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Starlink : pourquoi les astronomes sont mécontents ? Entretien avec Eric Lagadec, astronome de SF2A

Au moment où cet article est écrit, 300 satellites de la constellation Starlink ont été lancés par Space X entre mai 2019 et février 2020 en 5 lots de 60 satellites.

La Federal Communications Commission, un organisme de réglementation américain, a autorisé SpaceX à lancer un total de près de 12 000 satellites pour fournir un accès Internet haut débit dans le monde. Les satellites Starlink seront déployés à terme sur 3 plans orbitaux : 340 kilomètres, 550 kilomètres et 1150 kilomètres.

Mais depuis ces lancements, les astronomes professionnels et amateurs dénoncent les perturbations pour leurs observations liées au nombre de ces satellites qui devraient surpasser à terme en nombre tous les satellites lancés jusqu’à ce jour.

Au 23/02/2020, selon l’ Index en ligne des objets lancés dans l’espace extra-atmosphérique (OSOidx), qui est maintenu par le Bureau des affaires spatiales des Nations Unies (UNOOSA), il y a actuellement 5675 satellites en orbite autour de la Terre. Dans le cadre du plan initial de SpaceX, le déploiement de la constellation Starlink triplerait presque ce nombre, tandis que le plan actuel le doublerait.

Simulation de ce que donnerait la couverture des satellites Starlink après 24 lancements (via @larrypress)

La taille de cette constellation de satellites en orbite basse pourrait aussi engendrer une augmentation du risque de collision et des débris spatiaux [mais cela ne sera pas traité dans cet article].

Le problème majeur : la réflectivité

Le problème pour les astronomes : la réflectivité élevée des satellites.

Mais cette problématique n’est pas nouvelle. « Tout objet en orbite terrestre qui reflète le Soleil, tout ce qui a un albédo supérieur à zéro, peut éventuellement laisser une trace dans une image astronomique« , a déclaré Pat Seitzer, professeur émérite d’astronomie à l’Université du Michigan. « Chaque nuit, des centaines d’objets pourraient passer devant un observatoire. Nous n’aimerions vraiment pas de satellites, mais cette bataille a été perdue il y a longtemps, depuis 1957. »

Par exemple, la constellation de 66 satellites Iridium de première génération, désormais désorbitée, a produit des traînées éclairantes si brillantes qu’elles pouvaient être vues pendant la journée.

Lorsque les satellites Starlink sont initialement lancés sur des orbites de stationnement à une altitude d’environ 300 kilomètres, ils ont une magnitude visuelle comprise entre deux ou trois : suffisamment lumineux pour être facilement visibles à l’œil nu, même dans une ville polluée par la lumière. Au moment où ils atteignent leur orbite opérationnelle de 550 kilomètres, ils s’assombrissent à environ la cinquième magnitude, visibles à l’œil nu uniquement dans des cieux beaucoup plus sombres loin des villes, mais malheureusement très visibles depuis des télescopes terrestres.

Le 18 novembre par exemple, la trace des satellites lancés le 11 novembre, a perturbé les observations astronomiques de l’Observatoire interaméricain Cerro Tololo (CTIO) au Chili. Les astronomes utilisaient la caméra à énergie sombre (DECam), qui peut prendre des images de grandes zones du ciel nocturne dans des longueurs d’onde de lumière visible et proche infrarouge.

Image de DECam avec des trainées (crédit Cliff Johnson, Clarae Martinez-Vazquez, surveillance DELVE)

L’astronome Clarae Martinez-Vazquez a déclaré sur Twitter « Je suis sous le choc!! L’énorme quantité de satellites Starlink a traversé notre ciel ce soir à Cerro Tololo. Notre exposition DECam a été fortement affectée par 19 d’entre eux! Le train de satellites Starlink a duré plus de 5 minutes !! Plutôt déprimant… Ce n’est pas cool! »

Des observations astronomiques amputées

Eric Lagadec, astrophysicien à l’Observatoire de la Côte d’Azur et vice-président de la Société Française d’Astronomie et d’Astrophysique (SF2A), m’a accordé un entretien pour me donner son avis et celui de SF2A sur le sujet.

En quoi Starlink est-il gênant pour les observations astronomiques ?

EL : La multitude de satellites et leur haute réflectivité sont un souci pour les astronomes professionnels et amateurs du monde entier. Certaines images demandent des temps d’exposition longs.

Image du groupe galactique NGC 5353/4 le 25 mai 2019. Les lignes diagonales sont des traînées de lumière réfléchie laissées par certains des 60 satellites Starlink récemment lancés lors de leur passage dans le champ de vision. Notez que la densité du satellite a diminué dans les jours suivant le lancement, par rapport à celle observée ici. La luminosité des satellites a également diminué à mesure qu’ils atteignaient leur altitude orbitale finale. (Crédit d’image : Victoria Girgis / Lowell Observatory)

En cas de traînées de satellites, les observations sont à refaire. Sachant que la planification des observations est déjà très compliquée sur des grands observatoires comme celui de Cerro Tololo au Chili (impact de la Lune, priorités entre observations, changements de configuration du télescope, etc..), cela devient de plus en plus compliqué s’il faut en plus prévoir de ne pas observer durant le passage de ces satellites.

Il faut avoir en tête qu’une nuit d’observation avec certains télescopes c’est 50 000 €. Vous les prévoyez plusieurs mois à l’avance aussi.

Ce sont surtout les observations grand champ qui sont affectées. L’observatoire Vera Rubin (LSST Large Synoptic Survey Telescope) au Chili, en cours de finalisation, sera l’un des plus affectés. Son télescope de 8 mètres et son capteur de 3200 mégapixels effectueront des observations du ciel entier toutes les 3 nuits pour rechercher des étoiles variables. Ils sont en train de voir comment minimiser l’impact de ces constellations de satellites.

Ne peut-on enlever les traînées des images ?

Un astronome prend déjà plusieurs semaines pour analyser les données de ses observations et retirer les passages de satellites ajouterait du travail inutile au travail de recherche.

Si les détecteurs sont saturés lors du passage des satellites, toutes les données sont à jeter !

Et que pensez-vous de l’annonce de SpaceX de réduire la réflectivité des satellites en diminuant ainsi leur magnitude par 3 ?

Malgré l’annonce de SpaceX de réduire la réflectivité des satellites Starlink, même si les satellites ne seront plus visibles à l’œil nu, les satellites seront toujours visibles par les télescopes car ils sont bien évidemment utilisés pour observer des étoiles beaucoup moins visibles, de luminosité de 1 million à 1 milliard plus faible.

Est-ce que le problème n’est pas « juste » après le lancement lorsque les satellites ne sont pas sur leurs positions finales ?

Il est effectivement surtout concentré sur les jours suivant le lancement des grappes de satellites. Mais c’est la multitude qui pose problème. On parle quand même de plusieurs milliers de satellites !

Simulation de 12 000 satellites Starlink observables depuis une latitude de 32° un soir d’été :

Une absence de dialogue dénoncée

EL : Il est bien dommage qu’Elon Musk ne semble pas comprendre l’astronomie. Dans l’un de ses tweets, il parle d’astronomie spatiale.

https://twitter.com/elonmusk/status/1132897322457636864

C’est mal connaître l’astronomie qui est faite en grande partie depuis des télescopes terrestres dont certains ont des capacités supérieures aux télescopes spatiaux dans certains domaines de l’astrophysique.

De plus, de nombreux pays, comme en Afrique, n’ont pas accès aux télescopes spatiaux, et leur seul accès à l’astrophysique se fait via leurs télescopes terrestres.

Le plus grand reproche qu’on peut faire à Starlink, c’est l’absence de discussion actuelle avec les astronomes professionnels et l’absence d’analyse d’impact sur la pollution lumineuse venant de ces satellites.

Nous craignons pour la commercialisation du ciel étoilé, également avec des projets de miroirs nocturnes, de publicité dans le ciel ou d’étoiles filantes à la demande.

Des groupes de travail en place pour étudier l’impact et les solutions

D’autres constellations en cours de déploiement comme OneWeb, ou en projet [(re)lire Les constellations de satellites de télécommunications en orbite basse ou moyenne] auront des orbites plus élevées (1200 km pour OneWeb) mais auront sans nul doute également un impact sur les observations astronomiques.

La SF2A, d’autres sociétés astronomiques étrangères, et les grands télescopes sont en train d’étudier l’impact des grandes constellations de satellites en orbite basse, ainsi que de voir les solutions possibles, et comment travailler en collaboration avec les concepteurs et les décideurs.

L’exploitation de l’espace pour des enjeux commerciaux est un phénomène finalement assez récent et largement sous réglementé. Espérons donc que le dialogue initialisé permette à tous de travailler dans la sérénité.

Pour compléter :

Image de couverture : Image composite de 33 expositions faisant apparaître des stries parallèles des satellites Starlink visibles sur le sud du Brésil. Des tournesols au premier plan, tandis qu’un météore brillant a été attrapé par hasard en haut à droite (crédit Egon Filter)

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2 réflexions sur “Starlink : pourquoi les astronomes sont mécontents ? Entretien avec Eric Lagadec, astronome de SF2A

  • Un article très intéressant. Il devient en effet très urgent d’instaurer des réglementations internationales.

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  • Lionel Ragot

    Il est faux de dire qu’Elon Musk ne se préoccupe pas de réduire l’impacte de la constellation Starlink, selon d’autres sources (que je peux vous fournir à l’occasion) il est en constante discussion avec des autorités dans le domaine de l’astronomie et la constellation ne devrait pas gêner les observations à terme. Les astronomes devraient plus se préoccuper du projet de Jeff Bezos qui prévoit des usines immenses en orbite, certes ce projet est plus lointain dans le temps, mais si il se réalise il sera autrement plus gênant pour l’observation de l’espace à partir de la Terre. D’autre part avec Starship qui arrive, les astronomes devraient se réjouir des possibilités nouvelles qui vont s’offrir pour envoyer des télescopes géants dans l’espace.

    Répondre

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