
Les sorties extravéhiculaires
Pendant la mission, nous disposions d’un terrain artificiel, de petite surface certes, mais qui permettait de simuler des sorties extra-véhiculaires : c’est-à-dire en combinaison spatiale hors de l’habitat ou véhicule pressurisé (en abrégé EVA). On sort de l’habitat au moins à deux, pour des questions de sécurité : un « EVA leader » et un « EVA assist ». De plus, un astronaute reste dans la base en liaison talkie-walkie permanente avec les astronautes en EVA : c’est le « HabCom ». Pour la communication, nous utilisions la phraséologie des pilotes que Jan nous a enseignée. Une EVA commence par la préparation du matériel et les relevés médicaux. Les Spacewalkers sont ensuite équipés de combinaisons (non-pressurisées) mais simulant l’encombrement de combinaisons spatiales. Nous devons vérifier que nous avons tous les outils nécessaires avant de partir. Un jour, nous avions oublié notre planche pour relever les mesures et nous avons été obligés de tout passer via le HabCom. C’était laborieux. Lorsque tout est prêt, c’est 15 minutes d’attente dans le sas, puis l’EVA est lancée pour 1 à 2 heures de travail.
J’avais clairement sous-estimé la complexité des EVAs. Alors oui, on est loin des combinaisons Apollo pressurisées, de la gravité réduite, de la poussière du régolithe etc. Mais toutes les tâches sont bien plus difficiles qu’en situation normale. Buée dans le casque, nez qui gratte, mais aussi se déplacer, se baisser, faire des gestes de précision, tout devient plus difficile et prend beaucoup de temps. Nous avons dû opérer une caméra avec des gants et des sur-gants pour les mesures verticales du terrain. Cette expérience aura nécessité pas moins de 5 EVAs et 6h30 pour prendre environ 200 clichés avec précision. On transpire, et on a chaud dans ces combinaisons.
Ma pire EVA était celle avec la combi Apollo 11 car la buée s’était accumulée au point de ne me laisser plus qu’un centimètre carré de visibilité. Bref, quand on rentre d’EVA on est fatigué. Et puis on se rappelle qu’on a tapis de course l’après-midi.
Le sport
Le programme sportif était bien ficelé. Après le réveil, nous avions une demi-heure d’une session d’entraînement physique commune menée par Simon. Tout au long de la journée, on entend le tapis de course sur lequel chaque astronaute analogue passe une heure par jour en moyenne. Et finalement, avant le dîner nous faisons ensemble une séance de Yoga guidée par notre commandante Angélique.
Ce que je retiens
J’ai passé 3 semaines avec un équipage auquel je me suis attaché. Nous avons tout partagé, galères et réussites, ensemble. Je retiens que la sélection de l’équipage parfait pour une mission martienne sera surement plus difficile que la plupart des problèmes techniques que nous aurons à résoudre. Mais je sais qu’il y a des personnes sur cette Terre qui ont de grandes compétences techniques mais aussi relationnelles, donc nous aurons du choix. Je retiens qu’il faudra des astronautes qui soient capables de faire passer leur intérêt après celui du groupe et de la mission ; qu’il faudra être autonome, lucide, et faire preuve de discernement dans les moments où les conflits et problèmes surviennent, lorsque la prise de décision rapide sera nécessaire, sans possibilité de contact avec le centre de contrôle dans le temps imparti. Car des problèmes, il y en aura, c’est garanti. Je retiens que nous partageons tous la volonté de repousser nos limites, et que nous voulons tous un futur meilleur pour l’humanité. Plus je pense à notre futur parmi les étoiles, plus je prends la mesure des défis auxquels fera face l’humanité sur Terre. Nous autres ingénieurs en astronautique, passons souvent pour des geeks, machos, à se battre pour montrer qui a la plus grande fusée, qui gaspillent l’argent public par milliards pour remuer trois cailloux sur Mars et faire des photos de leurs pieds en EVAs depuis l’espace. Oui, les stéréotypes, c’est dur. En réalité, c’est depuis l’espace que nous avons pris la mesure du problème, et que nous cherchons des réponses pour améliorer le futur sur Terre et aussi au-delà lorsque le temps sera venu. Nous vivons dans une période fantastique dans l’histoire de notre civilisation. Je retiens de cette mission qu’il est possible de bien vivre, et de s’épanouir dans un cadre différent du quotidien, avec des ressources finies, avec moins de confort que ce à quoi le Français moyen est habitué. Nous aurons à faire des choix, des sacrifices, et à prendre des risques pour résoudre ces futurs challenges de l’humanité. Cette simulation de mission martienne m’aura autant appris comment vivre sur Terre aujourd’hui que sur l’exploration spatiale de demain. Ad Astra !
Patrick
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Certains pensent à terraformer Mars. Pour l’instant, on est plutôt en train de marsaformer la Terre !
Et ce n’est pas prêt de s’arranger !…