Quand un accident de bateau nous permet de voir les capacités d’imageries des satellites
Si vous suivez l’actualité un minimum, vous n’êtes pas sans savoir qu’un énorme porte-conteneurs de 400 mètres de long, 59 mètres de large et de 220 000 tonnes, bloque depuis le 23 mars le Canal de Suez.
Apparemment cet incident qui bloque tout le trafic maritime sur l’une des voies navigables les plus fréquentées du monde a été causé par des vents violents et une tempête de sable.
Les différents opérateurs de satellites d’observation de la Terre n’ont pas tardé à publier des images réalisées par leurs satellites en orbite basse pour démontrer les capacités de leurs systèmes.
Voici mon panorama non exhaustif des images publiques.
Les Sentinel de l’Europe
Les satellites d’observation du programme européen Copernicus qui sont davantage dédiés à la surveillance l’agriculture et des forêts, l’utilisation des terres, le changement de la couverture terrestre, la surveillance des eaux côtières et intérieures, la cartographie des zones touchées par une catastrophe, ont pris des clichés du Canal de Suez.
Avec une largeur de couverture de 290 km, Sentinel 2A et Sentinel 2B offrent une fréquence de revisite sur un même lieu tous les 5 jours depuis une orbite héliosynchrone à environ 780 km d’altitude.
Les satellites Sentinel-1A et 1B, satellites d’imagerie radar et d’interférométrie tout-temps jour-nuit, à environ 700 km d’latitude, ont montré que le nombre de navires en attente au sud de Suez est passé de 78 à 110 en une seule journée, et de 37 à 69 du côté de l’entrée en Méditerranée :
Les Pléiades d’observation
Pléiades est une constellation de satellites optiques fournissant des produits images de très haute résolution (50 cm en mode civil) sur une bande de 20 km. Les 2 satellites en orbite depuis 2011 et 2012 construits par Airbus Space pour le CNES, permettent d’obtenir une revisite quotidienne de n’importe quel point du globe pour des besoins civils ou militaires et fournissent chacun environ 250 images par jour depuis une altitude d’environ 700 km en orbite héliosynchrone SSO.
Avec les prochains satellites PléiadesNeo d’Airbus Space prévus d’être lancés en 2021, la résolution des images publiques devrait passer à 30 cm.
Worldview porte bien son nom
Maxar, le leader mondial dans la fabrication de satellites, a publié lui aussi des images de l’Ever-Given depuis l’espace par l’un de ses 3 satellites Worldview dont la résolution se situe entre 50 cm et 31 cm pour le dernier, Worldview-3. Les images pourraient aller jusqu’à 15 cm de résolution « virtuelle », en appliquant une nouvelle technologie HD de rééchantillonnage selon l’opérateur.
Maxar prévoit d’envoyer 6 satellites à partir de 2021 pour sa nouvelle constellation appelée Legion qui aurait une résolution de 29 cm.
Planet sur tous les fronts
L’un des autres plus grands pourvoyeurs d’images satellites optiques, Planet, a également publié ses clichés du navire échoué.
Planet dispose d’environ 150 satellites opérationnels en orbite, essentiellement des cubesats 3U lancés depuis l’ISS depuis une altitude entre 400 et 475 km ou les microsatellites (120 kg) SkySat équipés de capacités proche infrarouge et vidéo ayant une résolution de 72 cm depuis une altitude d’environ 500 km.
Dans le cadre d’un partenariat, l’entreprise fournit surtout Google en images satellitaires après avoir acquis en 2017 Terra Bella, une entreprise de Google.
BlackSky mis rapidement en oeuvre
Quelques jours après son lancement à bord d’une Electron le 22 mars, BlackSky-7 a livré lui aussi son image du Canal de Suez depuis son orbite à environ 500 km d’altitude :
A terme BlackSky devrait être une constellation d’une soixantaine de satellites construits par LeoStella LLC, une joint-venture entre Spaceflight Industries et Thales Alenia Space.
Des images radars impressionnantes
L’avantage de la technologie SAR, pour Synthetic Aperture Radar, c’est qu’elle permet des prises de vue de jour comme de nuit et quelle que soit la couverture nuageuse.
Capella Space a publié des images prises par ses satellites SAR, Denali lancé en 2018, Capella-2 (ou Sequoia) lancé en 2020 ou Capella-3 et 4 (Whitney) lancés en 2021. A terme, l’entreprise prévoit une constellation de 30 satellites « Whitney » pour couvrir l’ensemble du globe.
L’opérateur de satellites MDA (ex Digital Globes) a aussi publié des images d’un des 3 satellites Radarsat du gouvernement canadien et en orbite à environ 600 km d’altitude depuis juin 2019 qui fournissent quotidiennement des images du Canada et des voies d’accès maritimes au pays ainsi que des images de l’Arctique, jusqu’à quatre fois par jour. A eux 3, ils balayent jusqu’à 90 % de la surface de la Terre tous les jours.
L’entreprise privée chinoise SpaceTy a également publié une image du navire échoué et des autres bateaux en attente prise par son satellite SAR Hisea-1 lancé en décembre dernier sur le vol inaugural de la Long March 8. Hisea-1 a une masse de 185 kg, et utilise une antenne à réseau de phase. Il dispose de trois modes d’imagerie avec, selon l’opérateur, une résolution de 1m x 1m !
Spacety prévoit de construire, de lancer et d’exploiter une constellation de 56 petits satellites SAR.
Vendredi, ce sont plus de 150 navires qui attendaient le dégagement de l’Ever-Given de part et d’autre du Canal mais cela pourrait prendre plusieurs jours à plusieurs semaines pour remettre à flot le bateau.
Une autre solution pour le trafic maritime qui relie habituellement l’Europe à l’Asie consisterait à mettre le cap vers Bonne-Espérance, à la pointe sud de l’Afrique, soit un détour d’environ 9 000 km, pour une dizaine de jours de voyage supplémentaires.
Avec toutes ces images, vous comprendrez aisément que désormais, aucun évènement catastrophique ne peut passer « sous le radar ». On peut s’en réjouir ou pas, mais c’est le constat actuel, chaque jour, des dizaines de satellites prennent des images au-dessus de nos têtes pour le suivi des catastrophes, du changement climatique, des trafics maritimes ou terrestres, de la pollution, de l’utilisation des terres émergées, etc …
Images de couverture :