Les constellations de satellites de télécommunications en orbite basse ou moyenne
Une nouvelle bataille fait rage ces derniers mois dans le spatial : celle des constellation de satellites de télécommunications en orbite basse ou moyenne. Ce sera à l’entreprise qui va lancer la sienne la première, ou la plus grande en nombre de satellites, ou celle qui aura une mission évolutive dans le temps. Après Iridium, O3B et OneWeb, c’est désormais Starlink qui prend son envol. Faisons le point sur ces constellations.
Des satellites de télécommunications en orbite basse pour aller toujours plus vite ou amener Internet là où il n’y en a pas
On parle de constellation de satellites quand les satellites travaillent de concert pour une mission donnée.
Les satellites de télécommunications sont habituellement en orbite géostationnaire à 36 000 km d’altitude. Ils se déplacent à la même vitesse que la rotation de la Terre et donc apparaissent fixes au-dessus d’une zone, appelée la zone de couverture.
Mais les satellites GEO ne couvrent qu’environ 42% de la surface de la Terre, les zones à haute latitude n’étant pas bien desservies.
En effet, un satellite en orbite géostationnaire (à une altitude de ~36 0000 kilomètres) peut « voir » la surface jusqu’à 81 degrés depuis sa position. Mais à 81°, il serait à l’horizon vu depuis le sol. Une limite plus pratique pour les communications est d’environ 75°.
Mais depuis quelques années, les satellites de télécommunications rejoignent de plus en plus l’orbite terrestre basse LEO ou moyenne MEO.
Avec l’orbite géostationnaire, le signal entre le satellite et le sol met environ 240 millisecondes aller-retours, une durée qu’on appelle la latence. Depuis une orbite moyenne, le décalage du signal est réduit à moins d’un vingtième de seconde (50 ms), on parle alors de faible latence. Réduire le temps de latence est un enjeu commercial pour les fournisseurs de jeux en temps réel, les systèmes de visioconférences, les transactions financières et le marché boursier, le contrôle de l’Internet des objets, …
Les satellites en LEO ne se trouvant qu’à quelques centaines de kilomètres au-dessus de la surface de la Terre, cela permet aussi d’utiliser de petits terminaux portables (comme des téléphones cellulaires) équipés d’antennes omnidirectionnelles, et non de grandes antennes pour recevoir un signal affaibli par la distance parcourue.
L’inconvénient des satellites LEO est qu’ils ne sont pas stationnés à un endroit donné par rapport à la Terre et qu’ils tournent rapidement autour de la Terre : depuis le sol, on peut dire que les satellites LEO se lèvent et traversent le ciel. Avec une durée orbitale de 70 à 100 minutes (la durée pour faire le tour de la Terre), une altitude entre 640 à 1120 km, les satellites LEO fournissent des zones de couverture d’environ 2800 km de rayon, à une période orbitale de 100 minutes.
Pour assurer un service ininterrompu, vous devez pouvoir voir depuis le sol plusieurs satellites à la fois, avec la possibilité de transférer l’appel d’un satellite à un autre. Selon les positions du satellite et du terminal, un passage utilisable par un satellite LEO individuel durera généralement entre 4 et 15 minutes en moyenne ; ainsi, une constellation de satellites est nécessaire pour maintenir la couverture.
Depuis quelques années, la demande de données a explosé : en 2016, le trafic Internet mondial dépassait 1 sextillion d’octets (un milliard de gigaoctets), soit un zettaoctet (10 puissance 21 ou 1 000 000 000 000 000 000 000 octets) [Si chaque téraoctet dans un zettaoctet faisait un kilomètre, cela équivaudrait à 1 300 allers-retours Terre-Lune]. Selon CISCO, le monde atteindra 2,3 Zettabytes de trafic Internet annuel d’ici 2020.
Pour des services d’Internet à haut débit, il faut désormais faire appel à des centaines de satellites pour éviter l’interruption de service, le cauchemar des opérateurs de télécommunications.
L’intérêt commercial est aussi de concurrencer le réseau de communication commercial par fibres optiques. La lumière, donc l’information, voyage plus rapidement dans l’espace que dans la fibre, presque de moitié (par exemple, le temps de latence actuel de la fibre sur une liaison Londres-Singapour dépasse largement 180 ms, contre moins de 50 ms avec une constellation LEO). Si on utilisait une connexion en fibre optique mondiale, l’information devrait emprunter une route sinueuse de noeud en noeud, avec des détours autour des montagnes et des continents. Plus la source des données est éloignée du consommateur, plus cela prend de temps. Une constellation de satellites en orbite basse, qui, de plus, pourrait se transmettre l’information de satellites en satellites via des liaisons optiques, pourrait réduire ce temps d’accès à l’information.
Pour cela, il faut fabriquer des satellites en plus grand nombre et les lancer « en grappe » pour une mise en service rapide. Du coup, les satellites sont généralement plus petits. Leur durée de vie pourrait n’être que de 5 à 7 ans, comparativement à 15/20 ans pour les satellites GEO. On ne sait pas encore quelle est leur fiabilité comparée à celle des satellites GEO. Ces derniers sont notamment testés et retestés au sol pour éviter des anomalies en vol, contrairement à des satellites construits « à la chaîne » et dont les opérateurs autoriseraient davantage d’anomalies qui seraient masquées par « l’effet de groupe » (un satellite défaillant pourrait être « rapidement » remplacé par un nouveau).
Certains opérateurs ont toutefois choisi une orbite moyenne MEO couramment utilisée pour le positionnement des satellites de navigation tels que GPS, GLONASS, Beidou et Galileo. Les satellites de navigation ont une altitude d’environ 22 000 km, ce qui leur donne une période orbitale de 12 heures. Une constellation de satellites en orbite MEO nécessite moins de satellites, mais cela nécessite un lanceur plus puissant que pour une orbite LEO. En effet, les satellites MEO sont plus gros car ils doivent eux-même être plus puissants pour transmettre un signal plus puissant. Le temps de latence des communications sera plus élevé.
En fait, aucune solution n’est parfaite. Selon les besoins des opérateurs de télécommunications et les impératifs financiers (le coût des lancements en étant un majeur), des compromis sont faits lors de la conception d’une constellation : le nombre de satellites, leur taille, leur performance, leur modularité, etc…
En résumé, selon le type d’orbite, les avantages et les inconvénients :
LEO :
- + Peut fournir une couverture mondiale, y compris des pôles avec suffisamment de satellites.
- + Le signal peut être acquis à nouveau s’il est repris par un autre satellite sans déplacer le récepteur vers un nouvel emplacement.
- + Bon choix pour les applications mobiles.
- – Zone de couverture moindre par satellite.
- – Beaucoup plus de satellites sont nécessaires pour une couverture mondiale.
- – Une performance optimale nécessite une vue dégagée à 360 degrés. Des appels interrompus sont inévitables lorsque la topographie obstrue la vue, sauf si le signal passe d’un satellite à un autre très rapidement
GEO :
- + La couverture est constante avec le satellite fixé à un endroit à l’horizon.
- + Une plus petite fenêtre de visibilité par satellite est requise.
- + Bon dans les endroits fixes ou permanents.
- + Large zone de couverture par satellite. Seulement 3 satellites sont nécessaires pour une couverture quasi mondiale.
- – Pas de couverture dans les régions polaires.
- – L’utilisateur doit rester immobile.
- – les antennes de poursuite et le matériel supplémentaire nécessaires aux applications mobiles sont coûteux
- – Le signal obstrué ne peut être ré-acquis à moins que l’utilisateur ne se déplace dans une nouvelle position dans la vue du satellite
Globalstar, Iridium, 03B, One Web et désormais Starlink
Globalstar a été le précurseur de ces constellation avec 48 satellites à une altitude de 1 414 km pour l’envoi et la réception de messages courts pour, par exemple, des équipes de sauvetage, sur des plateformes pétrolières, ou en tout point isolé de la planète.
Après Globalstar, Iridium et O3B (rachetée en 2016 par SES) sont devenus des fournisseurs de télécommunications par internet en orbite basse et moyenne.
Avec la fin du déploiement de la seconde génération de ses satellites en janvier 2019, 75 satellites Iridium NEXT sont désormais en orbite basse à 780 kilomètres d’altitude (66 satellites répartis en 6 plans orbitaux de 11 satellites chacun, complétée par 9 satellites de rechange en orbite de parking). Iridium offre une couverture terrestre globale quelle que soit la position de l’utilisateur sur terre, en mer ou dans les airs et une indépendance par rapport à toute infrastructure locale sol puisque chaque satellite est relié aux 4 autres satellites les plus proches, devant / derrière / à droite et à gauche. Iridium retransmet des communications vocales et des données à travers le monde par le biais de téléphones satellites ou des terminaux émetteurs-récepteurs, espérant ainsi couvrir 80% du globe.
O3b est une constellation équatoriale en orbite moyenne terrestre (MEO) composée de 16 satellites volant à 8 000 km d’altitude. Les satellites ont été lancés par groupe de 4 par des fusées Soyouz guyanaises (25 juin 2013, 10 juillet 2014, 18 décembre 2014, 9 mars 2018). La constellation fournit des communications voix et données aux opérateurs mobiles et aux fournisseurs de services Internet par satellite aux « 3 autres milliards » (Other 3 billion) de personnes dans les pays émergents ou isolés (comme les îles de Micronésie ou de Papouasie-Nouvelle-Guinée, pour ne citer qu’elles). Les quatre derniers satellites de la constellation de première génération de 20 satellites d’O3b devraient être lancés en 2019 sur une Soyouz d’Arianespace. O3b mPower, un système de deuxième génération de sept satellites offrant une capacité de traitement de 10 térabits, devrait être lancé en 2021. La constellation O3b MEO fournit une large bande à faible temps de latence dans toutes les zones situées à moins de 45 ° au nord ou au sud de l’équateur.
En février 2019, la constellation OneWeb a vu ses 6 premiers satellites mis sur orbite. A terme, la constellation OneWeb devrait être constituée d’environ 600 satellites. Détails dans OneWeb : la constellation de télécoms en orbite basse prend son envol.
Nouveau venu : Starlink
Pour connecter le Monde à Internet depuis l’espace, le programme Starlink de SpaceX a été annoncé en 2015. Elon Musk avait déclaré à l’époque à ses employés: » Nous voulons révolutionner le côté satellite, comme nous l’avons fait avec le côté fusée « . Au lieu d’utiliser une infrastructure terrestre complexe, la société espère capter jusqu’à 5% du chiffre d’affaires mondial des télécommunications en optimisant la connectivité via une constellation en orbite basse. Au total, SpaceX prévoit de lancer près de 12 000 satellites.
Le 23 mai 2019, la constellation prend forme avec le lancement de 60 satellites pour une orbite visée vers 550 km d’altitude. Chaque satellite pèse 227 kg, est équipé d’un système de propulsion ionique au gaz krypton (moins cher que le xénon habituellement utilisé), de senseurs stellaires pour la navigation et d’un seul panneau solaire. Ces satellites ne possèdent pas actuellement de liaison inter-satellites, de même qu’ils sont équipés d’un réseau de 4 antennes en bande Ka et non Ku. Il s’agit encore de satellites de test.
Selon Elon Musk, SpaceX a prévu jusqu’à 6 lancements cette année de satellites Starlink pour démarrer la mise en service au-dessus des Etats-Unis et du Canada, et accélérera la cadence pour lancer environ 720 satellites en 2020, soit 60 satellites par mois ! D’ici 2024, l’entreprise espère mettre en service près de 1600 satellites. Il y aura deux groupes Starlink : une constellation de 4 409 satellites et une seconde constellation de 7 518 satellites sur 2 plans orbitaux différents.
L’objectif de Starlink pour Musk ne serait pas seulement terrestre. Les revenus générés par Starlink permettraient de financer l’exploration de Mars qui lui tient tant à cœur et serviraient de banc d’essai. Musk a déclaré à ses employés : « Ce même système pourrait nous permettre de créer une constellation sur Mars. Mars aura également besoin d’un système de communication global, car il n’y a pas de fibre optique, de réseau filaire ou autre. »
D’autres projets à l’étude : Leosat, Kuiper, etc…
Telesat, l’opérateur canadien, prévoit un système LEO de 292 satellites sur une orbite entre 1000 et 1350 km d’altitude (512 satellites seraient envisagés). Cette constellation comprendrait des liaisons optiques inter-satellites, pour fournir de l’internet haut débit, sur terre, mer et air, avec une latence de 30 à 50 ms.
La constellation de Leosat devrait comprendre 108 satellites interconnectés via des liaisons optiques sur orbites polaires. Elle a pour objectif de servir les entreprises et les clients gouvernementaux essentiellement, avec une latence inférieure à 120 ms en moyenne.
Le géant Amazon travaille sur le projet Kuiper, qui mettrait plus de 3 000 satellites en orbite afin de fournir un accès Internet à haut débit partout dans le monde avec plusieurs couches de satellites : 784 sur une orbite à 590 km d’altitude, 1 156 sur une orbite à 630 km et 1 296 sur une orbite à 610 km.
Sans parler des projets russes, chinois, indiens et coréens.
Beaucoup de questions restent toutefois en suspens sur l’avenir de ces constellations en orbite basse ou moyenne : comment atténuer ou empêcher les débris spatiaux liés inévitablement à la présence de tant de satellites en orbite basse ? Y-a-t-il un marché commercial à long terme (le système Télédesic des années 90 a coulé avant sa mise en service) car il faudra notamment fournir des récepteurs terrestres à bas coûts ? La 5G fera-t-elle concurrence ? A suivre
Article indispensable à lire : « LEO and MEO broadband constellations mega source of consternation » sur Spacenews
Pour suivre les satellites de ces constellations, rendez-vous sur https://satmap.space/