Rêves d'Espace

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Histoire

Histoire spatiale : l’échec de Mars Observer

Article écrit par Thomas Carpentier, diplômé d’un master d’Histoire de l’espace (sur le thème des échecs martiens des années 1990), ancien médiateur à la Cité de l’espace où il était également impliqué dans la rénovation du Musée de l’espace au Centre spatial guyanais. Il va débuter une thèse sur l’histoire des projets de retour d’échantillons martiens cette année.

Après l’immense réussite scientifique des missions Viking 1 et 2 à la fin des années 1970 et au début des années 1980, la NASA a connu un ralentissement conséquent dans l’envoi de sondes planétaires : entre 1977 et 1992, seules trois sondes planétaires ont été lancées (Magellan, Galileo et Ulysses). Aucune ne concernait Mars jusqu’à l’envoi de Mars Observer en 1992. Retour sur la genèse de cette mission et son échec final quelque peu violent.

La naissance de Mars Observer

Malgré l’engouement martien qui entoura les missions Viking 1 et 2, le fait que celles-ci n’aient trouvé aucune trace de vie sur la planète rouge créa un ralentissement dans l’intérêt pour celle-ci, que cela soit auprès des scientifiques mais surtout du grand public. Il fallut un lobbying important de la part de grandes figures, tel que Carl Sagan, pour que la communauté scientifique suggère à nouveau une mission martienne à la NASA.

En 1980, John Naugle, qui occupait le rôle de chef des sciences spatiales à la NASA, préconisa la création du SSEC (Solar System Exploration Committee). Ce comité proposa à son tour à la NASA la création d’un programme, nommé Core, qui devait permettre de financer des missions planétaires plus nombreuses et envoyées de manière plus cadencée. En effet, comme le rappelle l’historien du JPL, Erik Conway, depuis Viking « un syndrome du last ship sailing » s’était répandu dans la communauté d’exploration planétaire : comme peu de missions étaient envoyées, alors il était très important d’être retenu avec son instrument sur celles-ci, créant une sensation d’urgence et une compétition très féroce.

En s’appuyant sur les travaux du SSEC concernant le programme Core, la NASA a lancé en 1983 le programme Observer, un ensemble de missions d’exploration construit autour d’un nouveau bus de satellite appelé Mariner Mark II. Le budget annuel alloué à Observer était de 60 millions de dollars.

La première mission fut sélectionnée la même année : Mars Geoscience/Climatology Orbiter (MGCO). Cet orbiteur était le résultat de la fusion de deux propositions de mission martienne : l’une ayant pour objectif d’étudier la surface et sa minéralogie ; l’autre d’étudier le climat et l’atmosphère.

En septembre 1984, MGCO fut renommée Mars Observer pour montrer son appartenance au programme du même nom, justifiant la systématisation des futures missions de celui-ci.

Dans la salle blanche de chargement en carburant, la charge utile intégrée Mars Observer/Transfer Orbit Stage (TOS) est prête à être encapsulée dans la coiffe de Titan III. Le vol inaugural du TOS était dédié à Thomas O. Paine, un ancien administrateur de la NASA qui soutenait fortement l’exploration interplanétaire et a été l’un des premiers bailleurs de fonds du programme TOS.(crédit Photo : NASA/MSFC)

Les instruments de Mars Observer

En 1985, la NASA publia l’annonce de participation (announcement of opportunity, AO) concernant les instruments scientifiques de l’orbiteur. Ce sont en tout 90 propositions qui furent reçues. L’équipe managériale et scientifique, menée respectivement par William Purdy et Arden Albee, composa plusieurs solutions à sept ou huit instruments. Rapidement, ils sont arrivés à la conclusion que faire monter 8 instruments n’était pas viable : il était impossible économiquement d’en financer 8, et leur poids serait trop important pour l’orbiteur.

Le 8 avril 1986, la NASA a surpris Purdy en annonçant que c’était une combinaison de 8 instruments qui avait été retenue.

Le huitième sélectionné était une caméra optique, nommée Mars Observer Camera (MOC), proposée par un chercheur du département de géologie de l’université d’Arizona qui devint très réputé depuis : Michael Malin.

Schéma montrant les principales composantes du Mars Observer (crédit NASA/JPL)

Les sept autres instruments sélectionnés furent les suivants :

  • Le Thermal Emission Spectrometer (TES), qui devait réaliser des mesures de la surface et de l’atmosphère en captant les émissions thermiques (PI : Philip Christensen).
  • Le Visual and Infrared Mapping Spectrometer (VIMS), qui devait réaliser une carte des éléments minéralogiques de la surface martienne par réflexion infrarouge (PI : Larry Soderblom).
  • Le Gamma-Ray Spectrometer (GRS), qui devait réaliser une étude des émissions radioactives et de neutrons, pour étudier les éléments qui en sont responsables (PI : William Boynton).
  • Le Radar Altimeter and Radiometer (RAR), qui devait analyser la topographie martienne et analyser la rugosité du sol à l’échelle du mètre (PI : David Smith).
  • Le Pressure Modulator Infrared Radiometer (PMIRR), qui devait déterminer la température et la quantité de vapeur d’eau dans l’atmosphère martienne, ainsi que d’autres propriétés de la surface (PI : Dan McCleese).
  • L’Ultrastable Oscillator/Radio Science (USO/RS), qui devait observer les anomalies gravitationnelles de Mars en les comparant avec la topographie (PI : Leonard Tyler).
  • Le Magnetometer/Electron Reflectomer (MAG/ER), qui devait analyser le champ magnétique martien (PI : Mario Acuña).

En dehors du nombre d’instruments étant supérieur à ce que préconisaient les managers de la mission elle-même, une autre entaille au programme Observer : l’héritage. Pour économiser de l’argent dans le secteur scientifique, l’héritage des instruments est un point très important. En effet, construire de nouveaux instruments jamais testés va prendre plus de temps, donc plus de ressource, et surtout les tests sur ceux-ci vont également en prendre davantage ; là où des instruments faisant partie de l’héritage des missions précédentes permettent de passer outre un grand nombre de tests. Une grande partie de ces instruments sélectionnés furent nouveaux et nécessitèrent des tests, des révisions, du temps. Certains, comme le PMIRR, furent réduits avant le lancement, dans leur taille et dans leurs objectifs.

En juin 1988, c’est d’ailleurs pour des raisons de budget que l’instrument VIMS fut retiré de la mission ; quant au RAR, il fut redimensionné à la baisse et changea même de nom, devenant le Mars Observer Laser Altimeter (MOLA). En 1990, un petit instrument fut quand même rajouté, en collaboration avec la MOC de Malin. Il s’agissait d’un relayeur de données conçu par la France et l’URSS, dans le cadre d’une mission envisagée pour 1994 autour de ballons atmosphériques lâchés dans le ciel martien – une mission qui fut finalement annulée avec les rebondissements politiques du début des années 1990 en URSS/Russie.

Comment lancer Mars Observer ?

Cette question fut une des premières posées au même de la validation du programme Observer en 1983. La NASA proposa – et imposa – immédiatement que la sonde soit lancée une navette spatiale, dont le premier vol eut lieu deux ans plus tôt en 1981. La politique autour de cet engin était qu’il devait être capable d’être utilisé pour n’importe quel type de mission, même d’exploration planétaire, malgré le fait que la navette n’avait que les moyens d’envoyer des objets en orbite terrestre. Pour pallier ce problème, il fallait l’addition d’un propulseur additionnel. Dans son appel d’offres aux industriels, le RFP (request for proposals), la NASA proposa trois options : construire uniquement l’engin sans se préoccuper de la propulsion ; ajouter une roquette intégrée à l’orbiteur sans possibilité de la détacher ; ajouter une roquette détachable pour accélérer suffisamment depuis l’orbite basse (la méthode de transfer orbit stage).
Cette dernière option n’avait jamais été testée ni réalisée au début des années 1980 et la NASA vit en Mars Observer l’occasion de développer cette technologie. Il fut convenu entre le JPL, le laboratoire responsable de Mars Observer, et la NASA que cette option devait être gérée par le NASA Marshall SpaceFlight Center et que le développement du transfer orbit stage n’entrerait pas dans le budget du programme en lui-même.

Trois industriels se proposèrent pour les deux premières options du RFP : General Electric Astro-Space Division (ex-RCA), Ford Aerospace et Hughes Aircraft Company. Du côté du transfer orbit stage, une seule compagnie, Orbital Sciences, se proposa et remporta donc automatiquement cette partie de l’appel d’offres.

En février 1986, le JPL supprima la roquette intégrée, pour des questions de poids total (lié au nombre d’instruments sélectionnés), l’option vers laquelle Hughes s’était portée. Le 24 mars, c’est finalement General Electric qui remporta l’appel d’offres autour de leur bus de satellite de communication, le Satcom-K.

Sauf que quelques semaines plus tôt, un événement changea la face du spatial États-Unien : la catastrophe de Challenger et la mort des 7 astronautes composant son équipage. Cet accident bouleversa entièrement les programmes de la NASA : les navettes devaient rester au sol le temps des vérifications nécessaires et du combat politique pour la refaire voler après cela.

Le lancement de Mars Observer, qui était prévu pour 1990, était le moins prioritaire dans la liste des futures missions. La confirmation arriva en août 1986 : Mars Observer devait finalement décoller en 1992. Comme l’option de la navette perdit de son importance, William Purdy, toujours project manager de la mission, s’activa pour obtenir un autre lanceur : une fusée Titan III appartenant aux forces de l’armée de l’air (USAAF). Le 14 avril 1987, il reçut, après l’intervention de Bill Nelson au Congrès, la confirmation que Mars Observer allait être lancée par cette même Titan III.

Le lancement de Mars Observer le 25 septembre 1992 à bord d’une fusée Titan III. ©NASA

Lancement, voyage et échec

Après de nombreuses difficultés, pour les équipes scientifiques comme pour celles de General Electric (habituées à construire des satellites sur orbite terrestre et non pas des sondes planétaires), les instruments furent livrés à la fin de l’année 1991.

En mars 1992, une fuite de carburant fut détectée et, pour pallier celle-ci, les ingénieurs de General Electric décidèrent de bloquer les vannes. Ce système de pressurisation, au lieu d’être activé au lancement comme à l’accoutumée, ne le serait donc qu’au moment de la mise en orbite, avec un régulateur ouvrant les vannes au moment des manœuvres orbitales.

Le 15 juin 1992, l’orbiteur rejoignit le Kennedy Space Center. La fenêtre de lancement était de 30 jours, entre le 16 septembre et le 13 octobre. Pour autant, le 27 août, la sonde fut contaminée par des poussières et résidus de peinture lorsque les techniciens de la NASA mirent en place des protections pour la couvrir en prévision de la tempête Andrew qui frappa la côte ouest des États-Unis à la même période. La décontamination se passa sans encombre en l’espace de 5 jours, mais il fut acté qu’un décalage de 10 jours allait avoir lieu. Le 2 septembre, la date fut fixée au 25 septembre.

Ce fut donc le 25 septembre 1992 que Mars Observer s’envola à bord de la Titan III en direction de Mars, sans souci excepté une perte de communication durant deux heures qui effraya l’ensemble des équipes, une perte due à la non-activation des transmetteurs de la fusée n’impactant donc pas l’orbiteur.

Le vol vers Mars se réalisa lui aussi comme prévu, avec trois corrections de trajectoire (Trajectory Correction Maneuver, TCM), ainsi que la participation à une expérience scientifique le 17 mars 1993, en coopération avec les sondes Galileo et Ulysses, pour essayer de détecter des ondes gravitationnelles (cela n’aboutit pas).

Le 27 juillet, Mars Observer réalisa sa première et seule image, grâce à la MOC de Malin, de la planète Mars qui était encore environ à 6 millions de kilomètres, et à un mois de l’inseertion en orbite martienne.

La seule image de Mars réalisée par Mars Observer le 27 juillet 1993. ©NASA/JPL

Le 21 août, se trouvant alors à 400 000 kilomètres de Mars, la manœuvre de mise en orbite débuta. Les ingénieurs activèrent le système de pressurisation, en faisant détonner de l’hélium pour forcer l’ouverture des vannes. Comme cette opération pouvait être dangereuse pour les systèmes de communication, elle ne devait pas se dérouler qu’en une seule phase mais en deux, avec un intervalle de 14 minutes pour vérifier si tout allait bien pour la sonde.

Après ces 14 minutes d’attente, aucun signal ne fut reçu provenant de Mars Observer.

Les journées des 23 et 24 août furent entièrement dédiées à des tentatives de reconnexion avec un brin d’optimisme du côté des responsables de la mission. Toutes échouèrent, malgré plusieurs autres ayant lieu durant plusieurs semaines, sans succès.

Un échec technique, scientifique et systémique

Finalement, le 10 septembre, l’administrateur de la NASA (depuis 1992), Dan Goldin, demanda la création d’une équipe chargée d’enquêter sur les causes de l’échec de Mars Observer. Ce sont finalement 6 équipes différentes qui furent liées à différents domaines techniques : la puissance électrique, le contrôle de l’engin, les données et les commandes, les télécommunications, l’aspect mécanique, et les logiciels informatiques.

Trois conclusions émanèrent du rapport rendu en novembre et décembre 1993.

  • La première fut qu’il était impossible de donner la cause exacte de l’échec, uniquement des hypothèses plus ou moins probables furent données par les équipes.
  • La deuxième fut que le comité jugea que la conception de l’engin était bonne, avec tout de même de nombreux points à régler pour de futures missions équivalentes.
  • La dernière concerna le programme Observer en lui-même, l’équipe jugeant que les procédures et l’organisation du développement de l’engin furent mal gérées.

La cause la plus probable de l’échec, celle encore admise aujourd’hui, serait « la rupture du système de pressurisation […] [à cause] d’un mélange involontaire du peroxyde d’azote et du méthylhydrazine (MMH) dans le tube de pressurisation ».

Un schéma du système de propulsion de Mars Observer avec l’emplacement de la fuite probable de tétraoxyde de diazote (NTO, ou péroxyde d’azote) indiqué (crédit NASA/JPL)

Des tests furent réalisés sur des vannes par l’ESA le 3 septembre 1993, où il fut observé que lorsque les deux initiateurs étaient activés au même moment, les vannes furent durement endommagées, causant même l’éjection d’un initiateur à plus de 200 m/s. L’un de ceux de la sonde était pointé vers le réservoir d’ergols et il est donc possible qu’il ait transpercé celui-ci très violemment, causant alors une rotation très rapide de la sonde sur elle-même, engendrant également son échec total.

Pour finir, l’autre grand échec de Mars Observer fut systémique. Le programme Observer devait être bâti autour d’un héritage scientifique et technique pour réduire son coût au maximum, et créant ainsi une flotte d’engins planétaires de manière quasiment à la chaîne. Ce fut tout l’inverse pour cette mission : d’un budget initial de 257 millions de dollars (base de 1990), le coût total lié au report, au changement de lanceur et à des instruments non hérités, fut de 652 millions (pour l’estimation basse) à plus de 900 millions de dollars (pour l’estimation haute). De plus, la seconde mission envisagée pour le programme Observer, Lunar Observer, fut finalement annulée dès 1990, signifiant la fin du programme à la suite de la mission martienne.

Mars Observer fut donc un échec technique total, un échec scientifique lié au premier car aucun résultat ne put être obtenu, et surtout un échec systémique qui marqua la NASA des années 1990 et notamment son nouvel administrateur, Dan Goldin, qui lança à la même période la politique du Faster, Better, Cheaper que nous aborderons dans les deux prochains articles de cette trilogie.

Image test de la planète Jupiter acquise par MOC le 14 avril 1993 dans le cadre d’un test de caméra lors de la croisière de 11 mois vers Mars. (MSSS)

Bibliographie principale :

  • Mémoire de Thomas Carpentier, réalisé en 2020-2022. Disponible à la demande.
  • E. M. Conway, Exploration and Engineering: The Jet Propulsion Laboratory and the Quest of Mars, Baltimore, The Johns Hopkins University Press, 2015, 405 p.
  • A. A. Siddiqi, Beyond Earth: A Chronicle of Deep Space Exploration, 1958-2016, Washington, NASA History Division, 2018, 372 p.
  • P. Ulivi, D. M. Harland, Robotic Exploration of the Solar System: Hiatus and Renewal 1983-1996 (part 2), New York, Springer-Praxis, 2009, 535 p.

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