Rêves d'Espace

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Actualités spatiales

Impact de la guerre en Ukraine sur le secteur spatial

Article initialement publié le 27/02 – mis à jour le 28/02

On m’a posé la question : quel est l’impact de la guerre en Ukraine déclenchée ce 24 février 2022 sur la Station Spatiale Internationale ou bien les lancements ?

Je vais tenter d’y répondre avec déjà quelques annonces et aussi des hypothèses mais loin de moi de savoir exactement tous les impacts potentiels et surtout de prévoir l’avenir. Donc merci d’avance de votre bienveillance sur ce qui va suivre, valable au moment où je l’écris.

Pour commencer, plusieurs choses peuvent se passer par exemple : limitation des exportations des pays de l’Union Européenne et des Etats-Unis ou bien en retour, la Russie qui répond aux sanctions de ces pays en suspendant des activités.

Suspension des lancements Soyouz en Guyane

La première annonce du directeur de l’agence spatiale russe concerne les lanceurs Soyouz en Guyane. Ce 25 février, il a annoncé sur Twitter que les personnes travaillant au Centre Spatial Guyanais allaient rentrer en Russie.

Traduction (Google) “En réponse aux sanctions de l’UE contre nos entreprises, Roscosmos suspend la coopération avec les partenaires européens dans l’organisation des lancements spatiaux depuis le cosmodrome de Kourou et retire son personnel technique, y compris l’équipage de lancement consolidé, de la Guyane Française.”

Pour chaque lancement de Soyouz ST, environ une centaine de Russes travaillent sur la base de lancement de Sinnamarry afin d’effectuer l’assemblage du lanceur et les opérations de chronologie finale, du décollage au largage des charges utiles sur orbite.

Cette annonce arrive alors qu’une campagne de lancement est en cours côté lanceur au moins pour un décollage initialement prévu pour le 6 avril avec à son bord 2 satellites de navigation Galileo pour l’Union Européenne (les 2 satellites ne sont pas encore arrivés en Guyane sauf erreur).

Le commissaire européen aux affaires spatiales, Thierry Breton, a réagi à cette annonce le 26 février dans une déclaration officielle : “Nous prendrons toutes les décisions pertinentes en réponse à cette décision en temps voulu et continuerons résolument à développer la deuxième génération de ces deux infrastructures* spatiales souveraines de l’UE“. *[NDLR : Galileo et Copernicus]

A ce jour, plusieurs autres missions sont programmées pour l’ESA ou la France sur Soyouz ST.

C’est le cas du satellite militaire français CSO-3 dont le décollage était prévu jusqu’à présent au second semestre. A mon avis, il est difficilement envisageable de lancer ce type de satellite depuis un autre territoire que la Guyane Française (mais ce n’est que mon avis). Avec le retard du vol inaugural d’Ariane 6, ce lancement risque de prendre du retard également.

Le satellite d’observation de l’atmosphère terrestre EarthCARE, mission développée en coopération par l’ESA et l’agence spatiale japonaise, la JAXA, dont le lancement était prévu vers l’été 2022, pourra sans doute passer sur un autre lanceur si disponible et s’il est qualifié en termes de vibrations sur ce nouveau lanceur, ou bien son lancement connaîtra du retard.

Le satellite scientifique Euclid de l’ESA était prévu de décoller sur Soyouz ST en 2023. A voir également s’il passe sur un autre lanceur en fonction de l’évolution de la situation.

Avec les ennuis sur le satellite Sentinel-1B actuellement sur orbite mais dont l’ESA ne semble pas avoir repris le contrôle suffisant pour ses observations, le directeur de l’agence européenne avait annoncé il y a quelques semaines vouloir si possible planifier rapidement le lancement de Sentinel 1C. Certains avaient pensé à Soyouz ST. Désormais il faudra peut-être trouver un autre lanceur.

Pour le lanceur Vega dont l’étage supérieur AVUM utilise les moteurs ukrainiens RD-843, le constructeur Avio a publié un communiqué le 25 février annonçant qu’ “il n’y a actuellement aucun problème de continuité des opérations de Vega“.

Suspension des activités sur Venera D

Roscosmos a relayé ce 26 février une déclaration de son directeur sur l’arrêt de la participation des Etats-unis à la mission vers Venus Venera-D.

“Dans le contexte de l’introduction de nouvelles sanctions et du maintien des sanctions précédemment imposées, je considère que la participation continue des États-Unis au projet russe de développement et de création de la sonde interplanétaire #VeneraD est inappropriée”, a déclaré Dmitri Rogozine, responsable de Roscosmos.

Cette mission, comprenant un orbiteur et un atterrisseur sur Vénus, qui doit décoller en 2029, devait embarquer des instruments scientifiques fournis par la NASA.

Bien que la NASA ait déclaré que la situation n’aurait pas d’impact sur la coopération sur les projets spatiaux civils, il semblerait que le directeur de Roscosmos ne l’entende pas de la même façon. A suivre…

Inquiétudes pour Exomars

La mission russo-européenne Exomars pourra-t-elle décoller comme prévu à l’automne 2022 ? Plusieurs incertitudes concernent à la fois la mission elle-même et son lancement.

Premièrement Exomars est composée d’un atterrisseur russe. Plusieurs laboratoires européens et russes sont fournisseurs d’instruments sur la mission. Les équipes russes et européennes travaillent en étroite collaboration actuellement sur l’intégration et les tests finaux de la mission chez Thales Alenia Space à Turin. Y aura-t-il également un départ des équipes russes d’Italie ?

Les industriels impliqués dans les missions Exomars 2016 TGO et Exomars 2022 (crédit ESA 2020)

En tout cas le directeur de l’ESA, Josef Aschbacher, espérait la continuation des activités au 25 février :

“Malgré le conflit actuel, la coopération spatiale civile reste un pont. L’ESA continue de travailler sur tous ses programmes, y compris sur l’ISs et la campagne de lancement d’ExoMars, afin d’honorer les engagements pris avec les États membres et les partenaires. Nous continuons de surveiller l’évolution de la situation.”

Le lanceur de la mission Exomars est Proton. Le décollage est prévu à partir du 20 septembre avec une fenêtre de lancement de 12 jours pour réussir un atterrissage sur Mars le 10 juin 2023. Il reste à attendre l’évolution de la situation pour savoir si le décollage sera maintenu.

Mise à jour 28/02

Dans un communiqué ce 28 février, l’ESA annonce notamment que :

Concernant la poursuite du programme ExoMars, les sanctions et le contexte plus large rendent un lancement en 2022 très improbable

Arrêt des opérations scientifiques de l’instrument e-Rosita sur Spektr-RG

Le directeur de Roscosmos, Dmitri Rogozine, a annoncé le 26 février sur les ondes de la chaîne YouTube “Soloviev Live ” que les partenaires allemands du télescope spatial Spektr-RG avaient informé Roscosmos qu’ils avaient reçu l’ordre d’éteindre l’un des instruments principaux eRosita.

Selon le site de Daniel Fischer, celui-ci confirme l’information : “nous avons reçu hier une directive du président de la société Max Planck que toutes les coopérations avec la Russie doivent être gelées pour le moment. Nous comprenons qu’un message similaire a été communiqué au sein d’autres instituts de recherche et des universités. En conséquence, lors du contact au sol cet après-midi, nous avons placé eROSITA en mode sans échec. Il est actuellement difficile de savoir quand un retour aux opérations normales sera possible“.

Logo de la mission de coopération Spektr-RG

L’indispensable coopération pour l’ISS

Le 25 février, l’ESA a rappelé dans un communiqué que “L’une des forces dont la coopération spatiale a fait preuve par le passé est la résilience des partenaires pour surmonter les crises géopolitiques et maintenir, comme c’est le cas à bord de la Station spatiale internationale, un lieu de recherche conjointe à des fins pacifiques au bénéfice de tous. 

La NASA a également publié un communiqué indiquant “La NASA continue de travailler avec tous nos partenaires internationaux, y compris Roscosmos, l’agence spatiale russe, pour la poursuite des opérations sûres de la Station Spatiale Internationale“.

Il y a actuellement dans l’ISS 7 astronautes : 2 Russes, 4 Américains et 1 Européen (Allemand).

L’Américain Mark Vande Hei est arrivé avec le cosmonaute Pyotr Duvrov avec le Soyouz MS-18 et devrait repartir de l’ISS le 30 mars en Soyouz MS-19 avec Anton Shkaplerov, l’actuel commandant de la Station. Pour l’anecdote, Anton Shkaplerov a passé ses 20 premières années dans l’Ukraine actuelle.

En tant qu’astronautes professionnels, je pense que l’ambiance dans l’ISS reste courtoise voire bonne, les astronautes restant concentrés sur leur mission : expériences scientifiques et maintenance de la Station.

Crew photo: Expedition 66 on Station
De gauche à droite, Pyotr Dubrov, Tom Marshburn, Anton Shkaplerov, Raja Chari, Mark Vande Hei, Kayla Barron et Matthias Maurer (crédit ESA/NASA)

Y-a-t-il un risque que le segment russe soit détaché du segment américain ?

L’ISS est constituée essentiellement de 2 parties : le segment américain et le segment russe.

Représentation de l’ISS en 2022 (crédit NASA)

A ce jour, les corrections d’orbite de l’ISS sont effectuées par l’allumage des moteurs d’un cargo Progress ou du module Zarya. Elles sont essentielles pour contrecarrer la gravité terrestre et le vent solaire qui “poussent” l’ISS vers le “bas” et donc maintenir une orbite stable à la Station. Elles permettent également les évitements des débris spatiaux.

Le cargo Cygnus NG-17 qui s’est amarré à l’ISS le 19 février pourrait avoir cette capacité (première fois que le segment US a cette capacité depuis la Navette Spatiale) mais elle n’a pas été testée à ce jour.

Le segment russe de l’ISS nécessite l’énergie produite par les panneaux solaires et les batteries du segment américain, malgré l’ajout en 2021 du module russe Nauka qui possède des panneaux solaires. Mais il me semble (à vérifier) qu’ils ne seraient pas suffisants pour alimenter la partie russe seule.

En résumé, le segment russe dépend de l’électricité du segment américain et la partie américaine dépend des systèmes de propulsion russe. 

De plus, afin de désassembler la partie russe de la partie américaine, il faudrait un certain nombre de sorties spatiales pour déconnecter le module Zarya de la partie américaine. Mais le module Zarya est en fait américain car payé par la NASA [voir cette vidéo]. Du coup, il faudrait désolidariser le segment russe après Zarya mais du coup isolant le module Rassvet.

Donc, de mon point de vue, et de celui de nombreux experts, un détachement de la partie russe de la partie américaine de l’ISS semble peu probable de façon non concertée entre les 5 agences parties prenantes de la Station : NASA, Roscosmos, JAXA, CSA et ESA.

Les prochains équipages impactés ?

Il a été annoncé en décembre 2021 par Roscosmos que des pourparlers étaient en cours pour que la cosmonaute Anna Kikina vole en 2022 sur Crew Dragon. En échange, c’est l’astronaute NASA Francisco Rubio qui volerait sur Soyouz MS-22.

Les sanctions des Etats-Unis envers la Russie pourraient remettre en cause ce type d’échanges.

Les lancements des cargos Cygnus et du vaisseau Starliner pourraient être impactés

Même si la NASA ne dépend plus des Soyouz pour envoyer ses astronautes dans l’espace depuis l’arrivée des Crew Dragon, d’autres activités reliées aux vols habités pourraient être impactées (ou pas).

Les cargos Cygnus sont lancés par des fusées Antares. Or ce lanceur possède des composants ukrainiens (le premier étage) et russes (les moteurs RD-181). Northrop Grumman a cependant annoncé en 2021 qu’ils avaient déjà les composants de 2 lanceurs Antares supplémentaires en stock.

Le vaisseau habitable Starliner de Boeing qui doit décoller en 2022 pour son second vol test OFT-2 est lancé à bord d’une Atlas V. Ce lanceur d’United Launch Alliance (ULA) possède des moteurs principaux RD-180 de fabrication russe. ULA a déclaré que l’invasion de l’Ukraine par la Russie n’aura aucun impact sur le programme de fusées Atlas V, qui a encore 25 missions à effectuer avant sa retraite. ULA a déclaré qu’elle disposait de tous les moteurs russes dont elle avait besoin avant de passer à sa fusée de remplacement, la Vulcan Centaur, avec des moteurs fabriqués aux États-Unis et produits par Blue Origin.

Les lancements OneWeb menacés ?

Actuellement une campagne de lancement est en préparation à Baïkonour pour le lancement de satellites de télécommunications en orbite basse de l’entreprise OneWeb sur Soyouz. Le décollage est prévu (à ce jour) pour le 4 mars. Je n’ai pas vu au moment de l’écriture de cet article aucune annonce si report de tir ou non.

“Bienvenue au cosmodrome de Baïkonour au Kazakhstan ! Les 36 satellites #OneWeb qui seront livrés lors de notre prochaine mission #Soyouz ont atterri ! Désigné vol #ST38, ce sera le deuxième lancement de l’année pour Arianespace et @OneWeb. Nous sommes fiers de soutenir l’objectif de notre client !”

OneWeb est une entreprise en partie financée par le gouvernement britannique. Les lancements des satellites de la constellation sont effectués par l’opérateur Arianespace en coopération avec l’entreprise russe Glavkosmos.

Les sanctions du gouvernement britannique à la Russie vont probablement impacter le lancement prévu en mars et éventuellement les prochains prévus depuis les cosmodromes de Baïkonour ou de Vostochny. A suivre…

Les transports de gros satellites potentiellement à risque

La plupart des gros satellites sont transportés en conteneur sur les bases de lancement à l’aide d’avions gros-porteurs comme les Antonov AN-124. Deux compagnies se disputent ces vols de fret : l’entreprise russe Volga-Dnepr Airlines et l’entreprise ukrainienne Antonov Airlines.

Un An-124 ukrainien utilisé pour l’acheminement de satellites d’Airbus Space à Kourou (crédit personnel)

En raison du conflit actuel, les constructeurs de satellites devront sans doute trouver d’autres solutions d’acheminement sur les sites de lancement : autres avions ? Par bateau ?


Ceci n’était qu’un aperçu des impacts de la situation géopolitique actuelle sur le monde du spatial car d’autres impacts à long terme pourraient avoir lieu comme pérénniser le rapprochement de la Russie avec la Chine pour les missions lunaires à venir, voire les vols habités. Cela poussera peut-être l’Union Européenne à davantage d’autonomie. A suivre…

Au-delà du spatial, d’autres impacts sont malheureusement à craindre suite à ces évènements de fin février, qu’ils soient humains ou économiques. Mais ce n’est pas le lieu ici d’en parler.

Portez-vous bien ! Isabelle

2 réflexions sur “Impact de la guerre en Ukraine sur le secteur spatial

  • Michel Clarisse

    NB : ce sont 87 Russes qui sont partis de l’aéroport de Cayenne-Félix-Eboué.

    NB : ce sont 8 vols conjoints américano-russes qui étaient prévus, me semble-t-il : 5 Américains devaient voler à bord de Soyouz MS (à commencer par Francisco Rubio et, à mon avis, Loral O’Hara) et 3 Russes à bord de Crew Dragon (à commencer par Anna Kikina). Tous ces vols sont bien évidemment remis en cause.

    NB : après tout, ce sera un mal pour un bien ! idem dans bien d’autres domaines…

    “La maîtrise de l’espace constitue la souveraineté des souverainetés.”
    (Emmanuel Macron)

    “Pour éviter la guerre, vous avez choisi le déshonneur. Vous aurez à la fois le déshonneur et la guerre !”
    (Winston Churchill)

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  • Michel Vrins

    L’impact de la guerre russe en Ukraine est bien davantage instrumentalisée dans le domaine spatial. Déjà l’arrêt du projet ExoMars, l’abandon des lancements Soyouz en Guyane … Mais les menaces du directeur propoutine et nationaliste Ruscosmos font froid dans le dos : la guerre est bien présente jusque et y compris l’ISS, avec des consignes de refus de collaboration entre scientifiques. L’espace est aussi un enjeu stratégique, de pouvoirs, de tyrannie. Les pressions légitimes pour l’arrêt de la guerre en Ukraine doivent mettre des oligarques hors d’état de nuire, y compris Ruscosmos si tel est bien la manipulation guerrière de son directeur. Il en va de notre avenir qui ne peut être dans les mains de dictateurs belliqueux, expensionistes. Se voiler la face, c’est se prendre les bombes, tôt ou tard. L’invasion guerrière en Ukraine ne l’a que trop démontré.

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