Biomass : un radar spatial inédit pour mesurer la biomasse et l’évolution des forêts à l’échelle globale
Le satellite Biomass de l’ESA a décollé ce 29 avril à bord de Vega C pour fournir des données sur l’état des forêts du monde et sur leur évolution au fil du temps. C’est la première mission au monde à observer à travers la canopée forestière et toute la couche forestière pour mesurer la biomasse, c’est-à-dire les troncs ligneux, les branches et les tiges, où les arbres stockent la majeure partie de leur carbone. Cette mission européenne permettra de faire progresser les connaissances sur le cycle du carbone.

La mission Biomass va fournir, pour la première fois, des cartes mondiales précises et régulières de la biomasse et de la hauteur des forêts, permettant de mieux comprendre les cycles du carbone, de soutenir la gestion durable des forêts, d’affiner les modèles climatiques et de renforcer les politiques de conservation et de lutte contre le changement climatique.
Le satellite Biomass fait partie des Earth Explorer [explorateur de la Terre] de l’Agence Spatiale Européenne.

Mieux comprendre le cycle du carbone
Les émissions de dioxyde de carbone sont en partie responsable du changement climatique. Heureusement les forêts absorbent et emprisonnent une part considérable du dioxyde de carbone que contient l’atmosphère, ce qui contribue à la régulation du climat sur Terre. Cependant, la déforestation à grande échelle entraîne la libération de ce dioxyde de carbone dans l’atmosphère (environ 10 % des émissions totales), ce qui aggrave le phénomène de dérèglement climatique.
Comprendre le cycle mondial du carbone nécessite des estimations précises des stocks de carbone dans l’atmosphère, les océans et les terres, ainsi que du taux de flux, ou flux, entre eux. Cependant, des incertitudes importantes (indiquées par les symboles +/- sur la figure ci-dessous) subsistent, en particulier dans les composantes terrestres telles que les émissions liées au changement d’affectation des terres et l’absorption des puits de carbone terrestre. Les données de Biomass permettront de mieux estimer sur les flux de CO2 au niveau des forêts sur le globe.

Des cartes explicites de la biomasse existent dans certaines parties du monde, mais celles-ci ne couvrent que de petites zones ou sont à une résolution grossière et contiennent des biais inconnus variant dans l’espace. Dans les régions les plus critiques (les tropiques), le bilan carbone est trop incertain pour permettre des calculs précis de flux de carbone.

La biomasse forestière représentant un indicateur du carbone stocké, la mission Biomass de l’ESA a été conçue pour mesurer la biomasse forestière, la hauteur et les perturbations temporelles, notamment au niveau des régions tropicales où sont situées la majorité des forêts.
Avec une durée de vie du satellite d’au moins 5 ans, les données seront recueillies sur au moins 8 cycles de croissances des forêts.
Voir à travers les forêts en 3D avec une antenne radar inédite
Biomass est le premier satellite civil à transporter un radar à synthèse d’ouverture entièrement polarimétrique en bande P pour l’imagerie interférométrique.
Grâce à la longue longueur d’onde de la bande P (environ 70 cm), le signal radar peut traverser la canopée forestière, quel que soit le type de forêt (tropicales, tempérées et boréales), quelles que soient les conditions météorologiques, et de jour comme de nuit.
Le radar est entièrement polarimétrique, ce qui signifie qu’il est capable d’émettre et de recevoir selon deux polarisations linéaires orthogonales, horizontale et verticale. Les différents signaux dans chaque canal de polarisation sont nécessaires pour produire différentes informations sur la forêt. Plusieurs passages du satellite sur exactement la même zone sont nécessaires pour obtenir des informations sur la hauteur de la forêt et la structure de la forêt sous la canopée, une technique appelée interférométrie radar à synthèse d’ouverture.
Depuis son orbite polaire héliosynchrone à 666 km d’altitude et d’inclinaison 98°, la mission Biomass débutera par une seule phase de couverture globale tomographique, qui dure environ 18 mois, suivie de plusieurs couvertures globales interférométriques de 9 mois pour le reste de la vie de la mission. Cela sera utilisé pour comprendre comment les forêts évoluent au fil du temps.
La phase tomographique consiste, comme un scanner, à combiner plusieurs images pour révéler des informations sur la structure interne d’une forêt. Cela devrait donner une grande carte globale avec des informations 3D à une résolution verticale de 15–20 m et une résolution spatiale de 200 m. Le faisceau au sol de l’antenne est de 60 km.
Pendant 4 ans, le satellite survolera la planète pour la phase d’interférométrie, donnant lieu à environ 5 cartes mondiales, et de voir l’évolution de la biomasse dans le temps.
Les données sur la dynamique des forêts aideront à quantifier les pressions humaines et à mieux gérer les ressources, notamment dans les pays tropicaux où les enjeux sont majeurs pour l’environnement, l’eau, le climat et le développement.
Les calottes glaciaires et les déserts en objectifs secondaires
En objectifs secondaires, la mission Biomass permettra de cartographier les couches géologiques du sous-sol des déserts, la structure glacée des calottes glaciaires et la topographie des sols forestiers.

La longue longueur d’onde de la bande P signifie qu’elle peut pénétrer profondément dans la glace et est donc moins affectée par la fonte et les chutes de neige à la surface de la glace, ce qui peut fausser les mesures depuis l’espace. Biomass devrait mesurer les vitesses des glaciers et des calottes glaciaires dans les régions où les conditions de glace de surface sont trop variables pour que les radars à ouverture synthétique de longueur d’onde plus courte fournissent des informations précises. De plus, Biomass cartographiera l’Antarctique pour la toute première fois avec un radar en bande P.
Le signal en bande P peut également pénétrer jusqu’à 5 mètres à travers le sable sec. Les données de Biomass seront donc utilisées pour cartographier et étudier les caractéristiques géologiques souterraines des déserts, telles que les restes d’anciens lits de rivières et de lacs. Cela aidera à comprendre le climat passé et aidera également à prospecter les ressources en eau fossiles dans les régions désertiques.
Grâce à sa capacité à pénétrer à travers la canopée forestière, les données de Biomass sont bien adaptées à l’étude de la hauteur du terrain, normalement caché à la vue par la canopée forestière. Au cours de sa vie en orbite, Biomass produira une topographie de terrain sous une végétation dense, supprimant ainsi les biais des modèles numériques d’élévation créés à partir d’observations radar utilisant des longueurs d’onde plus courtes.
Biomass, un satellite européen
La maîtrise d’œuvre du satellite Biomass a été confiée par l’ESA à Airbus Space UK en 2016. Le développement, l’intégration et les tests ont donc duré 9 ans.


L’antenne radar à ouverture synthétique a été fournie par l’américain L3Harris, leader mondial dans le secteur des antennes déployables de grand diamètre. Cette large antenne n’a pas été développée spécifiquement pour les besoins du projet Biomass.

Le satellite pèse 1 250 kg au décollage dont 132 kg de carburant. Il mesure 5,8 m x 2 m x 2 m en configuration de lancement, antenne repliée.

Une impulsion radar complexe de 100 W, longue de 30 microsecondes, sera envoyée 3 000 fois par seconde. Les algorithmes de traitement des scientifiques permettront de convertir les « images » radar obtenues en « tonnes de bois » par hectare. Il faudra tenir compte tout de même de la topologie, du type de forêt, de la pluie, de l’ionosphère…
Après réception du signal par le réflecteur, l’écho radar est reçu instantanément pour les deux polarisations et passé à travers les étages d’amplification à faible bruit, permettant aux signaux reçus d’être détectés, numérisés et stockés à bord du satellite (crédit ESA/ATG medialab).
Biomass est opéré depuis le centre de contrôle de l’ESA, l’ESOC, à Darmstadt en Allemagne. Le traitement des données est effectué depuis l’ESRIN à Frascati en Italie.
Résumé des objectifs principaux de la mission Biomass :
- Réduire les incertitudes sur les flux de carbone liés aux changements d’usage des terres : Les émissions dues à la déforestation et à la dégradation des forêts représentent 10 à 20 % du carbone atmosphérique, mais cette part est très incertaine. Biomass permettra, grâce à des mesures précises de la biomasse perdue lors des perturbations (déforestation, dégradation), de réduire fortement cette incertitude, améliorant ainsi le bilan global du carbone.
- Les estimations actuelles des émissions de carbone liées à l’usage des terres reposent sur des évaluations de stocks de biomasse souvent biaisées et extrapolées à partir de données locales limitées. Les données de Biomass offriront des estimations spatialisées et précises, essentielles pour le suivi et la mise en œuvre d’accords comme le traité des Nations Unis REDD+ (Reducing Emissions from Deforestation and Forest Degradation in Developing Countries).
- Biomass fournira des cartes de référence des stocks de carbone, permettant d’analyser les perturbations passées, la dégradation en cours et la régénération des forêts. Ces informations sont cruciales pour étudier les effets du changement climatique, des perturbations et de l’exploitation accrue des ressources forestières.
- Les modèles climatiques couplés Terre-climat dépendent fortement de la représentation des échanges de carbone avec la végétation. Les mesures de Biomass permettront d’évaluer et d’améliorer la fiabilité de ces modèles, essentiels pour les prévisions climatiques et la prise de décision politique.
- Les données sur la dynamique des forêts aideront à quantifier les pressions humaines et à mieux gérer les ressources, notamment dans les pays tropicaux où les enjeux sont majeurs pour l’environnement, l’eau, le climat et le développement.
- La dégradation de la biodiversité est fortement liée aux changements de structure des forêts, mieux révélés par la biomasse que par la simple couverture forestière. Biomass contribuera ainsi à la mise en œuvre de politiques de conservation et à l’évaluation de l’impact des changements climatiques sur la biodiversité
Sources ESA + évènement presse du 11/02/2025 chez Airbus Space à Toulouse
Pour compléter : Fact sheet de Biomass – Biomass Mission Kit
