Rêves d'Espace

Un site sur l'actualité spatiale : les vols habités, les lancements, l'exploration de l'espace, les grandes missions actuelles et futures

Actualités spatiales

New Glenn, le premier lanceur orbital de Blue Origin, réussi son vol inaugural

Avec New Glenn, Blue Origin est un nouvel entrant dans les fabricants de lanceur orbitaux. Et pour son premier lanceur de cette catégorie, l’entreprise américaine fondée par Jeff Bezos, le créateur d’Amazon, ne fait pas dans la demi-mesure, car c’est directement un lanceur « lourd ».

Le vol inaugural a eu lieu le 16 janvier et le second étage a atteint l’orbite visée.

Et décollage !

Avant les détails de ce vol, je vous explique pourquoi ce nouveau lanceur.

Les ambitions de Blue Origin passent par New Glenn

Ce nouveau lanceur et une des pièces de la vision de Jeff Bezos qu’il a partagé à plusieurs reprises : « Il faut protéger la planète Terre car il n’y a pas de « planète B » susceptible d’accueillir l’espèce humaine. La pollution croissante, le caractère limité des ressources terrestres n’apparaissaient plus compatibles avec le développement continu qui avait permis à chaque génération de vivre mieux que la génération précédente. Il est urgent à la fois de préserver notre planète et de penser des solutions à long terme, à savoir par exemple la mise en place d’infrastructures spatiales habitées de très grande envergure abritant les industries lourdes nécessaires à l’humanité, inspirées des structures spatiales toriques imaginées il y a quarante ans par le physicien Gerard O’Neill « .
Les deux toutes premières étapes pour y parvenir sont la réduction drastique des coûts d’accès à l’espace (avec le lanceur New Glenn) puis l’utilisation des ressources lunaires (avec l’alunisseur Blue Moon).

 Blue Origin a investi massivement dans le développement de sa New Glenn avec un pas de tir sur la Cape Canaveral Air Force Station (Floride), le LC-36, anciennement dédiée aux lanceurs Atlas, ainsi que dans deux usines de production : l’une en bordure du Kennedy Space Center (Floride) pour les lanceurs, l’autre à Huntsville (Alabama) pour les moteurs BE-4 qui équipent la New Glenn et la Vulcan d’ULA.

New Glenn NG-1 sur le pas de tir LC-36A en janvier 2025 (crédit Blue Origin)

Après New Shepard, changement d’échelle

Blue Origin (ou BO) s’est inspiré des pionniers du spatial américain pour le nom de ses lanceurs : Shepard, le premier Américain à avoir réalisé un vol suborbital, et John Glenn, premier Américain sur orbite.

Le lanceur New Glenn est conçu pour réduire drastiquement les coûts d’accès à l’espace. Les solutions techniques retenues pour ce lanceur s’appuient sur les développements effectués dans le cadre du lanceur suborbital New Shepard pour des vols payants juste au-dessus de la ligne de Karman, à 100 km d’altitude. New Shepard avait effectué le premier atterrissage retour réussi d’un premier étage sur Terre en novembre 2011, avant SpaceX (bien que les dimensions ne soient pas comparables).

Mais avec New Glenn, Blue Origin passe à une tout autre échelle et avec des ambitions très différentes.

Comparaison New Shepard / New Glenn et Falcon 9

La fusée New Glenn est entrée en phase de développement avant 2013 et a été officiellement annoncée en 2016, avec un premier vol courant 2021. Comme tous les lanceurs, le développement a pris du retard.

La New Glenn est un lanceur de 98 m de haut et qui serait capable de décoller depuis Cap Canaveral (Floride) dans 95% des conditions météorologiques. Sa capacité annoncée est de 45 tonnes en LEO (orbite basse) et 13 tonnes en GTO (orbite de transfert géostationnaire). Son premier étage est réutilisable.

via technology.org

Le second étage abrite les charges utiles dans une coiffe de 7 m de diamètre, dans un volume 2 fois plus grand que celui proposé actuellement par tous ses concurrents, hors Starship (9 mètres).

Le New Glenn est également un élément nécessaire à l’atterrisseur lunaire de Blue Origin pour la mission Artemis V. Blue Moon MK2 est l’atterrisseur lunaire habité de l’entreprise et est conçu pour s’adapter à cette coiffe.

La capacité de la New Glenn est de 30 capsules New Shepard + 20 camions pour un volume de 22,6 m3 (crédit Blue Origin).

Avec un milliardaire comme fondateur de Blue Origin et des ambitions très similaires à celle du fondateur de spaceX, la comparaison des 2 lanceurs lourds des 2 entreprises est nécessaire :

StarshipNew Glenn
DéveloppeurSpaceXBlue Origin
Hauteur121 m98 m
Diamètre9 m7 m
Étages22
Capacité de charge utile100 — 150 t selon l’orbite (version réutilisable), 250 t (version consommable)45 tonnes à LEO
13 tonnes à GTO
MoteursBooster Super Heavy — 33 Raptor-2 (CH4/LOX)
Starship — 3 Raptor-2, 3 Raptor Vacuum (CH4/LOX)
1er étage – BE-4 х 7 (CH4/LOX)

2 ème étage Jarvis – BE-3U х 2 (LH2/LOX)
RéutilisationLes deux étagesPremier étage uniquement
Coût de production (jusqu’à présent) (USD)~5 milliards~2,5 milliards
Coût par lancement, USD~ 2 millionsÀ déterminer

Le premier étage, Glenn Stage 1 (GS1), est équipé de 7 moteurs développés par BO, les BE-4. Ils sont également utilisés par le lanceur Vulcan d’ULA pour son premier étage. Ils fonctionnent à un mélange méthane/oxygène liquide (CH4/LOX). Ils délivrent environ 1750 tonnes de poussées au décollage (2,45 kN de poussée chacun).

GS1 est prévu pour tenter un atterrissage sur une barge en mer au large des côtes de Floride. 3 des 7 moteurs BE-4 sont dotés d’un cardan pour fournir le contrôle d’orientation : ils peuvent être déplacés dans diverses directions pour rediriger leur poussée, en contrôlant le tangage, le lacet et le roulis pendant l’ascension, la rentrée et l’atterrissage.

Vue sur les moteurs BE-4 (crédit Blue Origin)

Le premier étage est équipé de 6 jambes d’atterrissage à commande hydraulique.

Test à l’été 2024 du déploiement des jambes d’atterrissage de la New Glenn (crédit Blue Origin).

Le second étage, ou Glenn Stage 2 (GS2), et équipé de 2 moteurs BE-3U redémarrables qui fonctionnent à l’hydrogène/oxygène liquide (LH2/LOX) et délivrant environ 78 000 kg (712 kN) de poussée chacun dans le vide. Ils sont les héritiers des BE-3PM de New Shepard.

La réutilisation étant l’un des objectifs de BO avec New Glenn, ils utilisent un navire de récupération Jacklyn, du nom de la mère de Jeff Bezos, une barge spécialement construite pour cet usage.

Le vol inaugural ou NG-1

Le vol inaugural, baptisé NG-1 « So You’re Telling Me There’s A Chance » [Alors tu me dis qu’il y a une chance] avait pour objectif principal d’atteindre l’orbite. La rentrée et l’atterrissage du premier étage étaient considérés comme du bonus par le CEO de Blue Origin, Dave Limp.

L’orbite prévue du premier vol est une orbite terrestre moyenne d’environ 2 400 km sur 19 300 km inclinée de 30 degrés par rapport à l’équateur. Blue Origin voulait tester la précision de l’injection orbitale de New Glenn et effectuer plusieurs allumages des moteurs du deuxième étage au cours de ce vol.

Profil de vol de New Glenn

Après un report de tir le 13 janvier à cause de la formation de glace dans une conduite de purge d’un groupe auxiliaire de puissance qui alimente certains des systèmes hydrauliques, le décollage a eu lieu le 16 janvier à 8h03 UTC. Il y a eu un décalage de l’horaire du décollage à cause d’un bateau dans la zone d’exclusion.

Le premier étage a fonctionné nominalement semble-t-il. On a pu apprécier les belles flammes bleues.

Le booster s’est séparé nominalement du second étage et a entamé un retour vers la Terre. On a pu voir l’allumage « rentry burn » de 3 des 7 moteurs pour freiner l’étage et ensuite, plus de télémesure sur la diffusion du vol. Le booster n’a pas réussi l’atterrissage sur la barge.

Le second étage a réussi à atteindre l’orbite visée et les 2 moteurs BE-3U ont effectué 2 rallumages.

Le premier vol de New Glenn était initialement destiné à effectuer la mission EscaPADE de la NASA vers Mars. Cependant, le lanceur n’a pas été prêt à temps pour la fenêtre de lancement étroite pour le vol vers Mars. La charge utile de ce premier vol est finalement un démonstrateur de Blue Origin, le Blue Ring Pathfinder.

Le démonstrateur Blue Ring comprend un réseau de communications, des systèmes électriques et un ordinateur de vol apposé sur un anneau adaptateur de charge utile secondaire. Le démonstrateur doit valider les capacités de communication du futur Blue Ring de l’orbite vers la Terre.

Blue Ring Pathfinder avant la fermeture de la coiffe (crédit Blue Origin)

À terme, Blue Ring est une plate-forme conçue pour agir comme un remorqueur spatial lourd (ou « space tug ») pour faire voler jusqu’à 13 charges utiles sur diverses orbites, allant de l’orbite terrestre moyenne aux points de Lagrange, et même cis-lunaire. Blue Ring fournira des services aux charges utiles embarquées, jusqu’à 3 tonnes, comme la fourniture en carburant et le relais de données.

Illustration de Blue Ring sur orbite (crédit Blue Origin)

Blue Ring Pathfinder est resté fixé au second étage GS2 pendant toute la durée de la mission qui a duré près de 6 heures. À l’issue du vol, Blue Origin a déclaré avoir reçu des données avec succès.

Ce premier vol NG-1 a donc rempli ses objectifs principaux. Blue Origin a accumulé de nombreuses données de vol. Un second vol serait prévu au printemps.

Déjà un carnet de commandes bien rempli

Blue Origin prévoirait d’avoir 4 boosters du premier étage terminés et en rotation pour les lancements d’ici la fin de 2025, soit 2 à 4 par an par la suite. Bien que les booster soient conçus pour 25 vols, les premiers boosters pourraient ne pas être utilisés jusqu’à cette limite dans un premier temps.

Le lanceur doit avant tout mettre sur orbite les satellites de la constellation Kuiper d’Amazon. 12 vols sont d’ores à présent déjà prévus, et il y a une option sur 15 autres.

Blue Origin a déjà signé plusieurs contrats pour New Glenn : Telesat a signé des accords de lancements pour emporter jusqu’à 35 satellites à la fois de sa constellation Lightspeed, tout comme OneWeb a signé pour 5 lancements pour sa constellation de satellites Internet. AST SpaceMobile a sélectionné New Glenn pour lancer sa constellation BlueBird « direct-to-cell » de 60 satellites minimum en 2025 et 2026.

La NASA a attribué à Blue Origin un contrat NASA Launch Services (NLS) II, rendant New Glenn éligible pour concourir pour les futures missions de la NASA. La NASA utilise le contrat NLS 2 pour acheter des lancements pour ses missions.
Le ministère de la Défense Américaine a ajouté Blue Origin à sa liste de fournisseurs éligibles pour soumissionner pour $5,6 milliards de contrats de lancement spatial de sécurité nationale.

Un premier vol réussi est une étape majeure non seulement pour les ambitions de Blue Origin mais aussi pour le programme Artemis, avec le lancement à venir de l’atterrisseur lunaire Blue Moon (dont on ne connaît pas trop l’avancement à ce jour).


Pour revoir mon live du décollage :

Photos de couverture : Blue Origin et Andrew McCarthy

Publicités

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.