Rêves d'Espace

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Gaia

Fin de mission pour Gaia : un héritage hors norme

La mission GAIA de l’Agence Spatiale Européenne (ESA) vient de terminer sa mission scientifique le 15 janvier 2025.

Gaia a cumulé plus de trois mille milliards d’observations d’environ deux milliards d’étoiles et d’autres objets au cours de près de 10 ans d’opérations. Ce double télescope spatial laisse en héritage le plus grand catalogue d’étoiles de notre galaxie, la Voie Lactée.

Afin de balayer le ciel depuis son orbite au point de Lagrange L2 à environ 1,5 million de kilomètres de la Terre [illustration à 0:23 dans la vidéo ci-dessus], Gaia utilisait un gaz froid pour son système de micropropulsion. Le réservoir de ce carburant (55 kg au décollage) est désormais presque vide.

Gaia en chiffres, entre le 24 juillet 2014, date du début des opérations scientifiques, et le 15 janvier 2025 :

  • 3 000 milliards d’observations
  • 2 milliards étoiles et autres objets ont été observés
  • 938 millions de pixels de caméra à bord
  • 15 300 rotations du satellite sur lui-même
  • 3 827 jours en opérations scientifiques
  • 50 000 heures de station au sol utilisées
  • 500 téraoctets de volume de données publiées (5,5 ans d’observations) pour le catalogue DR4
  • 142 téraoctets de données liées (compressées)
  • 2,8 millions de commandes envoyées au satellite
  • 13 000 publications scientifiques référencées jusqu’à présent
  • 580 millions d’accès au catalogue Gaia jusqu’à présent

Gaia mesure les parallaxes (le mouvement apparent des étoiles dû au mouvement annuel de la Terre autour du Soleil et à la distance finie des étoiles) et les mouvements propres des étoiles. Grâce à son spectromètre RVS, Gaia permet d’obtenir la vitesse radiale (vers la Terre) des étoiles, et grâce à son photomètre, il permet de détecter la couleur des étoiles et donc leur température.

De nouvelles cartes de la Voie Lactée

Depuis l’emplacement du Système Solaire dans la Voie Lactée, nous ne pouvons pas prendre une photo de la Voie Lactée dans son ensemble. Gaia cartographie notre galaxie de l’intérieur, en rassemblant des informations étoile par étoile sur près de 2 milliards d’étoiles de notre Voie lactée, seulement environ 1% de notre galaxie, mais c’est la plus grande cartographie à ce jour.

Gaia ne prend pas de photos mais c’est le transit des photons des étoiles qui passent sur ses capteurs CCD qui sont enregistrées à bord et envoyées sur Terre. Grâce à cette multitude de données, les équipes scientifiques européennes ont créé des illustrations de notre galaxie.

Illustration frontale très contrastée de la Voie Lactée (crédits : ESA/Gaia/DPAC, Stefan Payne-Wardenaar – CC BY-SA 3.0 IGO)

Gaia montre que notre galaxie possède plus de deux bras spiraux et que ces bras sont moins proéminents qu’il n’était pensé jusqu’à présent.

Illustration frontale de la Voie Lactée annotée d’étiquettes pour les bras spiraux (crédits : ESA/Gaia/DPAC, Stefan Payne-Wardenaar – CC BY-SA 3.0 IGO)
Illustration de côté très contrastée de la Voie Lactée. En cliquant sur l’image, une version à plus haute résolution s’ouvre (crédits : ESA/Gaia/DPAC, Stefan Payne-Wardenaar – CC BY-SA 3.0 IGO)

Ces images ont été créées en janvier 2025 à partir des données collectées jusqu’en 2023 (Data Release 3). Une vue plus nette sera disponible après la publication des nouvelles données de Gaia : Gaia DR4 (basé sur 66 mois de données) mi-2026 et Gaia DR5 (basé sur toutes les données de mission) pas avant fin 2030.

Ces 2 prochaines publications des données de Gaia vont donner les catalogues complets des données astrométriques (positions), photométriques (température) et des vitesses radiales de plus de 2 milliards d’étoiles, une liste de candidats exoplanètes, de nouvelles données pour des objets en transits comme les astéroïdes.

Gaia a par exemple fourni les orbites très précises de plus de 150 000 astéroïdes, et dispose de mesures d’une telle qualité que l’on pourrait découvrir d’éventuelles lunes autour de centaines d’entre eux.

BH3, un trou noir super massif

Gaia a également découvert une nouvelle sorte de trou noir, dont Gaia BH3 est d’une masse de près de 33 fois celle du Soleil. C’est la première fois qu’un trou noir d’origine stellaire aussi massif est repéré au sein de la Voie Lactée. Jusqu’à présent, les trous noirs de ce type n’ont été observés que dans des galaxies très éloignées.

Représentation des 3 positions de BH1, BH2 et BH3 sur une projection de notre galaxie

Une équipe d’astronomes a étudié les orbites des étoiles suivies par Gaia et a remarqué que certaines d’entre elles « vacillaient » dans le ciel, comme si elles étaient influencées gravitationnellement par des objets massifs. Plusieurs télescopes terrestres ont recherché les objets, mais aucune lumière n’a pu être trouvée, ne laissant qu’une seule possibilité : les trous noirs.

L’astrométrie est la méthode qui détecte le mouvement d’une étoile en effectuant des mesures précises de sa position dans le ciel. Cette technique peut également être utilisée pour identifier les planètes autour d’une étoile en mesurant de minuscules changements dans la position de l’étoile lorsqu’elle oscille autour du centre de masse du système planétaire.
La mission Gaia de l’ESA génère un vaste ensemble de données à partir duquel des exoplanètes seront trouvées, soit par des changements observés dans la position d’une étoile sur le ciel en raison de planètes en orbite autour d’elle, soit par une baisse de sa luminosité lorsqu’une planète traverse sa face observable. Pour les trous noirs, c’est l’oscillation de l’étoile elle-même autour d’un objet plus massif qui est détectée par Gaia (crédit ESA).

Les trous noirs [Black Hole], Gaia BH1 et Gaia BH2, sont respectivement situés à seulement 1 560 années-lumière de la Terre en direction de la constellation d’Ophiuchus et à 3 800 années-lumière dans la constellation du Centaure. Gaia BH3 se trouve dans la constellation de l’Aquila, à une distance de 1926 années-lumière de la Terre. Ils sont qualifiés de « dormants » car ils ne génèrent aucune lumière.

La matière dans un trou noir est si dense que rien ne peut échapper à son immense attraction gravitationnelle, pas même la lumière. La grande majorité des trous noirs de masse stellaire que nous connaissons engloutissent la matière d’un compagnon stellaire voisin. Le matériau capturé tombe à grande vitesse sur l’objet effondré, devenant extrêmement chaud et libérant des rayons X. Ces systèmes appartiennent à une famille d’objets célestes nommés binaires à rayons X. Ce n’est pas le cas de GBH1, GBH2 et GBH3 car ils n’ont pas de compagnon suffisamment proche pour voler de la matière.

Dans cette animation de Gaia BH2, créée dans Gaia Sky, les orbites sont dimensionnées avec précision, mais le diamètre du trou noir n’est pas à l’échelle (crédit ESA/Gaia/DPAC)

“ Jusqu’à présent, des trous noirs aussi grands n’ont jamais été détectés dans des galaxies lointaines que par la collaboration LIGO–Virgo–KAGRA, grâce à des observations d’ondes gravitationnelles ” selon Pasquale Panuzzo du CNRS à l’Observatoire de Paris, auteur principal de cette découverte.

La masse moyenne des trous noirs connus d’origine stellaire dans notre galaxie est d’environ 10 fois la masse de notre Soleil. Jusqu’à présent, le record de poids était détenu par un trou noir dans une binaire à rayons X dans la constellation du Cygne (Cyg X-1), dont la masse est estimée à environ 20 fois celle du Soleil.

Illustration de l’orbite de l’étoile autour du trou noir BH3 (croix verte) (crédits ESA / Gaia / DPAC – CC BY-SA 3.0 IGO. Based on Gaia Collaboration, P. Panuzzo, et al. 2024)

La plus grande carte tridimensionnelle de quasars

L’objectif principal de Gaia était de cartographier les étoiles de notre propre galaxie. Mais la mission a pu repérer des objets en dehors de la Voie lactée, tels que des quasars et d’autres galaxies.

Gaia a créé la plus grande carte tridimensionnelle d’environ 1,3 million de quasars.

Les quasars sont alimentés par des trous noirs supermassifs au centre des galaxies et peuvent être des centaines de fois plus brillants qu’une galaxie entière. À mesure que l’attraction gravitationnelle du trou noir fait tourner le gaz à proximité, le processus génère un disque extrêmement brillant, et parfois des jets de lumière, que les télescopes peuvent observer. Les galaxies dans lesquelles vivent les quasars se trouvent à l’intérieur d’énormes nuages de matière noire invisible. La distribution de la matière noire donne un aperçu de la quantité de matière noire présente dans l’Univers et de sa force. Les astronomes comparent ces mesures à travers le temps cosmique pour tester notre modèle actuel de la composition et de l’évolution de l’Univers. Parce que les quasars sont si brillants, les astronomes les utilisent pour cartographier la matière noire de l’Univers très lointain et remplir la chronologie de l’évolution du cosmos.

La représentation graphique de la carte (en bas à droite sur l’infographie) nous montre la localisation des quasars depuis notre point de vue, le centre de la sphère. Les régions vides de quasars sont celles où le disque de notre galaxie bloque notre vue. Cette carte a été réalisée par Kate Storey-Fisher du Centre international de physique de Donostia en Espagne et de l’Université de New York, aux États-Unis, et ses collègues, et publiée dans l’Astrophysical Journal. Elle utilise les données de la troisième publication de données de Gaia, qui contenait 6,6 millions de candidats quasars, ainsi que les données du Wide-Field Infrared Survey Explorer (WISE) de la NASA et du Sloan Digital Sky Survey (SDSS). La combinaison des ensembles de données a permis de nettoyer l’ensemble de données original de Gaia sur les contaminants tels que les étoiles et les galaxies, et de mieux identifier les distances jusqu’aux quasars. L’équipe a également créé une carte indiquant où la poussière, les étoiles et d’autres phénomènes devraient bloquer notre vision de certains quasars, ce qui est essentiel pour interpréter la carte des quasars (crédit ESA/Gaia/DPAC, L. Reading-Ikkanda/Simons Foundation, K. Storey-Fisher et al. 2024)

Les données de Gaia ne donnent pas toujours immédiatement lieu à de très grandes découvertes mais c’est l’étude de ces données, associées à des données recueillies par des missions de pointage comme les télescopes spatiaux Hubble et James Webb [contrairement à Gaia qui balaye le ciel, ces télescopes pointent une zone précise selon les souhaits des scientifiques] qui vont donner lieu à de nombgreuses découvertes dans les décennies à venir.

61 Cygni, la dernière étoile observée par Gaia

61 Cygni est une étoile binaire découverte en 1753. En 1806, l’astronome italien Giuseppe Piazzi observa le mouvement propre remarquable de 61 Cygni, constatant un déplacement de 5 secondes d’arc par rapport aux étoiles d’arrière-plan sur plusieurs mois. Cette observation lui valut le surnom d’ « Étoile volante de Piazzi« . En 1838, l’astronome allemand Friedrich Wilhelm Bessel réussit à mesurer précisément la distance de 61 Cygni. Utilisant la méthode de la parallaxe annuelle et les meilleurs instruments de l’époque, Bessel estima la distance de 61 Cygni à 10,5 années-lumière, avec une parallaxe de 0,31 secondes d’arc. Cette mesure fut révolutionnaire : Elle fut la première détermination précise de la distance d’une étoile, elle modifia brutalement la conception du volume de l’Univers que les astronomes imaginaient alors et elle ouvrit la voie à une compréhension tridimensionnelle de l’Univers.

Pour rendre hommage à cette première mesure de distance d’une étoile, et de plus en utilisant la parallaxe, les scientifiques de la mission Gaia ont décidé d’observer une dernière fois 61 Cygnus.

Cette image d’étalonnage est la vue finale de Gaia sur 61 Cygni. Elle a été prise le 10 janvier 2025, quelques jours seulement avant la fin des observations scientifiques de Gaia. Le nord est en haut et l’est est laissé sur cette image dont l’échelle est indiquée en bas à droite. La composante la plus brillante 61 Cygni A est vue au nord de son compagnon 61 Cygni B. Quelques étoiles d’arrière-plan sont également visibles. Le schéma de fausses couleurs utilisé ici concerne uniquement l’intensité (crédits : ESA/Gaia/DPAC – CC BY-SA 3.0 IGO).

Aujourd’hui, on admet une distance légèrement révisée de 11,4 années-lumière pour 61 Cygni.

Bessel avait mesuré une parallaxe de 0,314 secondes d’arc pour 61 Cygni, avec une marge d’erreur de 0,02 secondes d’arc. Gaia a pu mesurer la parallaxe de 61 Cygni avec une précision bien supérieure. Selon les données du catalogue Gaia DR3 publiées en 2021, les valeurs de parallaxe pour 61 Cygni A et B sont respectivement de 285,995 ± 0,06 et 286,005 ± 0,03 millisecondes d’arc. Ces mesures confirment l’ordre de grandeur trouvé par Bessel, tout en offrant une précision nettement améliorée.


Comme me l’a dit Frédéric Arenou, ingénieur de recherche au CNRS, dans une interview à paraître dans le numéro 86 du magazine Espace & Exploration, « Les relevés de Gais sont une gigantesque base de données qui va pouvoir être utilisée pendant des décennies. Il y a du travail pour des générations d’astronomes« .

Les données de Gaia vont être la base de nombreuses découvertes scientifiques à venir, sans qu’on le sache vraiment en fait. J’ai une certaine tristesse à savoir que le mission est terminée mais ce fut un grand honneur d’y avoir contribué à mon petit niveau [voir articles].

Sources principales de l’article : ESA et Cosmos.esa

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2 réflexions sur “Fin de mission pour Gaia : un héritage hors norme

  • dreamilyyoung72cb7edac2

    Bonjour,
    Bravo et merci pour ces informations donnant un peu le tournis en nous situant au milieu de cette immensité… qui n’est elle même qu’une parcelle d’un tout restant à découvrir.
    Une question toutefois, au centre de la spirale représentant notre voie lactée, on voit une énorme source de lumière, qu’est ce ?
    Merci de votre réponse.

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