ACES : Une horloge atomique européenne ultra-précise dans l’espace
Ce 22 avril, un nouveau cargo de ravitaillement est arrivé à la Station Spatiale Internationale. Le cargo Dragon CRS-32 rempli de 3 tonnes de fournitures diverses, amène notamment une expérience européenne : ACES (Atomic Clock Ensemble in Space), deux horloges ultra-précises.

Le bras robotique Canadarm-2 devrait enlever l’expérience située dans la partie non pressurisée du cargo et attacher ACES à l’extérieur du laboratoire Columbus de l’ESA en position Nadir (vers la Terre). Actuellement cette opération est prévue pour le 25 avril.

ACES comprend deux horloges atomiques de pointe, PHARAO et le Space Hydrogen Maser (SHM) qui travailleront ensemble pour générer le signal horaire le plus précis jamais envoyé depuis l’espace.
L’instrument doit fournir une référence de temps ultra-précise depuis la Station Spatiale Internationale en transmettant des signaux micro-ondes (MWL) et laser (ELT) vers des stations au sol équipées d’horloges atomiques. Cette double liaison permet de compenser les perturbations ionosphériques en traversant l’atmosphère.
ACES doit permettre la comparaison entre les horloges spatiales et terrestres, améliorant ainsi la stabilité et l’exactitude des échelles de temps mondiales, telles que le Temps atomique international (TAI) et le Temps universel coordonné (UTC), et permettra de fournir une nouvelle référence de temps spatial.
SHM fournit un signal horaire extrêmement précis sur de courtes durées, tandis que PHARAO s’assure que leur temps reste correct sur de longues périodes.
ACES a été assemblé par Airbus Space en Allemagne, pour le compte de l’Agence Spatiale Européenne. ACES pèse 225 kg pour un volume d’environ 1 m3.

Les objectifs d’ACES :
- Synchronisation : améliorez le transfert de temps global et la synchronisation des horloges
- Redéfinir la seconde : permettre des comparaisons avec des horloges optiques de nouvelle génération sur Terre qui pourraient redéfinir la seconde du Système International (SI)
- Tester la théorie de la relativité générale d’Einstein : mesurer la dilatation du temps causée par la gravité terrestre avec 10 fois plus de précision que les expériences précédentes
- Géodésie : utilisez des comparaisons temporelles entre des horloges à différentes altitudes pour détecter de subtiles variations de la gravité terrestre
- Physique fondamentale : reliez les meilleures horloges du monde pour explorer de nouvelles physiques, telles que la matière noire et les extensions du modèle standard
SHM de Safran
Le Space Hydrogen Maser (SHM) développé par Safran Timing Technologies en Suisse, va créer un signal horaire ultra-stable et ultra-précis. Safran Timing Technologies est spécialisé dans la fourniture d’horloges atomiques de référence pour les systèmes de navigation GNSS (Global Navigation Satellite Systems) comme Galileo et Beidou.

Le SHM fonctionne de manière similaire aux horloges maser à hydrogène passives utilisées par les satellites de navigation européens Galileo, mais avec une stabilité à court terme dix fois meilleure.
Un maser à hydrogène fonctionne en dissociant des molécules d’hydrogène (H₂) en atomes individuels à l’aide d’une décharge électrique. Un aimant (« sélecteur d’état ») filtre les atomes selon leur niveau d’énergie. Seuls ceux dans l’état énergétique le plus élevé sont conservés. Ces atomes sont ensuite dirigés vers une cavité micro-ondes où ils émettent naturellement un rayonnement micro-ondes lors de leur transition vers un état d’énergie plus faible. Ce rayonnement se transforme en un signal très stable à la fréquence caractéristique de l’hydrogène de 1,42 GHz, soit 1 420 405 751,78 d’oscillations par seconde. Dans un maser passif, cette émission est déclenchée par une source hyperfréquence externe. Mais dans un maser actif tel que SHM, les atomes eux-mêmes entraînent l’oscillation, créant un signal autonome sans entrée externe.

PHARAO du CNES, pour tester la théorie de la relativité générale d’Albert Einstein
PHARAO, pour Projet d’Horloge Atomique par Refroidissement d’Atomes en Orbite, a été développé par le CNES. C’est la première horloge à atomes de césium refroidis en orbite autour de la Terre et intégrée dans un réseau de comparaison de temps. Sur Terre, les horloges atomiques à atomes froids sont déjà d’une précision remarquable : elles dérivent de moins d’une seconde tous les 50 millions d’années. PHARAO une horloge ultra-précise qui ne doit pas dériver de plus d’une seconde sur 300 millions d’années (à titre de comparaison, une horloge à quartz dans votre montre peut perdre une seconde en quelques jours seulement).

L’horloge utilise des faisceaux laser pour refroidir un nuage d’atomes de césium à des températures d’un millionième de degré au-dessus du zéro absolu (-273 °C). Dans cet état, ils s’agitent très peu. La précision de PHARAO est rendue possible car dans l’espace les atomes froids des horloges atomiques, tombent en chute libre. Pour ne pas perturber ces atomes, le vide qui règne à l’intérieur de l’horloge doit être bien meilleur que le vide spatial qui règne à l’altitude où vole l’ISS.
La manipulation et le refroidissement d’atomes par laser ont valu le prix Nobel de Physique à Claude Cohen-Tannoudji, du laboratoire Kastler Brossel, en 1997. Le Laboratoire Kastler-Brossel (LKB) a participé au développement de PHARAO.
ACES est une expérience de physique fondamentale dont l’objectif est de tester notamment la théorie de la relativité générale d’Albert Einstein [Selon la théorie de la relativité restreinte (1905), le temps et l’espace ne sont pas absolus, mais dépendent du mouvement de l’observateur. La théorie de la relativité générale (1915) intègre la gravité dans la théorie de la relativité restreinte et la décrit non plus comme une force, mais comme une courbure de l’espace-temps].
À 28 000 km/h, la vitesse orbitale de l’ISS induit un ralentissement du temps de 0,3 nanoseconde par jour. PHARAO détectera cette infime variation en comparant ses mesures avec 35 horloges atomiques du réseau international UTC (ce réseau comprend 450 horloges atomiques, majoritairement au césium ou hydrogène, réparties dans 85 laboratoires à travers le monde).
L’altitude de 400 km réduit l’influence gravitationnelle terrestre, accélérant le temps de 5,2 microsecondes par an. L’horloge mesurera ce décalage avec une précision de 10-16, soit 100 fois mieux que les expériences précédentes.
Certains physiciens pensent qu’une « petite » déviation de la relativité générale est nécessaire pour assurer sa compatibilité avec le reste de la physique, et notamment la mécanique quantique. Cet effet étant minuscule, un instrument d’une grande exactitude est nécessaire pour le mesurer.
PHARAO pourra mesurer avec une extrême précision les effets de la relativité générale sur l’écoulement du temps et sa comparaison avec les horloges terrestres permettra de quantifier ces effets de dilatation relativiste du temps.
ACES permettra aussi de nouvelles applications terrestres telles que la géodésie relativiste, qui consiste à mesurer la forme et le champ gravitationnel de la Terre avec une extrême précision. Ces progrès sont essentiels à la navigation spatiale, aux opérations par satellite et aux systèmes GPS. Par exemple, sans comprendre les fluctuations temporelles entre la Terre et l’orbite terrestre moyenne, le GPS serait progressivement moins précis.
Depuis 1967, la seconde est définie comme la durée de 9 192 631 770 périodes de la radiation correspondant à une transition entre deux niveaux d’énergie de l’atome de césium 133. ACES ne se contentera pas de mesurer le temps, il pourrait aider à le redéfinir !
ACES opéré depuis la France et l’Allemagne
Au-delà de la maîtrise d’œuvre de PHARAO et de l’intégration et les tests du modèle de vol au Centre spatial de Toulouse en 2014, le CNES est également impliqué dans l’expérience ACES à travers du CADMOS (Centre d’aide au développement des activités en micropesanteur et des opérations spatiales) d’où seront effectuées les opérations d’ACES.
ACES sera également opéré depuis le centre de contrôle du module Columbus, le Col-CC, situé au Centre aérospatial allemand DLR à Oberpfaffenhofen, près de Munich, en Allemagne.
Le Laboratoire Temps-Espace (LTE) de l’Observatoire de Paris-PSL qui a été impliqué dès le début du projet PHARAO depuis la conception et le test du prototype de l’horloge en micropesanteur à bord de l’avion 0g du CNES, est en charge des opérations des horloges au sol et de leur synchronisation avec les terminaux micro-ondes situés sur les bâtiments de l’Observatoire. Sur le plan scientifique, le LTE est responsable de l’analyse des données, depuis les données micro-ondes brutes jusqu’aux produits scientifiques finaux.
La durée de vie d’ACES prévue est de 30 mois.
Pour compléter :
- Factsheet d’ACES par l’ESA
- Pharao sur le site du CNES
- Maquette papier d’ACES et instructions
- Information sur le cargo CRS-32 par la NASA
