Lunokhod-1 : un gros gros rover sur la Lune
Le 17 novembre 1970, le rover soviétique Lunokhod-1 atterrissait sur la Lune. Avec un peu moins de 11 mois de fonctionnement, il a parcouru plus de 10 kilomètres. Un exploit pour ce premier rover lunaire massif !
Malgré l’échec de la « course à Lune » par les Soviétiques pour les vol habités, l’URSS a réalisé plusieurs premières sur notre satellite naturel : premier impacteur sélène avec Luna-2, premières photos de la face cachée en 1959 par Luna-3 et retour d’échantillons de façon automatique (sans l’intervention d’astronautes comme ce fut le cas avec les missions Apollo) en septembre 1970 par Luna-16. Avec Lunakhod-1, c’est le premier engin téléguidé depuis la Terre sur un autre corps extraterrestre !
Un vol de 7 jours vers la Lune
Le 10 novembre 1970 à 17 heures 44 minutes 01 secondes, le lanceur Proton-K décollait avec à son bord la mission automatique Luna-17, depuis le cosmodrome de Baïkonour.
C’est l’étage supérieur, Bloc D, de Proton qui a assuré la trajectoire de vol vers la Lune à partir d’une orbite intermédiaire proche de la Terre.
Les 12 et 14 novembre 1970, des corrections de trajectoire ont été apportées. Le 15 novembre, à l’approche de la Lune, le moteur a été mis en marche pour la décélération, et Luna-17 est entrée sur l’orbite d’un satellite lunaire artificiel de 85 × 141 km avec une inclinaison orbitale vers le plan équatorial lunaire de 141° et une période orbitale de 116 minutes. Afin de créer les conditions de la désorbitation le 16 novembre, des corrections ont été apportées, diminuant l’altitude minimale au-dessus de la surface à 19 km.
Atterrissage à Mare Imbrium
Le 17 novembre 1970, la désorbitation est commandée et à 06h46 (heure de Moscou), Luna-17 effectue un atterrissage en douceur dans la Mer des Pluies (Mare Imbrium), au point de coordonnées sélénographiques 38.2473 N, 325.002 E.
Après avoir inspecté le site d’atterrissage et déployé les échelles, une commande appropriée a été émise et moins de 3 heures après l’atterrissage, Lunokhod-1 glisse sur l’échelle de la plate-forme d’atterrissage vers le sol lunaire.
Lunakhod-1 devient le premier rover lunaire, même s’il s’agissait en réalité du deuxième Lunakhod car le premier avait été perdu
au lancement en février 1969 après la désintégration de la coiffe.
Lunokhod-1 : un laboratoire auto-propulsé
Luna-17 et Lunokhod-1 ont été construits à l’Usine de Construction de Machines n°301 devenu désormais S.A. Lavochkin.
Le rover, au look futuriste pour l’époque, a été monté au sommet d’un module de descente pourvu de rampes s’étendant des deux côtés offrant ainsi des chemins alternatifs au cas où la surface d’un des côtés était bloqué par des rochers.
Lunokhod (1 et 2) est un véhicule formé d’un compartiment en forme de « baignoire » d’un diamètre de 2,15m et avec huit roues à propulsion indépendante. La longueur du rover lunaire avec le couvercle rabattu est de 4,42 m sur 2,15 m de large et sur 1,92 m de haut.
Le rover était équipé d’une antenne en forme de cône, d’une antenne hélicoïdale hautement directionnelle, de quatre caméras de télévision et de dispositifs extensibles spéciaux pour impacter le sol lunaire pour les tests de densité du sol et de propriétés mécaniques.
Lunokhod se compose de deux parties principales : un châssis à roues et un conteneur d’instruments scellé, qui abrite du matériel électronique (réchauffage, alimentation électrique, conversion des mesures des instruments scientifiques) et une batterie tampon. La forme de la « baignoire » sert de radiateur-refroidisseur pour la dissipation thermique. Pendant les nuits froides lunaires, le couvercle était fermé pour protéger les équipements électroniques des températures pouvant descendre jusqu’à -150°C. Pour le réchauffage, une source de chaleur radio-isotope contenant des ampoules de polonium-210 a été utilisée.
La surface intérieure du couvercle est recouverte de cellules solaires, ce qui permet de recharger la batterie pendant une journée lunaire. En position de travail, le panneau solaire pouvait être positionné à différents angles entre 0 et 180° afin d’utiliser de manière optimale l’énergie du Soleil à ses différentes hauteurs au-dessus de l’horizon lunaire.
La masse au lancement de la plate-forme avec le rover lunaire était de 5750 kg, la masse en orbite sélénocentrique était de 4100 kg. La plate-forme d’atterrissage avec le rover lunaire pesait 1900 kg à l’atterrissage sur le sol lunaire. La masse du rover lunaire lui-même est de 756 kg.
Lunokhod avait été conçu pour fonctionner pendant 90 jours (ou 3 jours lunaires) en étant guidé en temps réel (juste 1,2 secondes d’écart) par une équipe de 5 personnes depuis la région de Moscou.
Des photos et des résultats scientifiques au-delà des attentes
Pendant sa mission opérationnelle de 11 mois, soit 3 fois plus que prévu (exactement 301 jours 06 heures 37 minutes de fonctionnement actif), Lunokhod-1 a parcouru une distance de 10 540 mètres, ce qui a permis d’examiner en détail la surface lunaire sur une superficie de 80 000 m², en 116 séances de mouvement. La vitesse de déplacement maximale était de 2 km/h. En comparaison, il a fallu environ six ans au rover Mars Opportunity pour atteindre la même distance.
200 panoramas téléphotométriques et environ 20 000 images de télévision à faible trame ont été transmis à la Terre. Lors de la prise de vue, des images stéréoscopiques des caractéristiques les plus intéressantes du relief ont été obtenues, permettant une étude détaillée de leur structure.
Lunokhod-1 était notamment équipé d’un spectromètre et d’un télescope à rayon X, de détecteurs de rayons cosmiques, ainsi que d’un réflecteur laser construit par Aerospatiale (ex Thales Alenia Space) à Cannes. Ce dernier, constitué de 14 coins de cube et protégé par un capot, est situé sur un bras à l’avant du véhicule, procède les 5 et 6 décembre 1970 aux premiers tirs laser depuis l’Observatoire du Pic du Midi pour mesurer la distance Terre-Lune avec une très grande précision pour l’époque de 30 cm.
L’héritage de Lunokhod 1
Le 15 septembre 1971, la température à l’intérieur du conteneur scellé du Lunokhod a commencé à baisser, car les sources de polonium-210 était épuisée. Le 30 septembre, le contact a été rompu et le 4 octobre 1971, toutes les tentatives pour le contacter ont été arrêtées.
Le succès de Lunokhod 1 a été répété avec Lunokhod 2 en 1973, qui a finalement parcouru environ 37 kilomètres (ou 39 km selon les sources) sur la surface lunaire, qui a longtemps détenu la plus longue distance parcourue par un objet sur un sol extraterrestre.
Grâce au succès des mesures de télémétries laser Terre-Lune de Lunokhod-1, la surface lunaire sera équipée en nouveaux réflecteurs avec les missions Apollo 14, Apollo 15 en 1971 et Luna 21 (Lunokhod 2) en 1973.
Les missions lunaires chinoises Chang’e3 et Chang’e4 sont fortement inspirées de Luna-17 et Luna-21 notamment au niveau de l’atterrisseur et ses rampes de descente du rover. La mission martienne Tianwen-1 semble aussi en être un héritage.
Autres faits intéressants
L’orbiteur lunaire LRO de la NASA a retrouvé la mission Luna-17 en 2010, si bien qu’un rayon laser tiré précisément depuis le télescope de 3,5 mètres de l’observatoire Apache Point au Nouveau-Mexique dans la direction du rover a été parfaitement renvoyé par ses réflecteurs. Ces tirs de laser sur des cibles réfléchissantes lunaires permettent aujourd’hui encore de mesurer les variations de l’orbite lunaire au millimètre près, ce qui permet de tester certaines théories de la gravitation alternatives à la relativité.
Le 8 mars 1971, les conducteurs de Lunokhod-1, en l’honneur de la Journée internationale de la femme, ont tracé le chiffre «8» sur la Lune avec les roues du rover et ont transmis l’image à la Terre.
Le 14 juin 2012, l’Union Astronomique Internationale a approuvé les noms de 12 cratères le long de la route Lunokhod-1, leur donnant les noms des membres de l’équipe de contrôle: Albert, Borya, Vasya, Valera, Vitya, Gena (pour Gabdulkhay), Igor, Kolya, Kostya, Leonid, Nicolya, Slava, et Vasya.
Source principale de l’article : site Roscosmos et planetology.ru.
Pour compléter : 1970 : première mesure de la distance Terre/Lune
Image de couverture : crédit Nick Stephens Graphics
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