Hera : la première mission de défense planétaire de l’ESA décolle vers un astéroïde dévié
Hera est une mission de l’ESA dans le cadre de la défense planétaire. La sonde Hera va aller survoler l’astéroïde double 65803 Didymos, dont la petite lune Dimorphos a été impactée par la sonde DART de la NASA en septembre 2022. Hera ira collecter des données supplémentaires des conséquences de cet impact, dont le changement d’orbite, pour aider à mieux comprendre cette collision et à éventuellement en faire une technique reproductible pour d’autres scénarios.
Hera déploiera 2 cubesats une fois en orbite autour de l’astéroïde. Ces 3 orbiteurs doivent également étudier l’astéroïde binaire et ainsi améliorer les connaissances à leur sujet.
C’est le second volet de la collaboration internationale « Asteroid Impact and Deflection Assessment » (AIDA). Les astéroïdes géocroiseurs présentant une menace pour la Terre [Lire Les astéroïdes : une vraie menace ?], certaines agences spatiales, comme la NASA et l’ESA s’organisent pour en savoir plus sur ces corps célestes et pour déterminer la meilleure méthode pour dévier un astéroïde de sa trajectoire vers la Terre en cas de risque d’impact.
Les observations de télescopes spatiaux comme Hubble et le James Webb, et de télescopes terrestres ont montré que l’impact de DART sur Dimorphos a engendré un panache de débris qui s’étend sur plus de 10 000 km dans l’espace, avec au moins 37 gros rochers extraits de la petite lune, et une déviation de la trajectoire. Il reste toutefois à connaître la masse et la structure interne de Dimorphos, si l’impact de DART a laissé un cratère ou a complètement redessiné la lune, l’efficacité de l’impact lui-même en termes de transferts de moment cinétique, et aussi l’altération exacte de l’orbite de Dimorphos autour de Didymos suite à l’impact (incertitude résiduelle de 10% mesurée actuellement depuis la Terre).
Premier rendez-vous avec un astéroïde double
La mission d’impact d’astéroïdes (AIM, Asteroid Impact Mission) initiale étudiée à l’ESA jusqu’en 2016 était censée atteindre Didymos avant l’impact de DART, mais n’a pas reçu suffisamment de financement au Conseil ministériel de l’ESA en 2016. La mission Hera, qui est une version optimisée de l’AIM, a été approuvée par le Conseil en novembre 2019, mais son développement tardif (contrat finalisé en 2020) et son lancement en 2024 vont conduire à son arrivée à Didymos 4 ans après l’impact.
Le développement en 4 ans, avec la crise du Covid, l’échange de lanceur, une équipe de 18 pays et 100 sous-traitants conformément aux règles de retour géographique, reste une belle réussite.
La sonde a été fabriquée sous la maîtrise d’œuvre d’OHB System en Allemagne, et la contribution de nombreux pays européens, dont la France.
Hera fait plus 11,5 m d’envergure avec ses 2 panneaux solaires de 5 m de long et 14 m² de surface, et une masse totale d’environ 1 280 kg. Son système de propulsion est à carburants chimiques à hydrazine avec 16 moteurs d’attitude RCS fonctionnant individuellement et 6 moteurs de 10 N de poussée, fonctionnant par groupe de 3, pour les manœuvres et les changements d’orbite. L’antenne haut gain en bande X pour communiquer avec la Terre est de 1,13 m de diamètre. Les décalages Doppler des signaux dus à la gravité de l’astéroïde permettront de mieux connaître la masse et la forme de l’astéroïde.
Hera a une très grande autonomie à bord mais la navigation autonome ne sera testée qu’après la navigation opérée depuis le centre de contrôle de l’ESA, l’ESOC à Darmstadt en Allemagne. Les sources de données pour la navigation et les contrôles visuels de proximité des astéroïdes proviennent de la caméra Asteroid Framing (AFC) combinée aux senseurs d’étoiles et à l’altimètre laser.
Le lancement de Hera a eu lieu le 7 octobre sur une Falcon 9 (le lancement était initialement prévu sur une Ariane 6.4 mais n’était pas disponible à temps). La sonde va s’échapper de la gravité terrestre avec une accélération de 5,9 km/s. Après une correction de trajectoire en novembre 2024, 2–3 semaines après le lancement, la sonde va effectuer un survol de Mars en mars 2025 à une altitude minimale de 5 000 –8 000 km. Puis une seconde manœuvre en février 2026 mettra Hera sur la bonne trajectoire vers Didymos. En octobre 2026, une impulsion de rendez-vous sera donnée pour mettre la sonde sur orbite. À ce moment-là, Hera et Didymos seront à 195 millions de km de la Terre.
Une fois arrivée en orbite, Hera réalisera une première phase de caractérisation du système double à une distance de 20 à 30 km pour déterminer la forme globale, la masse et les propriétés thermiques et dynamiques. À l’issue des 6 semaines, il sera identifié des régions cibles pour des survols rapprochés.
À l’issue de cette première étape, les 2 cubesats compagnons seront éjectés de la sonde.
Une phase de 4 semaines va suivre pour la caractérisation en détail de l’astéroïde et de sa lune à une altitude de 8 à 10 km. Une cartographie détaillée au mètre devrait être réalisée. Puis la sonde se rapprochera encore plus pour localiser et étudier le lieu de l’impact de DART. En fin de mission, des survols à moins de 1 km devraient être réalisés pour cartographier à une résolution décimétrale. Une tentative de posé sur la lune sera effectuée en toute fin de mission.
Hera embarque des instruments scientifiques et 2 cubesats
En étudiant l’astéroïde Didymos de 780 mètres ainsi que sa lune Dimorphos de 151 mètres de diamètre, Hera devrait nous aider à mieux comprendre la formation des astéroïdes binaires qui constituent environ 15% des astéroïdes connus à ce jour.
Pour cela, il faut des instruments scientifiques à bord :
- AFC, Asteroid Framing Camera, pour la fourniture d’images de l’astéroïde sur plusieurs longueurs d’onde à l’aide de 2 caméras identiques avec un détecteur bidimensionnel.
- TIRI, Thermal Infra Red Imager, une contribution de l’agence spatiale japonaise, la JAXA, hérité de l’imageur TIR sur Hayabusa-2, pour des images thermiques (thermographie) pour l’identification de la composition du matériau de surface.
- PALT, Planetary ALTimeter, ou Laser Range Finder, un LIDAR pour déterminer la distance aux astéroïdes en mesurant le temps de vol d’un faisceau laser à une longueur d’onde de 1,5 µm avec une empreinte de 1 mrad (c’est-à-dire que le diamètre de l’empreinte est de 10 m à une distance de 10 km). La précision de la mesure de distance est de 0,5 m. PALT prend en charge la navigation de la sonde, des opérations de survol aux opérations d’atterrissage, et fournit des données scientifiques, telles que des mesures de vitesse relative, de vitesse de chute et de réflectance à la longueur d’onde du laser (1,535 µm). Il aidera le développement du modèle de forme des astéroïdes et la mesure de la masse (qui permet une estimation de la densité apparente) ainsi que la détermination de la topographie de la surface.
- Hyperscout-H, un imageur hyperspectral observant 45 bandes spectrales visibles et proche infrarouge, pour l’étude géologique et compositionnelle de l’astéroïde.
- SMC, Spacecraft Monitoring Camera, une caméra de surveillance du plateau support des instruments et de surveillance du déploiement des cubesats.
Les cubesats Milani et Juventas
2 cubesats 6U accompagnent Hera. Ce sont les premiers cubesats de l’ESA dans l’espace lointain
Milani, d’après le mathématicien et astronome italien Andrea Milani, figure de proue de la communauté des sciences spatiales en Europe, et pionnier de l’analyse des risques liés aux astéroïdes, a été développé par Tyvak International en Italie. Le cubesat héberge un imageur multispectral ASPECT, développé par VTT en Finlande, pour cartographier la minéralogie de surface en visible et proche infrarouge avec une résolution de 1 m. Il comprend également VISTA, développé par INAF en Italie, un détecteur de poussières de 5 à 10 µm, et qui servira aussi pour la caractérisation des substances volatiles et organiques légères, et la surveillance de la contamination moléculaire dans les environs de Milani.
Juventas, d’après le nom de la fille de la déesse Héra, développé par la société danoise GomSpace, mesurera le champ de gravité ainsi que la structure interne de Dimorphos. En orbite proche autour de Dimorphos, Juventas s’alignera avec Hera pour réaliser des expériences de radiosciences satellite à satellite. En mesurant précisément les minuscules oscillations de leurs trajectoires lorsqu’ils tournent autour de l’astéroïde, les scientifiques peuvent cartographier le champ de gravité de Dimorphos. Cela révélera la masse de l’astéroïde et la distribution de la densité interne pouvant donner des indices sur sa composition.
Juventas transporte un instrument radar pour effectuer la première sonde radar de la structure interne d’un astéroïde, ainsi qu’un gravimètre à détection de gravité.
Grâce à son radar, JuRa (Juventas Radar) hérité du radar CONSERT de la mission Rosetta, et développé en partie par l’Institut de Planétologie et d’Astrophysique de Grenoble (IPAG), le cubesat réalisera aussi une étude radar basse fréquence de l’intérieur de l’astéroïde, similaire à la réalisation d’un scan détaillé à rayons X de l’astéroïde. Un atterrissage sur la petite lune est prévu en utilisant un probable rebond pour photographier les détails du matériau de surface de l’astéroïde, suivi de plusieurs jours d’opérations de surface si tout va bien.
L’une des contraintes majeures pour ces cubesats est leur déploiement plus de 2 ans après le lancement. Du coup, IsisSpace a développé un système de stockage spécifique, le « Deep Space Deployer » qui permet pendant la phase de croisière de vérifier régulièrement les batteries des cubesats et de les recharger. Le mécanisme de libération est tout aussi spécifique, à basse vitesse, permettant un déploiement précis à environ deux à trois centimètres par seconde pour contrôler le déploiement des cubesats.
Des liaisons inter-satellites entre la sonde et les cubesats seront effectuées grâce à un émetteur/récepteur miniaturisé ISL (Inter Satellites Link). Cet ISL permettra la transmission des données des cubesats via Hera sur la Terre, mais également de faire de la science : la mesure du champ de gravité de Didymos qui ne peut être effectuée par Héra seule, et aussi la détermination de la masse des 2 astéroïdes par l’étude de l’attraction gravitationnelle des satellites.
Matrice de traçabilité scientifique pour Hera :
Exigence de mission | Produit de haut niveau | Charges utiles contributives |
---|---|---|
Masse de Dimorphos et propriétés dynamiques du système de Didymos | État orbital de Dimorphos | AFC, PALT, TIRI, RSE, GRASS, ISL |
Accélération gravitationnelle | AFC, PALT, RSE, GRASS, ISL | |
Satellites/débris/éjection de poussière | AFC, TIRI, ISL, VISTA | |
Accélération non gravitationnelle | AFC, TIRI, RSE | |
Propriétés globales, structure intérieure | Forme/volume (global, + cratère DART haute résolution) | AFC, PALT |
Structure interne, densité et distribution de porosité | AFC, RSE, JuRa, ISL | |
Caractérisation des propriétés de surface | Géomorphologie (description globale de la surface) | AFC, TIRI, JuRa, ASPECT |
Propriétés mécaniques (résistance, angle de frottement, densité, cohésion, etc., dérivées d’études locales et géomorphologiques) | AFC, PALT, TIRI, JuRa, GRASS, GNC, ASPECT | |
Propriétés optiques et thermiques | AFC, PALT, TIRI, Hyperscout-H, ASPECT, VISTA | |
Composition et altération de l’espace | TIRI, Hyperscout-H, JuRa, ASPECT, VISTA |
Bon vol à Hera et on suivra la mission pour les prochaines étapes de son voyage de 2 ans !
Pour suivre la trajectoire de la mission Hera : https://whereis.space/hera/
La mission en résumé, en vidéo :
Sources principales de l’article : Launch kit, le site officiel de la mission, le papier « La mission Hera de l’ESA : caractérisation détaillée du résultat de l’impact DART et de l’astéroïde binaire (65803) Didymos » de Patrick Michel et coll 2022.
Image de couverture : crédit ESA – ScienceOffice.org