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Astronomie

De la vie sur Vénus ? Pas si sûr…

Article initialement publié le 17/09/2020 et mis à jour le 24/10/2020

L’annonce : de la phosphine dans l’atmosphère de Vénus

Dans un article publié sur Nature le 14 septembre, il est rapporté la détection d’un gaz hautement toxique, odorant et inflammable appelé phosphine (PH3) dans l’atmosphère de Vénus.

Sur Terre, ce gaz est uniquement fabriqué industriellement (une arme chimique pendant la Première Guerre mondiale ou un fumigant agricole) ou par des microbes qui se développent dans des environnements sans oxygène (bactéries anaérobies).

L’équipe internationale, qui comprend des chercheurs du Royaume-Uni, des États-Unis et du Japon, estime que la phosphine existe dans les nuages ​​de Vénus à une faible concentration, seulement une vingtaine de molécules par milliard (20 ppb). Suite à leurs observations, ils ont effectué des calculs pour voir si ces quantités pouvaient provenir de processus naturels non biologiques sur la planète, mais aucun ne répondait aux calculs. Les sources naturelles (lumière du Soleil, minéraux soufflés vers le haut depuis la surface vénusienne, les volcans de la planète ou la foudre dans l’atmosphère) produisaient au plus un dix millième de la quantité de phosphine mesurée.

Vue d’artiste représentant la surface et l’atmosphère vénusiennes, ainsi que les molécules de phosphine. Ces molécules flottent dans les nuages soufflés par le vent de Vénus à des altitudes de 55 à 80 km, absorbant certaines des ondes millimétriques produites à des altitudes plus basses. Elles ont été détectées dans les nuages élevés de Vénus dans les données du télescope James Clerk Maxwell et du grand réseau millimétrique / submillimétrique Atacama (crédit ESO/M. Kornmesser/L. Calçada)

En revanche, l’équipe a constaté que pour créer la quantité de phosphine observée sur Vénus, les organismes terrestres n’auraient besoin que de travailler à environ 10% de leur productivité maximale. 

En conclusion de l’article il est indiqué :

Si aucun processus chimique connu ne peut expliquer le PH3 dans la haute atmosphère de Vénus, alors il doit être produit par un processus qui n’était pas auparavant considéré comme plausible pour les conditions vénusiennes. Cela pourrait être une photochimie ou une géochimie inconnue, ou peut-être la vie. Les informations manquent – à titre d’exemple, la photochimie des gouttelettes de nuages ​​vénusiens est presque complètement inconnue. Par conséquent, une source photochimique possible en phase de gouttelettes pour le PH 3 doit être considérée (même si le PH 3 est oxydé par l’acide sulfurique). Les questions sur les raisons pour lesquelles des organismes hypothétiques sur Vénus pourraient produire PH 3 sont également hautement spéculatives.

[…]

Même si elle est confirmée, nous soulignons que la détection de PH3 n’est pas une preuve solide pour la vie, seulement pour une chimie anormale et inexpliquée. Il y a des problèmes conceptuels importants pour l’idée de la vie dans les nuages ​​de Vénus – l’environnement est extrêmement déshydratant et hyperacidique. […]

Pourquoi cette découverte n’est-elle pas une preuve ?

Cette découverte a été réalisée grâce au télescope terrestre James Clerk Maxwell de Hawaï, un télescope qui observe dans l’infrarouge lointain et les longueurs d’onde micro-ondes, puis confirmée avec le réseau d’antennes millimétrique/submillimétrique ALMA (Atacama Large Millimeter/submillimeter Array) au Chili.

Cette représentation artistique montre une image réelle de Vénus, prise avec ALMA, avec deux spectres superposés pris avec ALMA (en blanc) et le télescope James Clerk Maxwell (JCMT; en gris). La baisse du spectre JCMT de Vénus a fourni le premier indice de la présence de phosphine sur la planète, tandis que le spectre plus détaillé d’ALMA a confirmé que cette molécule est réellement présente dans l’atmosphère vénusienne. Lorsque les molécules de phosphine flottent dans les nuages élevés de Vénus, elles absorbent une partie des ondes millimétriques produites à des altitudes plus basses. Lorsqu’ils observent la planète dans la gamme de longueurs d’onde millimétriques, les astronomes peuvent capter cette signature d’absorption de la phosphine dans leurs données, comme un plongeon dans la lumière de la planète (crédit ALMA (ESO/NAOJ/NRAO), Greaves et al. & JCMT (East Asian Observatory))

La phosphine a été détectée par des observations astronomiques à distance. Les scientifiques préviennent que la détection elle-même doit être vérifiée, car l’empreinte de phosphine décrite dans l’étude pourrait être un faux signal introduit par les télescopes ou par le traitement des données.

Cette bouffée de fumée fantôme est en fait une masse de gaz tourbillonnant et de nuages ​​au pôle sud de Vénus, comme on le voit par l’imagerie thermique spectromètre visible et l’infrarouge (VIRTIS) à bord de la sonde Venus Express de l’ESA. Cette image a été obtenue le 7 avril 2007 à une longueur d’onde de 5,02 micromètres. Elle montre émission thermique infrarouge à partir du sommet des nuages ; les régions brillantes comme l’«œil» du vortex sont à basse altitude et donc plus chaudes. (©ESA / VIRTIS / INAF-IASF / Obs. de Paris-LESIA / Univ. Oxford)

Vénus est actuellement un monde hostile avec des températures à sa surface de 462°C en moyenne, une pression atmosphérique au sol 92 fois celle au niveau de la mer terrestre, une atmosphère principalement constituée de dioxyde de carbone avec des nuages ​​d’acide sulfurique.

Mais les observations suggèrent qu’elle avait autrefois un océan d’eau liquide. Vénus aurait pu être aussi habitable que la Terre pendant des millénaires jusqu’à ce que les gaz à effet de serre eussent transformé la planète en un enfer. Peut-être que, à mesure que la surface devenait moins hospitalière, des formes de vie ont migré dans les nuages ​​pour éviter une certaine extinction ?

Depuis des années, des hypothèses sont émises sur cette possibilité que les nuages ​​de haute altitude sur Vénus puissent héberger des microbes, flottant loin de la surface brûlante de la planète mais devant tolérer une acidité très élevée.

En 1967, le célèbre astronome Carl Sagan et le biophysicien Harold Morowitz publiaient dans la revue Nature :

Alors que les conditions de surface de Vénus rendent l’hypothèse de la vie invraisemblable, les nuages ​​de Vénus sont une toute autre histoire.

D’autres scientifiques sont sceptiques. Le Dr Penelope Boston, astrobiologiste de la NASA spécialisée dans l’étude des microbes dans des endroits singuliers sur Terre à déclaré :

Vénus pourrait être une relique d’une biosphère primitive plus dominante mais c’est un véritable enfer maintenant, alors quelle quantité de cet ancien signal aurait pu survivre ?

La phosphine est mortelle pour tout organisme qui a besoin d’oxygène pour survivre sur Terre. Sur notre planète, certains microbes peuvent supporter jusqu’à environ 5% d’acide dans leur environnement, mais les nuages ​​de Vénus sont presque entièrement constitués d’acide. Donc comment expliquer cette « vie » sur Vénus ?

Le directeur des opérations européennes d’ALMA à l’ESO, Leonardo Testi a déclaré :

La production non biologique de phosphine sur Vénus est exclue par notre compréhension actuelle de la chimie de la phosphine dans les atmosphères des planètes rocheuses. Confirmer l’existence de la vie sur l’atmosphère de Vénus serait une avancée majeure pour l’astrobiologie ; il est donc essentiel de poursuivre ce résultat passionnant avec des études théoriques et observationnelles pour exclure la possibilité que la phosphine sur les planètes rocheuses puisse également avoir une origine chimique différente de celle de la Terre.

Comme pour toute découverte scientifique, celle-ci devra être confirmée ou non dans le futur et il en est de même avec les hypothèses associées : résultats erronés, forme de vie ou processus chimique inconnu ?

Mise à jour 24/10/2020 : De nouvelles études ne confirment pas la présence de phosphine

Deux nouvelles études ont été publiées depuis la première annonce de la découvert de phosphine et pour l’instant elles ne confirment pas la présence de phosphine.

Une équipe dirigée par Thérèse Encrenaz du LESIA (Laboratoire d’Etudes Spatiales et d’Instrumentation en Astrophysique) de l’Observatoire de Paris, comprenant 2 chercheurs de l’équipe de la première détection, a utilisé des données d’archives d’un autre télescope, le télescope infrarouge de la NASA à Hawaï. Ces observations, à partir de 2015, n’indiquent pas un signal fort de la phosphine.  Le seuil de détection en spectroscopie infrarouge est 4 fois inférieur au niveau détecté par la précédente mesure en radio. Pour réconcilier ces mesures, il faudrait que la phosphine soit présente dans la mésosphère à des niveaux non observables en IR, ou qu’elle soit variable.

Deux autres équipes ont retraité les données d’origine utilisées pour effectuer la « découverte ». L’équipe hollandaise a publié le 21 octobre la re-analyse des données sub-millimétriques et montre que la présence de PH3 n’est pas significative. La détection de phosphine pourrait être le fruit d’un ajustement mathématique inapproprié pour la réduction du bruit de fond dans les mesures : « l’ajustement polynomial d’ordre élevé peut créer plusieurs lignes spectrales parasites ».

Aucune des nouvelles analyses indépendantes de ces données n’a pu trouver de traces fiables du gaz. Le premier groupe, comprenant plus de deux douzaines de chercheurs, n’a pas réussi à trouver des preuves de la phosphine dans les données du JCMT et de l’ALMA. Le JCMT a détecté une raie spectrale à la bonne fréquence, mais l’équipe suggère que cela peut être expliqué par le dioxyde de soufre gazeux dans l’atmosphère de Vénus, qui génère une raie spectrale au même endroit.

Sources de la mise à jour : https://www.nationalgeographic.com/science/2020/10/venus-might-not-have-much-phosphine-dampening-hopes-for-life/ et @LesiaAstro

Des mesures in situ pour confirmer ?

Pour déterminer si cette phosphine est produite par des bactéries, ou par des processus chimiques, les scientifiques, auteurs de la publication, ont appelé à davantage d’observations, y compris par des missions spatiales. 

«Nous aimerions voir vraiment n’importe quel type de mission retourner sur Vénus, capable de mesurer les gaz dans l’atmosphère», a déclaré Sara Seager du MIT, membre de l’équipe de découverte. « Des missions avec des spectromètres de masse pour identifier des molécules plus complexes liées à la vie.« 

La dernière mission de la NASA vers Vénus était Magellan, un orbiteur de cartographie radar (1989-1994). Les missions les plus récentes ont été Venus Express de l’ESA (2005-2014). Seule la mission japonaise Akatsuki lancée en 2010 est encore active.

Vénus par la caméra infra-rouge d’Akatsuki le 7 décembre à environ 68 000 km d’altitude de la planète (crédit JAXA)

La Russie a depuis plusieurs années dans les cartons un programme de 3 missions vénusiennes dont Venera-D qui décollera au plus tôt en 2026.

Il faut rappeler que la Russie est le seul pays à ce jour à avoir réussi un atterrissage sur Vénus avec Venera-7 en 1970 et les premières analyses in situ de l’atmosphère vénusienne en 1967 avec Venera-4. A cause des conditions atmosphériques très difficiles, le record de durée sur le sol de Vénus est à ce jour de 127 minutes avec Venera-13.

Images du sol de Vénus par Venera-13 (crédit Roscosmos)

Rocket Lab prévoit une mission privée sur Vénus en 2023, utilisant son lanceur Electron pour lancer un satellite Photon dans l’atmosphère de la planète dans l’espoir de fournir plus de données sur la recherche de la vie.

EnVision de l’ESA est l’une des trois finalistes pour être la prochaine mission de classe moyenne de l’ESA. Si sélectionnée, elle sera lancée au début des années 2030, pour étudier la surface et l’atmosphère de la planète.

Deux des quatre finalistes du programme Discovery de la NASA vont vers Vénus : DAVINCI + (Deep Atmosphere Venus Investigation of Noble gas, Chemistry, and Imaging Plus), une sonde dans l’atmosphère de la planète pour étudier sa composition, et VERITAS (Venus Emissivity, Radio Science, InSAR, Topography, and Spectroscopy), un orbiteur permettant de cartographier la surface à l’aide d’un radar. Cette découverte de la phosphine mettra-t-elle l’une de ces missions prioritaires ?

De nouvelles missions spatiales vers et sur Vénus pourront nous donner davantage de données sur la composition de l’atmosphère vénusienne et confirmer ou non l’hypothèse de molécules de « vie ». A suivre !

Sources : Possible Marker of Life Spotted on Venus, Possible sign of life on Venus stirs up heated debate

Image d’illustration : crédit ESO

Pour compléter :

Un article de H. Cottin, professeur à l’université Paris-Est-Créteil, chercheur au LISA, et président de la Société Française d’Exobiologie

La conférence de presse de la Royal Astronomical Society (en anglais)

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