À la découverte de la capsule « Mission Possible » avec Éric Miquel de The Exploration Company
Eric Miquel est responsable AIT (Assemblage, Intégration et Tests) chez The Exploration Company. Nous avons discuté lors des tests d’environnement de la capsule « Mission Possible » à Toulouse dans les locaux d’Airbus Defence and Space.
Eric connaît bien les lieux car il a travaillé pendant plusieurs années en AIT chez ADS. Il a ensuite rejoint OneWeb, où il a monté la chaîne de fabrication des satellites. Une fois la production en fonctionnement, l’opportunité de repartir de zéro avec The Exploration Company (TEC) est arrivée. Eric a rejoint l’équipe d’Hélène Huby en juin 2022.
Eric est actuellement responsable d’une douzaine de personnes réparties entre Bordeaux et Munich pour l’intégration et les tests (hors tests moteurs « hot firing ») des capsules en développement. Et les projets de capsule de la famille Nyx [Nyx était une déesse de la création du cosmos vénérée par les Grecs de l’Antiquité, excellents navigateurs, mathématiciens, philosophes et astronomes] ne manquent pas.
Après Bikini, une capsule de démonstration embarquée sur Ariane 6 qui faisait environ 60 cm sur 70 cm, place à la capsule Nyx « Mission Possible » qui mesure 2,6 m de diamètre sur un peu plus de 2 m de haut, pour une masse au décollage de 1,6 tonne. Ce sera la première capsule de TEC qui embarquera près de 300 kg de charges utiles commerciales. Le décollage est prévu en mai 2025 sur Falcon 9. Il s’agit encore d’un démonstrateur. La première capsule commerciale s’appelle Nyx Earth.
La durée du vol de Mission Possible sera dans les 3 heures mais Eric a précisé que cela n’était pas encore complètement arrêté. Après une phase de vol attaché à l’étage supérieur du lanceur, il y a séparation de la capsule dans une phase légèrement descendante. Après quelques orbites contrôlées par un système de propulsion autonome, jusqu’à ce que la capsule touche les couches denses de l’atmosphère, la phase de rentrée atmosphérique commencera, puis c’est l’amerrissage sous parachute et sa récupération.
Description de la capsule Mission Possible
La capsule qui fera un aller-retour en orbite basse se présente sous la forme d’un volume utile métallique où il y a un gros cylindre pressurisé sous air au milieu. La majorité des charges utiles sont dans ce cylindre. Cela permet de faire de la microgravité pour les expériences chimiques ou biologiques et les démonstrateurs technologiques qui y seront placés pour les clients. Il peut y avoir toute sorte de charges utiles : mini-centrifugeuse, des nouvelles technologies à valider avant installation sur satellites, système de réaction chimique, …
À l’extérieur du cylindre, il y a les équipements électroniques pour les différents sous-systèmes (navigation, communication, propulsion, alimentation), une batterie (Nyx Mission Possible n’a pas de panneaux solaires) et les réservoirs pour les carburants.
Lors des tests de vibrations qui simulent le décollage, la capsule a été placée comme en configuration lancement : la face qui fera la rentrée atmosphérique vers le haut, l’interface avec le lanceur se trouvant vers la partie la plus étroite.
Du côté le plus étroit, il y a un couvercle qui protège le parachute lors de la rentrée pour qu’il ne brûle pas. Le parachute ralentira la capsule lors de la phase finale de la descente. Ce couvercle s’ouvre par un système pyrotechnique qui coupe les boulons qui le fixe. Dans ce couvercle, il y a aussi un système de récupération des données de vol et les données des charges utiles.
Un grand nombre de capteurs sont installés dans la capsule : capteurs de pression, thermocouples pour enregistrer la température, accéléromètres. Toute cette instrumentation aidera TEC à en apprendre au maximum sur la rentrée atmosphérique. La capsule est également dotée d’une centrale inertielle pour mesurer l’accélération, l’orientation, les taux angulaires et les autres forces gravitationnelles.
« Mission Possible » est aussi équipée d’un senseur d’étoiles pour la navigation et de capteurs GPS. Il y a aussi plusieurs caméras pour notamment filmer le déploiement du parachute.
Il y a un système de flottaison de secours. Le « flotation device » est une sorte d’airbag qui va gonfler un gros ballon. Normalement la capsule ne coule pas à l’amerrissage mais si jamais ça arrivait, ce système vient l’empêcher. En configuration vol, ce système se trouve derrière une petite porte qui sera éjectée par un mécanisme pyrotechnique.
La communication avec le sol est effectuée par bande S. Une balise Iridium sert à communiquer avec la constellation de satellites du même nom pour la récupération de la capsule en complément du GPS.
Le bouclier de rentrée atmosphérique et le pourtour de la capsule sont pourvus d’une protection thermique ablative (ou Ablative Thermal Protection – ATP) à base de liège et de résine. Il a été fourni par Arianegroup sur Bikini. Pour Mission Possible, TEC a effectué l’usinage et le dégazage à partir du matériau brut. Le principe de l’ablatif, c’est que ça brûle par couche et le gaz créé fait obstacle au plasma. C’est ce qui permet de ne pas trop chauffer. Le plasma est à 2 500 °C, et à la fin de la mission, normalement l’aluminium de toute la structure devrait être à 60 °C. Sur Nyx Earth, le matériau sera un peu différent mais le principe reste identique.
Au moment du reportage, la capsule n’avait pas toute sa protection thermique en place afin d’accéder à l’intérieur. Le collage de la protection (un secret industriel) sera presque finalisé totalement à Munich avant de partir en campagne de lancement. Il restera quelques emplacements à finaliser dans les derniers jours avant le décollage comme les interfaces de manutention ou la « service door » pour le remplissage en carburant.
La propulsion est assurée par 16 moteurs à 20 N de poussée, de fourniture américaine. Pour la capsule commerciale, Nick Earth, les tuyères seront plus performantes et seront fabriqués par TEC par impression 3D. Les premiers prototypes ont été déjà imprimés et un banc de test a été installé chez TEC pour pouvoir être autonome et ne plus dépendre de sites d’essai comme c’était le cas jusqu’à présent.
Le peroxyde d’hydrogène HTP (eau oxygénée à haute concentration) est utilisé comme ergol oxydant ou comburant. Après catalyse, l’oxydant est décomposé en oxygène et eau, et l’oxygène est brûlé par le réducteur (carburant). Cet ergol est un « carburant vert ». Ce n’est pas de l‘hydrazine comme on le rencontre souvent. Ce carburant est l’un des secrets industriels de TEC.
Mission Possible doit permettre à TEC de valider la navigation et la rentrée atmosphérique.
Les autres projets en cours de développement : Nyx Earth et Nyx Moon
Pour Nyx Earth, la première mission sera pour l’amarrage à la Station Spatiale Internationale dans le cadre du programme LEO Cargo Return Service et dès 2028. La capsule, qui fera dans les 4 mètres de haut, aura besoin d’un module de service pour lui assurer notamment l’alimentation en électricité grâce à des panneaux solaires. Le module de service pourra aussi embarquer des charges utiles mais seulement pour un vol aller (il ne rentre pas sur Terre). La capsule cargo devrait embarquer 4 tonnes de charges utiles. L’une des nouvelles évolutions technologiques sera l’amarrage et la séparation module de service/capsule au retour.
Nyx Earth fait également l’objet de contrats pour les stations spatiales privées d’Axiom Space, VAST et Starlab.
TEC a aussi l’ambition d’un Nyx Moon, un atterrisseur lunaire. Le développement d’un gros moteur est déjà en cours selon Eric. Le 3e prototype est en cours de tests.
The Exporation Compagnie, l’entreprise franco-allemande qui recrute
Pour arriver à concrétiser tous ces projets, Eric Miquel déclare que TEC est en train de « verticaliser» un maximum de la production des éléments critiques des capsules Nyx. Ils ont acheté des machines d’usinage, des imprimantes 3D et sont en train de mettre en place 2 bancs d’essai pour des tests moteurs sur un ancien site d’essais moteurs d’avions à Bordeaux.
Tout va très vite chez The Exploration Company. Eric m’a dit qu’il n’y a eu que 18 mois entre le début de Mission Possible et les essais environnement.
Pour Nyx Earth, le projet n’a vraiment débuté qu’il y a 6 mois et ils ont déjà passé la revue préliminaire de design (PDR) avec l’ESA. Le projet engendre davantage de contraintes en termes de design et de documents. Mais contrairement à des projets où l’ESA est donneur d’ordre, l’ESA est ici client. Donc cela allège les choses. Nyx est développé avant tout sur fonds propres et l’ESA « achète » la première mission et supporte le développement. L’ESA apporte un très gros support à TEC avec de grosses compétences dans certains domaines (notamment grâce à l’expérience des cargos ATV) et aussi pour faciliter par exemple les échanges avec la NASA pour avoir les autorisations de s’amarrer à l’ISS.
L’entreprise d’un peu plus d’une centaine de personnes actuellement devrait donc beaucoup grandir entre fin 2024 et 2025. Pour Eric, le challenge est de rester réactif tout en grossissant. Eric me confie que le recrutement de certains profils techniques n’est pas facile, surtout en Allemagne. Donc si l’aventure vous tente, postulez aux offres en ligne !
Je remercie Eric pour m’avoir expliqué cette capsule « Mission Possible » et tous les autres projets en cours, même si je ne peux pas parler de certains ici pour le moment.
The Exploration Company est une entreprise montante qui fera sans nul doute l’objet d’autres articles sur le blog dans les années à venir.