Rêves d'Espace

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Observation de la Terre

Biomass : un radar spatial inédit pour mesurer la biomasse et l’évolution des forêts à l’échelle globale

Le satellite Biomass de l’ESA a décollé ce 29 avril à bord de Vega C pour fournir des données sur l’état des forêts du monde et sur leur évolution au fil du temps. C’est la première mission au monde à observer à travers la canopée forestière et toute la couche forestière pour mesurer la biomasse, c’est-à-dire les troncs ligneux, les branches et les tiges, où les arbres stockent la majeure partie de leur carbone. Cette mission européenne permettra de faire progresser les connaissances sur le cycle du carbone.

Biomass lors de la mise sous coiffe Vega C (crédit ESA-CNES-ARIANESPACE/Optique vidéo du CSG – S. Martin).

La mission Biomass va fournir, pour la première fois, des cartes mondiales précises et régulières de la biomasse et de la hauteur des forêts, permettant de mieux comprendre les cycles du carbone, de soutenir la gestion durable des forêts, d’affiner les modèles climatiques et de renforcer les politiques de conservation et de lutte contre le changement climatique.

Le satellite Biomass fait partie des Earth Explorer [explorateur de la Terre] de l’Agence Spatiale Européenne.

 » Les missions de recherche Earth Explorer sont essentielles programme Future Earth Observation, ou FutureEO de l’ESA. Depuis le lancement réussi du premier Earth Explorer en 2009, ces missions, sans exception, continuent de dépasser les attentes. Ces missions, proposées par la communauté scientifique, continuent de démontrer comment une technologie révolutionnaire peut fournir une gamme étonnante de découvertes scientifiques sur notre planète. Ils conduisent à l’excellence scientifique essentielle pour relever les défis auxquels la société est confrontée aujourd’hui et qui devrait être confrontée dans les décennies à venir, depuis la compréhension de différents aspects du système climatique tels que la dynamique atmosphérique et la fonte des glaces, jusqu’aux problèmes sociétaux tels que la sécurité alimentaire et les ressources en eau douce. Il existe actuellement 10 missions Earth Explorer  » selon l’ESA.

Mieux comprendre le cycle du carbone

Les émissions de dioxyde de carbone sont en partie responsable du changement climatique. Heureusement les forêts absorbent et emprisonnent une part considérable du dioxyde de carbone que contient l’atmosphère, ce qui contribue à la régulation du climat sur Terre. Cependant, la déforestation à grande échelle entraîne la libération de ce dioxyde de carbone dans l’atmosphère (environ 10 % des émissions totales), ce qui aggrave le phénomène de dérèglement climatique.

Comprendre le cycle mondial du carbone nécessite des estimations précises des stocks de carbone dans l’atmosphère, les océans et les terres, ainsi que du taux de flux, ou flux, entre eux. Cependant, des incertitudes importantes (indiquées par les symboles +/- sur la figure ci-dessous) subsistent, en particulier dans les composantes terrestres telles que les émissions liées au changement d’affectation des terres et l’absorption des puits de carbone terrestre. Les données de Biomass permettront de mieux estimer sur les flux de CO2 au niveau des forêts sur le globe.

Illustration de la manière dont les activités humaines ont perturbé le cycle mondial du carbone, en moyenne sur 2014 – 2023 (crédit ESA / source des données : Global Carbon Project)

Des cartes explicites de la biomasse existent dans certaines parties du monde, mais celles-ci ne couvrent que de petites zones ou sont à une résolution grossière et contiennent des biais inconnus variant dans l’espace. Dans les régions les plus critiques (les tropiques), le bilan carbone est trop incertain pour permettre des calculs précis de flux de carbone.

En règle générale, 50 % du poids d’un arbre est constitué de carbone, stocké avec sa biomasse ligneuse. 70 % de la biomasse terrestre est détenue dans la forêt tropicale et c’est là que se produisent la plupart des changements. L’évaluation du stockage et du changement du carbone forestier est essentielle pour comprendre le cycle du carbone sur Terre, qui joue un rôle majeur dans notre climat. La mission Biomass de l’ESA utilise une nouvelle technologie spatiale pour fournir de nouvelles informations sur l’état de nos forêts et leur évolution, et pour approfondir nos connaissances sur le rôle que jouent les forêts dans le cycle du carbone (crédit ESA).

La biomasse forestière représentant un indicateur du carbone stocké, la mission Biomass de l’ESA a été conçue pour mesurer la biomasse forestière, la hauteur et les perturbations temporelles, notamment au niveau des régions tropicales où sont situées la majorité des forêts.

Avec une durée de vie du satellite d’au moins 5 ans, les données seront recueillies sur au moins 8 cycles de croissances des forêts.

Voir à travers les forêts en 3D avec une antenne radar inédite

Biomass est le premier satellite civil à transporter un radar à synthèse d’ouverture entièrement polarimétrique en bande P pour l’imagerie interférométrique.

Grâce à la longue longueur d’onde de la bande P (environ 70 cm), le signal radar peut traverser la canopée forestière, quel que soit le type de forêt (tropicales, tempérées et boréales), quelles que soient les conditions météorologiques, et de jour comme de nuit.

Le radar est entièrement polarimétrique, ce qui signifie qu’il est capable d’émettre et de recevoir selon deux polarisations linéaires orthogonales, horizontale et verticale. Les différents signaux dans chaque canal de polarisation sont nécessaires pour produire différentes informations sur la forêt. Plusieurs passages du satellite sur exactement la même zone sont nécessaires pour obtenir des informations sur la hauteur de la forêt et la structure de la forêt sous la canopée, une technique appelée interférométrie radar à synthèse d’ouverture.

Cette animation montre la technique de mesure du satellite Biomass à partir d’un seul passage pour récupérer la signature radar polarimétrique de la forêt, qui fournit une première vue de la canopée forestière et de la densité forestière. La phase interférométrique de la mission comprend un deuxième et un troisième passage sur la même zone, ce qui est crucial pour mesurer la hauteur de la forêt et obtenir des mesures plus précises de la biomasse aérienne. Durant la phase tomographique de la mission, la zone est revisitée jusqu’à 7 fois pour révéler la structure intérieure de la forêt (crédit ESA/ATG Medialab).

Depuis son orbite polaire héliosynchrone à 666 km d’altitude et d’inclinaison 98°, la mission Biomass débutera par une seule phase de couverture globale tomographique, qui dure environ 18 mois, suivie de plusieurs couvertures globales interférométriques de 9 mois pour le reste de la vie de la mission. Cela sera utilisé pour comprendre comment les forêts évoluent au fil du temps.

La phase tomographique consiste, comme un scanner, à combiner plusieurs images pour révéler des informations sur la structure interne d’une forêt. Cela devrait donner une grande carte globale avec des informations 3D à une résolution verticale de 15–20 m et une résolution spatiale de 200 m. Le faisceau au sol de l’antenne est de 60 km.

Pendant 4 ans, le satellite survolera la planète pour la phase d’interférométrie, donnant lieu à environ 5 cartes mondiales, et de voir l’évolution de la biomasse dans le temps.

Les données sur la dynamique des forêts aideront à quantifier les pressions humaines et à mieux gérer les ressources, notamment dans les pays tropicaux où les enjeux sont majeurs pour l’environnement, l’eau, le climat et le développement.

Les calottes glaciaires et les déserts en objectifs secondaires

En objectifs secondaires, la mission Biomass permettra de cartographier les couches géologiques du sous-sol des déserts, la structure glacée des calottes glaciaires et la topographie des sols forestiers.

Les objectifs secondaires de Biomass (crédit ESA/ATG medialab).

La longue longueur d’onde de la bande P signifie qu’elle peut pénétrer profondément dans la glace et est donc moins affectée par la fonte et les chutes de neige à la surface de la glace, ce qui peut fausser les mesures depuis l’espace. Biomass devrait mesurer les vitesses des glaciers et des calottes glaciaires dans les régions où les conditions de glace de surface sont trop variables pour que les radars à ouverture synthétique de longueur d’onde plus courte fournissent des informations précises. De plus, Biomass cartographiera l’Antarctique pour la toute première fois avec un radar en bande P.

Le signal en bande P peut également pénétrer jusqu’à 5 mètres à travers le sable sec. Les données de Biomass seront donc utilisées pour cartographier et étudier les caractéristiques géologiques souterraines des déserts, telles que les restes d’anciens lits de rivières et de lacs. Cela aidera à comprendre le climat passé et aidera également à prospecter les ressources en eau fossiles dans les régions désertiques. 

Grâce à sa capacité à pénétrer à travers la canopée forestière, les données de Biomass sont bien adaptées à l’étude de la hauteur du terrain, normalement caché à la vue par la canopée forestière. Au cours de sa vie en orbite, Biomass produira une topographie de terrain sous une végétation dense, supprimant ainsi les biais des modèles numériques d’élévation créés à partir d’observations radar utilisant des longueurs d’onde plus courtes.

Biomass, un satellite européen

La maîtrise d’œuvre du satellite Biomass a été confiée par l’ESA à Airbus Space UK en 2016. Le développement, l’intégration et les tests ont donc duré 9 ans.

Biomass en salle blanche d’Airbus Space Toulouse (crédit Rêves d’espace).
Déploiement du panneau solaire de Biomass en salle blanche d’Airbus Space Toulouse (crédit Rêves d’espace).

L’antenne radar à ouverture synthétique a été fournie par l’américain L3Harris, leader mondial dans le secteur des antennes déployables de grand diamètre. Cette large antenne n’a pas été développée spécifiquement pour les besoins du projet Biomass.

Photo montrant le réflecteur de 12 mètres du satellite dans la salle blanche de L3Harris Technologies en Floride, aux États-Unis, où les ingénieurs ont testé sa procédure de déploiement. Une fois en orbite autour de la Terre en toute sécurité, une flèche en trois parties déploie le faisceau de réflecteurs rangés en position. Lorsque les charnières de la flèche se verrouillent dans leurs positions finales, le faisceau de réflecteurs est libéré puis ouvert pour fournir un réflecteur en treillis métallique à ouverture de 12 mètres très précis et stable. Ce réflecteur recevra des données en bande P réfléchies par les forêts du monde (crédit L3Harris Technologies).

Le satellite pèse 1 250 kg au décollage dont 132 kg de carburant. Il mesure 5,8 m x 2 m x 2 m en configuration de lancement, antenne repliée.

L’antenne radar est montée sur le côté de la plate-forme satellite et pliée pour le lancement afin de pouvoir être logé dans la coiffe de la fusée. Cette configuration a abouti à la forme unique de la plate-forme satellite. Une fois le satellite injecté en orbite, une flèche en trois parties déploie le faisceau de réflecteurs arrimé en position. Lorsque les charnières de la flèche se verrouillent dans leurs positions finales, le faisceau de réflecteurs est libéré et ouvert pour fournir un réflecteur en treillis métallique à ouverture de 12 m très précis et stable (crédit ESA/ATG medialab)

Une impulsion radar complexe de 100 W, longue de 30 microsecondes, sera envoyée 3 000 fois par seconde. Les algorithmes de traitement des scientifiques permettront de convertir les « images » radar obtenues en « tonnes de bois » par hectare. Il faudra tenir compte tout de même de la topologie, du type de forêt, de la pluie, de l’ionosphère…

Le réseau d’alimentation, qui transmet et reçoit les impulsions radar, est monté à l’extérieur du satellite. Il se compose de quatre patchs disposés en deux paires, appelés doublets. L’unité de commande numérique sert de cœur à l’instrument, supervisant le contrôle et l’étalonnage interne. Pour transmettre des signaux radar à la Terre, le réseau d’étalonnage et de distribution dirige les signaux de l’unité de commande numérique vers le sous-système amplificateur de puissance, qui amplifie le signal à une puissance de crête de +49,5 dBm. Le sous-système amplificateur de puissance comprend deux ensembles identiques, un pour la polarisation verticale et un pour la polarisation horizontale. Pour recevoir les échos radar de la Terre, l’amplificateur de réception amplifie le signal entrant et le transmet au réseau d’étalonnage et de distribution pour chaque polarisation. L’instrument dispose de deux unités d’amplification de réception, une pour la polarisation verticale et une pour la polarisation horizontale. L’animation illustre comment les impulsions de transmission générées par l’unité de commande numérique sont acheminées vers le sous-système amplificateur de puissance pour l’amplification du signal. Les impulsions sont ensuite transmises à la Terre par le réseau d’alimentation et le grand réflecteur déployable. Comme il s’agit d’un système entièrement polarimétrique, la transmission d’impulsions alterne continuellement entre polarisation horizontale et verticale. 
Après réception du signal par le réflecteur, l’écho radar est reçu instantanément pour les deux polarisations et passé à travers les étages d’amplification à faible bruit, permettant aux signaux reçus d’être détectés, numérisés et stockés à bord du satellite (crédit ESA/ATG medialab).

Biomass est opéré depuis le centre de contrôle de l’ESA, l’ESOC, à Darmstadt en Allemagne. Le traitement des données est effectué depuis l’ESRIN à Frascati en Italie.

Résumé des objectifs principaux de la mission Biomass :

  • Réduire les incertitudes sur les flux de carbone liés aux changements d’usage des terres : Les émissions dues à la déforestation et à la dégradation des forêts représentent 10 à 20 % du carbone atmosphérique, mais cette part est très incertaine. Biomass permettra, grâce à des mesures précises de la biomasse perdue lors des perturbations (déforestation, dégradation), de réduire fortement cette incertitude, améliorant ainsi le bilan global du carbone.
  • Les estimations actuelles des émissions de carbone liées à l’usage des terres reposent sur des évaluations de stocks de biomasse souvent biaisées et extrapolées à partir de données locales limitées. Les données de Biomass offriront des estimations spatialisées et précises, essentielles pour le suivi et la mise en œuvre d’accords comme le traité des Nations Unis REDD+ (Reducing Emissions from Deforestation and Forest Degradation in Developing Countries).
  • Biomass fournira des cartes de référence des stocks de carbone, permettant d’analyser les perturbations passées, la dégradation en cours et la régénération des forêts. Ces informations sont cruciales pour étudier les effets du changement climatique, des perturbations et de l’exploitation accrue des ressources forestières.
  • Les modèles climatiques couplés Terre-climat dépendent fortement de la représentation des échanges de carbone avec la végétation. Les mesures de Biomass permettront d’évaluer et d’améliorer la fiabilité de ces modèles, essentiels pour les prévisions climatiques et la prise de décision politique.
  • Les données sur la dynamique des forêts aideront à quantifier les pressions humaines et à mieux gérer les ressources, notamment dans les pays tropicaux où les enjeux sont majeurs pour l’environnement, l’eau, le climat et le développement.
  • La dégradation de la biodiversité est fortement liée aux changements de structure des forêts, mieux révélés par la biomasse que par la simple couverture forestière. Biomass contribuera ainsi à la mise en œuvre de politiques de conservation et à l’évaluation de l’impact des changements climatiques sur la biodiversité

Sources ESA + évènement presse du 11/02/2025 chez Airbus Space à Toulouse

Pour compléter : Fact sheet de BiomassBiomass Mission Kit

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