Rêves d'Espace

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Vols habités : quels sont les risques acceptables ?

Voici un article proposé par Alice, vulgarisatrice sur la chaîne YouTube « Alice au pays des étoiles »

« Avant, je voulais être chercheuse d’étoiles. Finalement, je les partage au public en vidéo, en dessins ou encore dans la vraie vie !
Pour beaucoup, le spatial fait peur. Vivre dans une boite de conserve en orbite autour de la Terre, c’est assez peu engageant ! Alors, pourquoi chercher à envoyer des êtres humains dans l’espace, si c’est si dangereux ? Et d’ailleurs, de quels dangers parle-t-on ? » 

Une chance sur cent

Une chance sur cent d’y passer : c’est le risque encouru par les astronautes qui décollent aujourd’hui vers la Station Spatiale Internationale. A quels dangers sont-ils exposés, et quelle éthique pour les encadrer ?

28 janvier 1986, Cap Canaveral. La navette spatiale Challenger s’apprête à décoller, avec à son bord cinq hommes et deux femmes. Soudain, 73 secondes après le décollage, c’est le drame : la navette explose, et se désintègre en plein vol. Aucun des sept membres de l’équipage ne survivra.

Explosion de la navette spatiale Challenger 28/01/1986 (credit NASA)

Claudie Haigneré et Jean-François Clervoy ont été sélectionnés comme candidats astronautes quatre mois plus tôt. L’événement les choque, mais ne remet pas en cause leur volonté de voler un jour.

« On a du mal à le croire, raconte aujourd’hui Jean-François Clervoy. On sait qu’il y a tellement de personnes qui mettent de l’énergie, de l’attention, qui font des essais, des vérifications… On sait en plus qu’il y a des humains dedans, c’est un choc à la fois intellectuel et émotionnel, mais qui ne nous fait pas douter de ce que l’on veut faire. Jamais je ne me suis dit : “je vais y réfléchir à deux fois si je veux vraiment faire ça. Jamais. »

Claudie Haigneré ajoute : « On était tous atterrés par ce qui s’était passé, mais plutôt en se disant qu’il fallait comprendre pourquoi, et essayer de trouver la solution pour que ça ne bloque pas tout le système. » Elle continue : « Je pense qu’on ne peut jamais maîtriser tous les risques, aussi bien sur la vie sur Terre que sur la vie en orbite. Pour preuve, on laisse tous un petit message à ceux qui nous sont chers et qu’on laisse au sol. J’avais écrit un petit mot à ma fille au cours de mon deuxième vol, elle avait trois ans et demi. On a intégré le fait qu’il y a une part de risque ».

L’équipage du Soyouz TM-24, dont faisait partie Claudie Haigneré (à droite), lors d’un entraînement (credit GCTC)

Le risque ne leur fait donc pas peur : qu’ils soient russes, américains ou encore européens, tous les astronautes subissent de longs mois d’entraînement pour les préparer à toute situation qui pourrait mal tourner.

Jean-François Clervoy se souvient : « Au début de l’entraînement, il peut nous arriver de mourir une ou deux fois dans la simulation, et on n’est pas fiers. Mais quand on s’approche de la mission, on se sent tellement superman en tant qu’équipage formant un tout que les instructeurs peuvent inventer ce qu’ils veulent, on sait qu’on s’en sortira. »

Jean-François Clervoy à l’entrainement en 1994 quelques mois avant son premier vol à bord de la Navette Spatiale Atlantis (Crédits NASA)

Avant le vol, les instructeurs doivent signer un papier dans lequel ils déclarent l’équipage apte à la mission.  « Au moment où on s’habille, avant d’aller vers le pas de tir, à la limite on le ressent comme étant normal dans notre vie. La peur, c’est la peur de l’inconnu. » Claudie Haigneré se remémore son premier décollage : « Au mois d’août 1996, quand je suis partie, j’attendais avec impatience. En fait, ce que redoute toujours un astronaute, c’est qu’il y ait une annulation ou un report du vol… »

Pourtant, le risque accepté aujourd’hui est de l’ordre de 1%, ce qui veut dire que les astronautes ont une chance sur cent d’y laisser leur peau. Pendant la course à la lune entre l’Union soviétique et les États-Unis, les ingénieurs estimaient que Buzz Aldrin et Neil Armstrong avaient une chance sur deux de revenir sains et saufs sur Terre !

D’un point de vue éthique, peut-on accepter de faire courir un risque aussi important à des êtres humains, même volontaires ?

Pour Jacques Arnould, expert éthique au Centre national des études spatiales, « l’éthique n’est pas un exercice de jugement, et encore moins d’interdiction voire de condamnation. L’éthique est d’abord une posture d’interrogation. Ici, nous sommes dans une maison d’ingénieurs. Il s’agit d’associer à l’action une réflexion, aussi modeste soit-elle. » Concernant les vols spatiaux habités, il ajoute que l’arrière-fond culturel est important à prendre en compte : « Pour l’Occident, pendant très longtemps, le ciel a été interdit aux humains, car c’était le domaine des dieux et de la perfection. Ce n’est qu’au 17e siècle que l’autorisation a été donnée par les sciences. Il y a une espèce de lien, presque historique, entre l’exploration spatiale et le vol habité : explorer, c’est poser un pied, poser une main, sur une planète ou un continent. » L’exploration spatiale ne serait donc que la suite logique de l’exploration des continents terrestres. « Une part importante de l’exigence éthique, complète Jacques Arnould, c’est qu’il y a une mission. On sait pourquoi on y va, pour quoi faire, pour quels types de résultats… Si ce n’est pas clair, il ne faut pas y aller ! »

Des risques multiples

Les accidents ne sont pas les seuls risques encourus par les astronautes : une fois en orbite, ils semblent flotter à l’intérieur de leur vaisseau. C’est ce qu’on appelle la micropesanteur. Cet état particulier a de nombreux effets sur la santé : perte de masse musculaire, fragilisation de l’ossature… Les séjours de longue durée à bord de la Station Spatiale Internationale (ISS), en orbite autour de la Terre à 400 kilomètres d’altitude, se multiplient pour mieux comprendre ces effets, en vue d’un potentiel voyage vers Mars. Mais avant de se rendre vers la planète rouge, il faudra répondre à plusieurs questions, notamment sur les plans physiologique et psychologique. En effet, pour se rendre sur Mars, il faudra quitter le champ magnétique terrestre. Les astronautes seront alors soumis aux rayons cosmiques, qui peuvent notamment augmenter le risque de cancer.

« A l’heure actuelle, explique Jean-François Clervoy, on autorise pour les astronautes une exposition telle que le risque de développer un cancer dans les 20 ans est augmenté de 3% par rapport aux règles admises dans le droit du travail standard. Je soupçonne que les sélections des premiers équipages vers Mars introduiront des critères génétiques, parce qu’on sait que l’on n’est pas tous égaux devant les radiations ou l’ostéoporose. »

Concernant les risques psychologiques, un voyage vers Mars est une épreuve importante en termes d’isolation : en s’éloignant de la Terre, les communications en temps réel avec notre planète sont impossibles. Entre le moment où le message est envoyé du vaisseau et le moment où il est reçu sur Terre, il peut y avoir jusqu’à une vingtaine de minutes. Soit quarante minutes d’attente entre la question et la réception de la réponse du centre de contrôle !

C’est pour mieux comprendre les effets psychologiques de cette isolation que l’expérience Mars 500 a été lancée en 2010. Il s’agit d’une simulation d’un voyage aller-retour vers Mars, en confinement.

Les modules d’isolement de MARS 500 près de Moscou et l’équipage, Romain Charles, en bas à gauche (credit ESA)

Romain Charles a participé à l’expérience en tant qu’ingénieur de bord de la mission. Il raconte : « C’était une mission assez longue, il s’est passé beaucoup de choses pendant cette année et demie. Il y a eu des hauts et des bas, mais dans l’ensemble ça s’est bien passé : le plus grand succès de Mars 500, c’est que nous étions six lorsque nous sommes rentrés, et nous étions toujours six à la sortie, et toujours à travailler efficacement ensemble ! Il y a eu des tensions, principalement liées à des différences culturelles, mais elles n’ont jamais dégénéré en conflit. C’était plus lié aux personnalités qu’aux événements. Souvent, les tensions sont générées par des petites gênes du quotidien qui n’ont en soit pas d’importance. C’est juste l’accumulation, encore et encore, des mêmes choses, qui finit par faire exploser si on ne désamorce pas ça avant ».

Une différence importante entre Mars 500 et un vrai voyage vers Mars est la possibilité de tout annuler en cas de gros pépin. Jamais, dans l’histoire de l’humanité, des humains n’ont eu un scénario de retour d’urgence vers la Terre. Depuis l’orbite basse, où se trouve l’ISS, il faut quelques heures pour rejoindre la Terre ; depuis la Lune, deux ou trois jours. Depuis Mars, c’est impossible.

Claudie Haigneré reste convaincue que l’être humain ira au-delà de l’orbite basse : la Lune d’abord, puis Mars. « Essayons de penser cette humanité qui est en expansion, qui n’est plus seulement exploratrice. C’est un peu ça mon utopie aujourd’hui : se dire qu’il faudrait essayer de faire quelque chose qui soit dans l’intérêt général, qui respecte le bien commun de notre humanité et son envie de dépasser les frontières…Ce qui veut dire que probablement, il va falloir sur le plan juridique qu’on reconsidère un peu les traités qui régulent ça. Pour moi, cette réflexion éthique sur ce que notre humanité va faire dans l’avenir est quelque chose que l’on doit prendre en compte dès maintenant. La jeune génération a déjà cette conscience planétaire, on le voit bien parce qu’ils sont dans la rue en ce moment pour le changement climatique. Cette conscience planétaire doit s’étendre au-delà de notre planète Terre, qui est notre berceau et qu’on va quitter ! »

Lever de Terre depuis l’orbite de la Lune par Apollo 8 (source NASA)

Note : les propos des personnes de l’article sont tous issus d’interviews réalisées par Alice.

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Une réflexion sur “Vols habités : quels sont les risques acceptables ?

  • Michel Clarisse

    NB : à l’époque, elle s’appelait encore Claudie André-Deshays (née Claudie André).

    NB : de gauche à droite : Aleksandr Yu. Kaleri, Valeri G. Korzun et Claudie André-Deshays.

    Les modules d’isolement de MARS 500 près de Moscou et l’équipage, Romain Charles, en bas à gauche (credit ESA)

    NB : de gauche à droite et de haut en bas : Sukhrob R. Kamolov, Diego Urbina, Aleksandr E. Smoleyevskiy, Romain Charles, Aleksey S. Sityov (« commander ») et Wang Yue (Wang étant son nom et Yue son prénom).

    Cette mission martienne simulée a duré du 3 juin 2010 au 4 novembre 2011.

    NB : « La Terre est le berceau de l’humanité mais on ne passe pas sa vie entière dans un berceau. »
    (Konstantin E. Tsiolkovsky, 17.09.1857 – 19.09.1935, dans une lettre écrite en 1911)

    Dans la langue de Pouchkine (et de Poutine) : « Planeta est’ kolybel’ razuma, no nel’zya vechno zhit’ v kolybeli. »

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