Rêves d'Espace

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Defense

La Très Haute Altitude : un enjeu stratégique à la frontière de l’espace

Pourquoi parler de la Très Haute Altitude (THA) sur ce site alors que ce n’est pas l’espace ? Car vous lirez par la suite que la THA a de grosses similitudes avec le spatial et qu’on y retrouve aussi les mêmes acteurs.

C’est quoi la THA ?

La très haute altitude (THA), ou Higher Airspace Operations (HAO) en anglais, est définie comme étant la zone entre environ 20 km et environ 100 km d’altitude, région où l’atmosphère est raréfiée, peu utilisée jusqu’à présent mais qui devient de plus en plus stratégique. Ce domaine se situe au-dessus des espaces aériens contrôlés, où évoluent les aéronefs traditionnels, mais en dessous de la « ligne de Kármán » qui définit généralement le début de l’espace extra-atmosphérique où évoluent les satellites [lire L’espace un peu plus proche que 100 km ?].

Types de vecteurs présents dans la THA (extrait de la stratégie THA)

Cette strate est déjà exploitée depuis le début de la guerre froide par des avions comme le U-2 et SR71, ou plus récemment par quelques systèmes tels que les HAPS, High Altitude Permanent Systems, (systèmes permanents à haute altitude) ou High Altitude Pseudo-Satellites (Pseudo-satellites de haute altitude) selon les définitions, mais elle tend à se diversifier.

Le prototype d’avion solaire de la NASA, Helios, a effectué un vol record en 2001 à 96 863 pieds (29,5 km) (crédit NASA)

Les HAPS sont des objets lents et persistants comme les ballons stratosphériques et les avions propulsés par énergie solaire, qui opèrent dans cette tranche d’altitude, notamment dans la tranche 18-25 km environ où la vitesse des vents est minimum.

Poster pédagogique sur les différents ballons du CNES

On y voit désormais de nouveaux objets :

Les missiles hypervéloces, c’est-à-dire dont la vitesse est supérieure à Mach 5 (6 174 km/h), représentent également une part importante des développements militaires dans cette zone car ils permettent de contourner actuellement beaucoup de défenses adverses. On y retrouve par exemple les missiles Kinjal et Zircon utilisés dès 2022 par la Russie en Ukraine.

Crédit : Centre d’études stratégiques de la Marine

On a également les navettes automatiques comme la X-37B américaine ou l’avion-spatial chinois Shenlong, également connu sous le code CSSHQ (Chongfu Shiyong Shiyan Hangtian Qi).

Atterrissage de la 3e mission de l’X-37B en octobre 2014 (crédit : Boeing)

Et il y a dans une moindre mesure, les vols suborbitaux touristiques comme la New Shepard de Blue Origin et le SpaceShip de Virgin Galactic.

Aujourd’hui cette zone THA n’est régie par aucune législation ou traité international à l’inverse de l’aérien qui est régi par la Convention de Chicago de 1944 et l’espace par le traité de 1967. Il reste à définir les règles pour les trajectoires, entrées et sorties dans le stratosphérique. En l’absence, tout le monde peut faire à peu près ce qu’il veut ; une zone grise.

THA et satellites : différents et complémentaires

Les capacités balistiques intercontinentales ainsi que les capacités spatiales, répondant à des caractéristiques similaires, ont été les premières à utiliser cette THA. Celles-ci y transitent à deux reprises : au cours de la phase de propulsion ou d’ascension, et au cours de la rentrée atmosphérique.

La très haute altitude nécessite souvent l’utilisation de technologies issues du spatial car c’est un environnement très difficile, comme l’espace : faible densité, températures extrêmes, exposition au rayonnement ionisant, et pressions minimes rendant la sustentation et la propulsion complexes.

Les ballons stratosphériques utilisent généralement des charges utiles dérivées du spatial pour les communications avec le ballon pour connaître sa position en temps réel et transmettre les données des chages utiles. Ils permettent de tester certains instruments scientifiques dans des conditions proches du spatial sans la plupart des contraintes, comme le lancement (très cher, résistance aux virbations, …).

Les systèmes THA offrent une alternative plus souple, plus rapide à déployer et à moindre coût que certains satellites pour des missions de renseignement, de communication, de surveillance environnementale ou sécurisation d’infrastructures critiques.

Volant à une altitude beaucoup plus basse que les satellites, les HAPS sont capables de couvrir une zone spécifique beaucoup plus efficacement. Ils peuvent opérer dans des zones d’intérêt plus petites ou plus larges et ajuster leurs habitudes de vol en conséquence en réaction aux défis rencontrés (par exemple en suivant les conditions météorologiques) ou aux missions (suivi de déplacements militaires ou d’animaux par exemple). Les HAPS peuvent rester en permanence sur une zone, tandis que les satellites en orbite basse (LEO) ne peuvent rester que pendant de courtes périodes (minutes) ; un retour dans la zone dépend du temps de revisite et peut prendre des heures, voire des jours. Pour l’observation permanente d’une zone, une constellation de satellites est nécessaire, ce qui entraîne une augmentation des coûts. Les intempéries au niveau du sol ne constituent qu’une contrainte limitée pour les HAPS, car ils peuvent être facilement manœuvrées.

En général, les HAPS peuvent accueillir une gamme plus large de charges utiles, ce qui facilite le remplacement de ses capteurs et leur adaptation à des tâches particulières. Dans de brefs délais, ils peuvent être débarqués pour maintenance, ravitaillement ou réparations.

En matière de défense, la détection et le suivi en THA devraient se nourrir des données spatiales (satellites d’observation, constellations d’alerte avancée) et vice versa, permettant une continuité dans la surveillance multicouche.

Complémentarité des systèmes HAPS et satellitaires (crédit Joint Air Power Competence Centre)

Les HAPS ont une empreinte écologique minimale en raison de leur faible consommation de carburant.

La stratégie de la France pour la THA

Alors que les menaces se font de plus en plus grandes en THA, comme par exemple l’affaire du ballon chinois espion au-dessus des États-Unis en 2023, le Ministère des Armées a dévoilé lors du Salon du Bourget 2025, la stratégie française dans le domaine de la THA.

La maîtrise de la THA est cruciale pour la souveraineté nationale, la protection du territoire et la liberté d’action des forces armées dans tous les milieux.

La stratégie se décline en trois axes : détecter, intercepter, opérer.

  • Développer la détection et l’identification des menaces à très haute altitude par des systèmes multicapteurs, incluant radars, satellites et moyens aériens.
  • Disposer de capacités d’interception et neutralisation adaptées, y compris par chasseurs, missiles sol-air et technologies laser.
  • Investir dans les technologies HAPS, domaine où la France est pionnière, et dans la poursuite des développements sur les armes hyper-véloces.
  • Adapter le commandement et contrôle (C2) militaire pour intégrer la dimension THA dans l’approche multi-milieux.
Le stand de la DGA au Salon du Bourget 2025 et la THA (crédit Rêves d’espace)

Pour la détection, la Défense française va s’appuyer sur ses satellites d’observation militaires CSO et d’éoute CERES, mais aussi sur le radar Nostradamus, un radar développé par l’Office National d’Etudes et de Recherches Aérospatiales (ONERA), capable de détecter des objets à basse, haute et très haute vitesse, dans un large champ d’observation, et ce de jour comme de nuit, quelles que soient les conditions météorologiques. La détection d’objets à haute altitude est complexe en raison des limitations des radars traditionnels qui ne sont pas optimisés pour détecter les objets se déplaçant lentement. Les radars doivent filtrer le « bruit » inutile pour extraire les informations pertinentes concernant les aéronefs classiques.

Pour les capacités d’interception, l’Armée de l’Air et de l’Espace a réalisé en juin dernier un essai d’interception de ballons stratosphériques en THA par des missiles depuis des Mirage et des Rafale.

Côté HAPS, Hemeria développe avec le CNES le projet BalMan, un ballon manoeuvrant qui restera stable au-dessus d’une zone pendant des mois. Thales Alenia Space développe le Stratobus, un ballon strasphérique avec une propulsion électrique entièrement autonome alimentée par l’énergie solaire, pouvant emporter des charges utiles lourdes jusqu’à 250 kg à une altitude de 19 km. Airbus a développé avec sa filiale AALTO le Zephyr, un « avion » solaire électrique léger dont le record de durée en vol est de 67 jours en 2025.

La THA est un environnement difficile à maîtriser techniquement, mais la France a une longue maîtrise des ballons avec le CNES depuis plus de 60 ans, et l’ONERA est un acteur majeur dans l’étude de l’hypervélocité et des ballons. D’autres acteurs comme Arianegroup pour sa partie « systèmes de défense » vont y jouer un rôle essentiel.

ArianeGroup développe actuellement le V-MAX, un planeur hypersonique qui serait propulsé lui-même par un missile, voire une fusée. Ce projet a été validé en 2019 par le Ministère des Armées.

A la fin de cete vidéo, la maquette du VMAX d’Arianegroup

Dassault a proposé sa navette automatique VORTEX, Véhicule Orbital Réutilisable Transport EXploration, au Salon du Bourget 2025. Cet avion spatial réutilisable sans pilote, basé sur un fuselage porteur sont d’environ 8 mètres de long pour l’échelle 1, pour une capacité d’emport de 5 à 7 tonnes grâce à sa large soute. Différentes itérations plus petites sont prévues au préalamble comme un démonstrateur à l’échelle 1/3 dont le premier vol pourrait avoir lieu dès 2028. Le Ministère des Armées soutien également le projet.

https://youtu.be/m6wSKsX0wt8

La stratégie française sur la THA est donc multi-facteurs et multi-acteurs, et sera étroitement complémentaire au spatial.


Sources principales et pour compléter :

Image de couverture : HAO par la NASA

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