Il y a cent ans, le Grand Débat : ou l’abyssale découverte des galaxies !
Un univers minuscule ou gigantesque ?
Cet article vous racontera l’une des plus incroyables découvertes scientifiques de notre Histoire : elle est comparable à la compréhension de la forme de la Terre. Découvrir la rotondité de notre planète fut un bond conceptuel sans retour possible dans notre connaissance du monde. La découverte des autres galaxies est de cet ordre-là : elle a non seulement augmenté la taille de l’Univers accessible à notre savoir mais surtout ouvert la voie à des phénomènes qui nous étaient cachés, comme l’expansion de l’Univers.
Nous savons que nous habitons une galaxie aux dimensions assez banales, où scintillent quelque deux cents milliards de soleils plus ou moins comparables au nôtre. Nous savons qu’il existe, a minima, des milliers de milliards d’autres galaxies, certaines plus modestes, d’autres colossales.
Ce savoir est de nos jours un fait acquis, pour beaucoup. D’ailleurs, sans être astronome, certains ont remarqué cette tache floue visible au Nord-Ouest ou au Nord-Est suivant le moment de l’année, qu’on peut apercevoir à l’œil nu dans un ciel bien sombre : c’est la galaxie d’Andromède, une voisine, une cousine de la Voie lactée, notre chez-nous. Dans l’Hémisphère sud, les navigateurs, parmi lesquels le célèbre Magellan, avaient l’habitude de se fier à deux autres taches pareillement visibles sans instruments : on les nomme depuis le Petit et le Grand Nuage de Magellan. Ce sont également des galaxies, plus proches de nous que celle d’Andromède.
Il suffit de taper « galaxies » sur un moteur de recherche pour être époustouflé par la majesté de ces continents spatiaux, contenant des centaines de milliards de soleils. En 1956, Émile Cioran, philosophe pessimiste – ô combien drôle – déclarait « Ce matin, après avoir entendu un astronome à la radio parler de milliards de soleils, j’ai renoncé à faire ma toilette : à quoi bon se laver ? »*1
Le gigantisme des cieux, de l’espace autour de la Terre, est connu aujourd’hui. Mais il est assez incroyable de penser que ce savoir est en réalité plutôt récent. Il a environ un siècle. Nous avions compris dès 1 800 comment créer une pile électrique*2 et les équations de l’électromagnétisme vers 1 865*2. Mais il fallut attendre soixante ans de plus pour que Cécilia Payne découvrît de quoi les étoiles étaient réellement composées.
Il est intéressant de rappeler que les êtres humains apprenaient à la même époque quelle était leur place dans l’Univers. Copernic nous démontra que nous n’étions pas au centre du Système solaire, où trônait plutôt le Soleil. Nous étions donc délogés de la place centrale dont les Hommes supposaient intuitivement qu’elle leur était échue. Mais enfin, cette voûte grumeleuse, étoilée, qui barre le ciel des nuits noires, était certainement l’ensemble de l’Univers, non ?
Une fenêtre immense s’ouvre sur l’espace démesuré
En réalité, dès le XVIIIe siècle, des philosophes, parmi lesquels Kant et Wright, supposèrent la théorie des « univers-îles », à savoir que pour eux, il devait y avoir une infinité de galaxies comme la nôtre. Nous pourrions citer le génial Giordano Bruno, qui, au XVe siècle avait déjà compris que l’Univers ne pouvait avoir de centre et que tout ce que nous voyions ici existait partout en de multiples exemplaires. Mais ce n’était que de l’ordre des hypothèses, loin de ce que les sciences actuelles nomment des « théories », c’est-à-dire, aussi séduisantes que pouvaient l’être ces idées, aucune observation, aucune mesure, n’y accordait un réel crédit.
Mais en 1920, tout se trouva sur la table pour changer notre vision de l’Univers, à jamais. Une fenêtre immense, démesurée, allait s’ouvrir sur l’espace.
De la nature des nébulosités
Parmi les grands mystères qui agitaient le monde des astronomes à partir de 1780 environ, était celui des nébulosités du ciel. Il ne s’agissait alors pas de l’atmosphère terrestre, tel que l’entendent nos météorologues actuels lorsqu’ils parlent de nébulosité.
Charles Messier décidait alors de relever tout ce qui ne lui semblait pas appartenir à la classe des comètes, afin d’en faciliter leur recherche, car elles passionnaient tant à l’époque. Il dressa l’un des catalogues les plus célèbres de l’astronomie, encore utilisé aujourd’hui par les astronomes amateurs : le Catalogue Messier. Il y consigna méticuleusement la position et si possible la nature de ces « objets », mal comprise par ses contemporains. Il y avait dans ce lot ce que nous appelons aujourd’hui des nébuleuses planétaires, des nébuleuses diffuses – pouponnières d’étoiles –, etc. Mais il y avait aussi d’étranges taches, diffuses aussi, difficiles à caractériser avec leurs instruments. On ne comprenait pas ce qu’elles étaient, ces nébulosités. Pour beaucoup, il s’agissait de nuages de gaz appartenant à la Voie lactée. La plus notable, rapidement photographiée, était la « Grande Nébuleuse d’Andromède », nommée ainsi car elle se situe, par rapport à nous sur Terre, dans la constellation d’Andromède. Mais il y en avait beaucoup d’autres, dont la fameuse M87, aujourd’hui connue comme une galaxie elliptique géante qui abrite le célèbre trou noir supermassif imagé par l’EHT*3. Cependant, à l’époque, on devait se contenter d’une tache floue, sans saveur ni consistance et de nature particulièrement mystérieuse.
Nous arrivons donc au Grand Débat. Il changea, comme nous l’avons annoncé, irrémédiablement la connaissance de l’Univers et la place que l’être humain occupe dans ce dernier. Deux camps s’opposaient : le camp de Harlow Shapley, qui pensait que ces nébulosités étaient des choses mal connues certes, mais appartenant à la seule galaxie de l’Univers, la nôtre, et que celle-ci mesurait au moins 300 000 années-lumière de diamètre ; dans l’autre camp, de Heber Doug Curtis, on soutenait que la nébulosité d’Andromède était au-dehors de la Voie lactée, qu’on estimait à seulement 30 000 années-lumière, soit dix fois plus petite que le jugeait le camp d’en face. Il est amusant de relever que sur la taille de la Voie lactée, les deux camps se trompaient : le consensus actuel l’estime plutôt à 100 000 années-lumière. Pourtant, sur la localisation des nébulosités, c’est bien celui de Curtis qui voyait juste. Mais il faut noter que le Grand Débat s’acheva sans que l’un des deux exposés, de Curtis ou de Shapley, permît de départager leurs positions radicalement opposées. Match nul. Ce fut un autre immense astronome qui, peu d’années après, apporta les preuves dont on manquait alors pour comprendre.
La Solution, à la faveur d’erreurs et d’étoiles un peu fêtardes
Les astronomes sont des gens étonnants. Ils jonglent avec des nombres fantastiquement grands, ils considèrent des espaces – dans un cerveau pourtant équivalent au nôtre – dépassant l’entendement et même l’idée qu’on peut se faire d’un infini. Seuls les mathématiciens peuvent les comprendre ! Malgré ce labeur quotidien qui les plonge, avec des délices de scaphandriers, dans des océans de vide plus vastes que le Système solaire lui-même, leurs calculs, biaisés par des instruments imparfaits (surtout à l’époque de Curtis et Shapley) leur font commettre des erreurs d’une ampleur catastrophique. Mais, par une juste magie – on ne sait trop comment la nommer – ils parviennent tout de même à éclairer les tréfonds obscurs de l’espace de la lumière des connaissances.
Entre 1923 et 1926, le célèbre Edwin Hubble, continuant les travaux de Vesto Slipher, parvint à mesurer la distance de la galaxie d’Andromède et de celle du Triangle. Il y arriva grâce à de minuscules petites lueurs temporaires, des soubresauts explosifs d’étoiles, qu’on nomme novae, et qui sont les variabilités lumineuses cycliques des étoiles dites céphéides. Cette découverte aurait été impossible sans le travail brillant d’Henrietta Leavitt qui révèle la relation période/luminosité des céphéides en 1913. Elle mourra malheureusement avant d’apprendre que son outil mathématique avait percé l’un des plus grands mystères de l’astronomie. Revenons-en à Hubble, car sa conclusion est sans appel : Andromède est située à 900 000 années-lumière de la Voie Lactée, et le Triangle encore un peu plus loin. Ces nombres étaient là encore entachés d’erreurs, mais la réalité lui donnera encore plus raison car ces galaxies sont finalement plus loin que ce qu’il mesura. Quoi qu’il en soit, il était clair que même dans le cas d’une Voie Lactée de 300 000 années-lumière de diamètre, il était rigoureusement impossible que ces objets en fissent partie ! Slipher et Hubble avaient agrandi l’Univers au-delà de tout ce qui était connu.
Mais il y a plus fort encore : s’appuyant sur la nature extragalactique de ces « objets », Edwin Hubble publia en 1929 la fameuse « Loi de Hubble », qui n’est rien d’autre que l’affirmation de l’expansion de l’Univers ! Encore une incroyable histoire à raconter.
Le début du XXe siècle fut celui des révolutions scientifiques majeures pour notre connaissance de la Nature : la taille de l’Univers, son mouvement expansif, son état initial extrêmement chaud et calculable (que l’on doit à Gamow en premier lieu, et qui fera sans doute l’objet d’un article futur) qui donnera le Fond Diffus Cosmologique*4, la Relativité Restreinte et Générale, la découverte des quanta à l’origine de la Mécanique Quantique !
La différence entre le XIXe et le XXe est abyssale : c’est la nuit et le jour.
Nous sommes des poussières d’étoiles, des poussières dans l’incommensurable gigantisme d’un univers en expansion. Notre vaisseau spatial Terre voyage à plus de 100 000 kilomètres par heure autour d’une étoile assez banale, elle-même emportée dans un courant stellaire autour du centre d’une galaxie spirale barrée, d’une forme à la fois enchanteresse et plutôt anodine. Et nous devons ces savoirs vertigineux à la passion de femmes et d’hommes qui vouèrent leur existence à observer, analyser, déchiffrer et décrypter, les indices que la Nature laisse involontairement derrière elle.
Références :
- *1 La tentation d’exister, Émile Cioran, 1956
- *2 Alessandro Volta pour la pile électrique en 1800, et James Clark Maxwell pour les équations de l’électromagnétisme
- *3 Event Horizon Telescope, interféromètre astronomique multi continental de radiotélescopes.
- *4 Les céphéides, dont la relation luminosité/distance fut montrée par Henrietta Levitt, permirent de mesurer les distances intergalactiques.
- *5 Le Fond Diffus Cosmologique, prédit vers 1940 par Ralph Ader, Robert Herman et George Gamow, découvert formellement par Arno Allan Penzias et Robert Woodrow Wilson en 1964.
Image de couverture : Hubble eXtreme Deep Field, crédit NASA, ESA, G. Illingworth, D. Magee, and P. Oesch (University of California, Santa Cruz), R. Bouwens (Leiden University), and the HUDF09 Team